"Beyrouth Blues" ou la culture de la haine

2 Juin 2012



2006. À l'heure où les bombes tombent sur le Liban. L'État d’Israël est rongé par un sentiment de haine, d'incompréhension face à ce que le Hezbollah (« parti de Dieu » au Liban, ndlr) a osé perpétrer. L’enlèvement de deux soldats de l’armée israélienne est un délit, un outrage que Tsahal1 se refuse de pardonner. Si le Liban veut la guerre, il l’aura. Trente-trois jours durant, les soldats israéliens se déchaînent contre les régions les plus importantes du Liban, la cruauté primant sur la raison, transformant Beyrouth en un champ de bataille puis en un lieu apocalyptique. Les protagonistes de la pièce d'Israël Horovitz « Beyrouth Blues » s'interrogent et se disputent jusqu'à établir ce questionnement : « Israël ou les juifs ? », qui est coupable ? Beyrouth Blues retranscrit une réalité inimaginable, un enfer vécu par des gamins insouciants qui ont été bercés par une haine incompréhensible quand on ne l’a pas vécu. A travers cette pièce, Horovitz nous révèle à quel point la déchirure entre celle qu'on appelle la « Terre Sainte » ou parfois « l'État sioniste » et les autres états du Moyen Orient est profonde.


"Beyrouth Blues" ou la culture de la haine
Tout commence dans un hôtel à Beyrouth durant l’été 2006. Quatre jeunes américains, encore la vingtaine, venus à Beyrouth pour leurs études, se retrouvent coincés dans un hôtel dont ils ne sont pas sûrs de sortir vivants. Ils communiquent malgré l'ambiance macabre afin de penser à autre chose que la mort si proche. Pourtant au fil des confidences, la tension devient grandiloquente. Se racontant leurs vies, dans le but de se rassurer, le caractère de chacun se dévoile. On découvre alors l’opinion politique et religieuse des uns et des autres. Beyrouth Blues est une pièce très engagée et particulièrement centrée sur une conversation insoutenable entre Benji, un juif, et Nasa, une arabe. La pièce souligne le tabou qui existe sur l’évocation d’Israël face aux États arabes. Il met le doigt sur la corde sensible, là où les malentendus s’enchaînent. Le stéréotype du juif qui sera toujours tenté de croire qu’un arabe lui veut du mal et vice versa constitue le fil conducteur du jeu des comédiens. On entre dans une ère dramatique, celle d’une haine sans nom que nul ne peut comprendre sans faire partie véritablement de l’un des deux camps. La pièce se construit autour d'un jeu d'acteurs qui fonctionnent de façon à ce que le public entre dans une sorte de « secte » de la violence non physique, mais dans une ambiance quelque peu malsaine et paranoïaque. Horovitz met, par ailleurs, l’accent sur la propagande qui existe, du côté d’Israël comme du côté palestinien. À Nasa d'affirmer par exemple que les ennemis « sont les juifs particulièrement et pas en général ». Sur des communiqués du Hamas (mouvement de résistance islamique au Liban), le juif est représenté dès l'enfance comme le « méchant ». Benji, lui aussi, va se sentir menacé. Il agresse à son tour Nasa en affirmant que la jeune fille a une bombe sur elle, et qu’elle veut tous les tuer. Bel exemple de stigmatisation des arabes que les israéliens relient très facilement aux kamikazes.  Tentant de les calmer, les deux autres héros, Sandy et Jake, sans religion apparente dans le texte, font office d’intermédiaires mais seront victimes de leur neutralité. La pièce est prenante, très oppressante jusqu’à la dernière phrase. On comprend le drame vécu par Nasa qui a perdu sa famille lorsque des missiles israéliens ont détruit sa maison et toute sa vie suite à une erreur fatale. La haine de Benji envers Nasa n’en sera pas moins accentuée, il réagira comme un animal en furie habité par la peur et la folie. Il sera pris d’une telle crainte et cruauté qu’il deviendra un véritable lâche. Lui, ainsi que ses deux autres camarades, après l’avoir soupçonné, vont mettre Nasa à l'épreuve. La pièce deviendra alors encore plus dérangeante. La lire permet de réfléchir à l’étiquetage pratiqué bien trop régulièrement dans nos sociétés. La voir vous prend au cœur, vous tiens bouche-bée jusqu’à la fin, ne sachant pas s’il faut hurler ou pleurer. Le conflit israélo-palestinien fait des victimes des deux côtés. Aucun d’entre eux n’arrive à se comprendre car leur éducation a été faite ainsi et il est assez rare surtout quand le clivage est si marqué de revenir sur le processus de socialisation de l’enfance pour changer les valeurs intégrées et partagées par sa propre patrie. Les normes et les valeurs enseignées sont malheureusement inhumaines puisqu’elles ne consistent qu’en la haine et le mépris de l’autre. Beyrouth Blues montre du doigt tous ces Hommes qui ne font rien pour mettre fin à ce conflit. Les Hommes aveuglés ici ou là-bas par cette guerre qui dure depuis maintenant trop longtemps.

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Florence CARROT
Etudiante en sciences politiques à l'Université Lyon 2 et ayant la chance de passer un an en Inde,... En savoir plus sur cet auteur