Intouchables: la « Dalit community » se reveille

6 Mars 2013



Arul, 28 ans, travaille comme avocat à Madurai pour faire valoir le droit des Dalits. Il est issu de cette caste considérée comme l’une des plus faibles en Inde. A travers son témoignage, retour sur cette communauté « intouchable » sur laquelle nous ne savons rien.


@Marcus Perkins - CSW
@Marcus Perkins - CSW
Pourriez-vous nous présenter votre communauté ?

Je vis dans le Tamil Nadu, Najapattinam district, du côté de Mayiladuthrai. Il faut savoir que les Dalits sont divisés en plusieurs sous-castes. Je sais que cela paraît très compliqué, mais l’Inde contient environ 575 castes différentes dans sa totalité. Je suis issu de la tribu des « Paraiyar », caste spécifique au Tamil Nadu. On est traité comme des intouchables depuis plusieurs siècles. Ma communauté a une histoire très ancienne. En tamoul ancien, « paryar » signifiait intellectuel. Nous étions les conseillers des rois, des écrivains mais aussi des devins ou astrologues. Après les ariens sont arrivés, les Brahmanes* (caste la plus haute et donc riche en Inde) ont pris le pouvoir et nous ont ruinés. Ils nous ont exploités et continuent encore aujourd’hui. On a tout perdu à partir de ce jour. Le mot même de « paryar » signifie aujourd’hui bouffon ou joueur de tambourin.

Pourquoi êtes-vous traités comme des intouchables ?

Nous travaillons dans des banlieues, dans des fermes mais jamais pour nous-mêmes. Nous devons rendre service à chacun. A ces gens à qui les terres appartiennent selon la loi hindoue des castes. Les castes privilégiées nous voient comme des esclaves mais aussi comme des malchanceux. Ce que l’on dit de moi dans mon village quand je marche dans les rues des « seigneurs territoriaux » ? « Tu pourrais devenir sale si tu marches à côté de lui » ou encore « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu sais que si je te touche, je dois aller prendre un bain car tu m’auras imprégné de tes impuretés ». On est juste discriminés par tradition. Il y a une idée de pureté en Inde à laquelle les Dalits ne correspondent pas et la peur que l’on contamine les castes considérées comme saintes est permanente. Peut-être moins qu’avant, cela dit, il y a toujours une démonstration de pouvoir sur nous, certains de nos droits sont bafoués car nous sommes une caste qui « pollue les autres ».

Mais comment ces gens peuvent-ils savoir que vous venez de cette caste spécifique ?

C’est très facile. Regardez, en Inde, dans les universités, dans les conventions de stage, dans tous les papiers administratifs, il est demandé de préciser votre sexe mais aussi votre caste. C’est une pratique courante même si elle tend à être éradiquée. Cependant, ces questionnaires peuvent aussi nous aider parfois pour répondre aux quotas imposés par le gouvernement sous, par exemple, le Right for Education Act de 2009 qui nous permet d’être acceptés dans certaines écoles. Parfois, cela est également à notre désavantage car c’est certain que de telles pratiques discriminent également. Cela dit, il faut savoir que tout le monde vient à savoir de quelle caste tu es parce que tu as un certain accent, une certaine manière d’agir. Et puis les Indiens sont de vrais pipelettes, ils vont fouiller jusqu’à trouver d’où tu viens réellement.

Arul : "les Dalits peuvent subir des horreurs dans les villages où ils sont en nombre restreint"
Arul : "les Dalits peuvent subir des horreurs dans les villages où ils sont en nombre restreint"
Est-ce que vous avez eu quelques expériences personnelles désagréables ?

Bien sûr, j’ai vécu dans mon enfance avec la peur au ventre pour ma patrie mais jamais vraiment pour moi. Je n’ai jamais été vraiment confronté à ce type de difficulté. Pourtant je suis chrétien, et en Inde, nous sommes peu nombreux mais dans mon village, un grand nombre de Dalits étaient présents, nous étions une majorité de cette caste même et nous ne nous sommes jamais jugés par rapport à la religion. Cela dit, les Dalits peuvent subir des horreurs dans les villages où ils sont en nombre restreint. Ils souffrent énormément car il est interdit pour eux de marcher dans les districts de leurs villages et certaines rues principales leur sont également inaccessibles. Mais grâce au système de quotas, nous avons de la chance, nous avons désormais quelques opportunités qui s’ouvrent à nous. Cela nous vaut quelques critiques : « les Dalits sont des profiteurs » car avec ce système de discrimination positive, nous sommes parfois prioritaires dans quelques écoles. Cela peut paraître superbe, cependant, il faut savoir que certains professeurs coupent les cheveux des enfants dits « intouchables » ou leur mettent des bracelets afin que les autres puissent les distinguer et les éviter. Ils sont souvent seuls pendant le repas du midi, et on leur donne les restes car « ils ne méritent que ça », les autres enfants les voient comme des gens qui ont volé la place d’un autre enfant plus prestigieux et respectable.

Mais pourquoi ce système de caste ne peut-il pas disparaître ?

C’est comme si je vous demandais pourquoi vous fêtez la prise de la Bastille chaque 14 juillet alors que la Révolution a amené la Terreur en France, si je me souviens bien de mes cours. C’est Robespierre qui a été le précurseur du terrorisme que l’on connaît aujourd’hui selon moi, vous avez tranché des têtes, vous avez fait souffrir énormément d’innocents, mais vous fêtez le sang qui a coulé, encore trois siècles après. C’est comme ça, c’est inscrit dans ma culture. L’Inde est multiculturelle, les religions sont toutes représentées ici mais elles suivent toutes les directives hindouistes qui ont établi le système de castes. Cela fait partie de notre histoire, il n’y a rien à ajouter, juste l’accepter. Si je ne suis pas né Brahmane dans cette vie-là, c’est peut-être parce que je n’ai rien fait dans la précédente pour améliorer ma situation. C’est une question de karma. L’essentiel pour ma population désormais, c’est de réaliser que malgré les erreurs de leurs vies précédentes, ils n’ont pas à être exploités de façon cruelle par les autres, qu’ils sont aussi des humains. Ensuite, la vie redeviendra un peu plus normale pour nous sans relations trop haineuses.

Qu’est-ce que votre communauté attend de vous qui avez réussi, étudié et d’une certaine manière échappé à ce système ?

Les gens de mon village me voient comme une sorte de protecteur. Ils espèrent beaucoup comme le fait que j’aide notre société a évolué dans le bon sens, que des progrès rapides surviennent dans notre communauté, etc. Le système de castes malheureusement je ne peux pas l’effacer. Néanmoins, je peux permettre qu’une conscience collective soit créée. Nous ne sommes les esclaves de personne, et quand mes frères le comprendront nous pourrons enfin établir notre révolution à travers les clés que nous a donné la démocratie pour rester non-violents et sages. Nous ne croyons pas, comme vous en France lors de votre révolution, aux relations sanguinaires. Nous pensons que chacun doit être protégé des plus hautes classes aux moins avantagées.

Avez-vous quelques influences sur l’échelle politique indienne ?

A vrai dire, la Constitution établit le fait que toutes les classes sociales sont censées être protégées sous la loi indienne. Malheureusement, dans les faits, ce n’est pas réellement appliqué. Les Dalits peuvent voter bien sûr, et nous avons quelques sièges au Parlement mais les gens qui nous représentent ou disent nous représenter travaillent pour leur parti uniquement, pas pour les Dalits. C’est ce que vous appelez de la « politique politicienne » dans votre pays, c’est ce que j’appelle aller droit vers la corruption mais au moins, il y a un début de conscience politique pour notre cas, même si je sais que c’est voué à l’échec.

Pourquoi cette vision pessimiste?

Nous vivons dans une société multiculturelle, vous croyez vraiment qu’une communauté peut voir ses propres intérêts représentées alors que nous vivons dans une sorte de coalition ? Ce sera les intérêts des plus forts qui primeront, nous avons gagné des sièges juste au nom de la « démocratie » ou du moins, de la vision que les autres pays peuvent en avoir. L’Inde est considérée comme la plus grande démocratie du monde, non ? Les sièges que l’on a obtenus c’est uniquement pour faire joli dans le système qui semble si pertinent et si ouvert. Mais en réalité, notre peuple ne représente pas grand-chose au niveau politique, juste une bonne image pour l’Inde.

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Florence CARROT
Etudiante en sciences politiques à l'Université Lyon 2 et ayant la chance de passer un an en Inde,... En savoir plus sur cet auteur