Weekend à Belfast, la silencieuse

2 Décembre 2013



Quitter l’agitation dublinoise et partir à l’aventure à Belfast le temps d’un weekend. Traverser la frontière inexistante et pourtant si problématique d’une île coupée en deux. Découverte de Belfast, la silencieuse, là où le passé façonne le présent.


Peinture murale représentant Bobby Sands | Crédits photo : Lauren Konopacz/Le Journal International
Peinture murale représentant Bobby Sands | Crédits photo : Lauren Konopacz/Le Journal International
Lorsque l’on est étudiant à Dublin, Belfast fait figure de contrée exotique. Quitter l’agitation de la petite capitale républicaine pour plonger, le temps d’un weekend, dans les rues silencieuses de Belfast la royaliste, de cette capitale britannique à deux pas du sol républicain. Seconde ville d’Irlande et éternelle rivale de Dublin, Belfast est à l’image du Titanic : un monument grandiose, un vestige du temps passé aujourd’hui gris et inerte.

Venir à Belfast pour quelques jours c’est se préparer à revenir aux sources du conflit irlandais. Il faut être conscient qu’en traversant la ligne invisible qui sépare l’Ulster des trois provinces républicaines, le voyageur s’apprête à faire un saut dans le passé. Car Belfast, tout en étant l’image de l’Irlande protestante et colonisée, reflète aussi des clichés venus d’un temps pas si lointain où, sur cette bande de terre d’à peine 24 000 km², tant de vies ont été brisées par le nationalisme. À l’image de son drapeau sur lequel figure la main sanglante d’Ulster, censée représenter la main tranchée qu’un des prétendants scandinave au trône d’Ulster aurait lancé depuis son embarcation pour prendre possession des terres nord-irlandaises. Cette main sanglante d’Ulster résume à elle seule les conflits auxquels la capitale nord-irlandaise a été confrontée.

Du Titanic à l’iceberg isolé

L’histoire de Belfast tourne autour d’une industrie : la construction navale. Les gigantesques chantiers navals Harland & Wolff, autrefois fiers d’avoir donné naissance au Titanic sont aujourd’hui aussi délaissés que ce dernier au fin fond de l’Atlantique. Au siècle dernier, pour servir un Empire britannique sur lequel jamais le soleil ne se couche, la marine royale installe ses arsenaux et chantiers navals dans l’industrieuse et très protestante Belfast. La ville, alors capitale économique de l’Irlande, n’a rien à envier à la miséreuse et catholique Dublin.

Si cette dernière reste la capitale économique, c’est à Belfast que se joue le sort économique de l’Irlande. Guidée par les marchands presbytériens venus d’Écosse suite aux différentes plantations qui ont repoussé les catholiques dans les terres arides du Connaught dans l’Ouest de l’Irlande, Belfast prospère. Des industries, des magasins, des entrepôts sortent de terre et attirent à eux des milliers de travailleurs, protestants et catholiques, venus dans l’espoir d’obtenir du travail. Des milliers d’entre eux participeront ainsi à l’aventure navale britannique sans jamais quitter les terres de l’Ile d’Émeraude. Un succès économique véritable. C’était sans compter qu’en Irlande, nationalisme et religion font toujours partie de l’Histoire.

Alors que Dublin se soulève durant l’Insurrection de Pâques en 1916 qui s’achèvera en guerre d’indépendance puis en guerre civile en 1921-1922, Belfast se transforme. Sous les poussées nationalistes, syndicalistes et républicaines, l’Ulster est définitivement coupée de l’Irlande lors de la partition de l’île en 1921. Du jour au lendemain, tout en vivant toujours dans le même quartier, des milliers d’Irlandais catholiques deviennent citoyens britanniques dans un État protestant. D’une majorité catholique dans une nation catholique, les Irlandais catholiques se retrouvent en minorité dans une Ulster protestante.


La descente aux enfers

Et c’est là que la descente aux enfers de Belfast commence. Les lois unionistes de la majorité protestante au Parlement d’Irlande du Nord mettent à mal les catholiques qui sont licenciés, au profit de travailleurs protestants. Le pouvoir protestant, qui satisfait son camp, est constamment réélu tandis que les catholiques se tournent de plus en plus vers les solutions radicales de l’Irish Republican Army, l’IRA. Savoir qui des catholiques ou des protestants a le premier ouvert les hostilités est aujourd’hui difficile. Les touristes qui auront effectué la visite des murs peints de Belfast dans l’un des nombreux Black Cab Tour auront eu une vérité différente selon le chauffeur. Ils auront peut-être entendu parler des incendies de Bombay Street, attribués aux fanatiques unionistes de l’Ordre d’Orange (protestants), tout comme ils auront pu sentir la tension qui règne dans le quartier protestant de Shankill.

À Belfast, seuls les murs parlent : peintures murales à l’effigie de Bobby Sands, ce rebelle catholique et nationaliste qui tiendra tête à Margaret Thatcher et finira par mourir de faim dans sa prison de Maze, après avoir été voté membre du Parlement à Westminster par ses confrères catholiques. Peintures militaires à Shankill rappelant que de ce côté du mur, l’Ulster Volunteer Force veille à ce qu’aucun catholique ne traverse les murs barbelés et les portails en acier qui chaque soir se ferment sur ce bastion protestant où flotte encore l’Union Jack.

Car, à Belfast, la nationalité est un problème. Les Irlandais du Nord ont deux passeports : l’un britannique, l’autre républicain. Alors qu’il avait droit aux deux passeports, mon chauffeur m’a bien fait comprendre que jamais au grand jamais il n’adresserait sa demande à Whitehall (siège de l’administration britannique à Londres, ndlr) pour obtenir son titre de sujet de Sa Majesté. S’il paie ses impôts à la Couronne, c’est bien la seule faveur qu’il leur fera. Mais pour combien de temps encore devra-t-il verser une partie de son salaire de l’autre côté de la mer d’Irlande ? Car si les Unionistes protestants clament leur appartenance à la Couronne et au Royaume, Londres se fatigue de devoir calmer les ardeurs d’une frange de la population qui ne se résout pas à trinquer de bon cœur avec ses voisins catholiques.

L’Irlande du Nord est l’une des régions les plus pauvres du Royaume-Uni, peu d’industries, une masse ouvrière abandonnée suite aux nationalisations des chantiers navals dans les années 1970-1980. Seuls subsistent quelques grands magasins à consonance britannique, souvent vides, ouverts plus pour rappeler que de ce côté des barbelés, c’est « business as usual », mais en livres sterlings s’il vous plaît. Le processus de décentralisation mené par Tony Blair et les interrogations liées au résultat du futur référendum sur l’indépendance écossaise font craindre aux protestants unionistes qu’un scénario similaire ne les coupe d’une perfide Albion qui ne voit guère d’intérêt à conserver cette infime partie d’un Empire en lambeaux.

Crédits photo -- Alison Leigh Lilly
Crédits photo -- Alison Leigh Lilly

Murée dans son statu quo

Les murs peints ne suffisent à égayer la ville ni à faire oublier qu’un drame incroyable s’est joué ici et qu’il y a quelques années encore les balles remplaçaient les ballons des enfants. Les barbelés, portes en acier et autres grillages qui protègent les maisons rappellent plus une zone de guerre qu’une province de l’Union européenne et la main, autrefois tendue de la République irlandaise, semble s’être perdue dans les méandres d’une crise économique qui a affaibli l’île toute entière.

Belfast est à présent à l’image de sa population : silencieuse. Si les pubs et les restaurants s’illuminent dès 17h à Dublin, au nord il n’en est rien. Les magasins vides d’acheteurs résonnent des quelques mouettes qui s’aventurent dans l’eau glacée de la rivière Lagan et à 22h, les vitrines s’éteignent tandis que je retourne dans mon auberge située à deux pas d’un squat en briques noircies. Tandis que les messages de paix et de fraternité que j’ai vu peints sur les murs ce matin s’impriment sur l’écran de mon appareil, c’est cette ligne de Simple Minds qui me revient en tête à l’heure où je quitte la ville : « The streets are empty, the streets are cold/won’t you come on home, won’t you come on home ».

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Maxence Salendre
Amoureux des langues et cultures étrangères, je conjugue mes rêves en anglais, sur l’île... En savoir plus sur cet auteur



1.Posté par thib le 14/12/2013 10:41
Silencieuse!? Si les rues étaient vides c'est probablement parce que les pubs étaient pleins! Filthy McNasty's, Duke Of York, McHughs, The Bot, Fiber Magees, Cuckoo, Kelly's Cellar, Bittles pour ne citer qu'eux font partie de ces petites merveilles de Belfast, où les gens sont authentiques et prêts à partager leurs histoires, les belles et les moins belles.
Elle n'est pas extravagante, mais elle est tout sauf silencieuse cette ville!! Ça mériterait probablement un deuxième weekend ;)

2.Posté par Petit Jean le 14/12/2013 13:30
Bonjour,
il semble que vous n'acceptez pas les commentaires qui ne vont pas dans le sens de vos idées, dommage pour le journalisme.

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