United Kingdom and CCTV are watching you

Pierre d'Almeida, correspondant à Londres
1 Octobre 2013



Lundi 23 septembre, c’est une caméra de la gare de London Waterloo qui a repéré Esme Smith, adolescente de 14 ans, déclarée disparue deux jours plus tôt. Si ce genre d’événements semble légitimer ponctuellement la présence d’un système de vidéosurveillance aussi développé, sa privatisation progressive pose la question d’une psychose de proximité.


Bansky, One Nation Under CCTV (2008) l Crédits photo -- oogiboig
Bansky, One Nation Under CCTV (2008) l Crédits photo -- oogiboig

Londres, et le Royaume-Uni de manière générale, ont longtemps été blâmés pour avoir élevé la vidéosurveillance généralisée au rang de tradition. Les habitants de la capitale britannique sont néanmoins connus pour leur sens de l'honnêteté et leur bon sens de la citoyenneté. Des affiches de Transport for London qui demandent poliment à ses clients de ne pas passer leurs nerfs sur son personnel, au détail précis des amendes pour incivilité constamment mis à la disposition des Londoniens, toute l’information est à portée d’oeil. Cette transparence est plus que visible avec les messages qui précèdent le traditionnel « mind the gap » sonore dans les couloirs du métro : « CCTV [Closed-circuit Television] is broadcasting on these premises »* (« Ces lieux sont placés sous vidéosurveillance »). Tout le monde est filmé en permanence, et chacun semble s’en accommoder.

Un nombre croissant de caméras de vidéosurveillance se partage le territoire britannique depuis près d’une vingtaine d’années (500 000 dans la seule ville de Londres, 5 millions pour le Royaume-Uni tout entier en 2013). Leur introduction dans les années 1990 fait suite à plusieurs séries d’expérimentations préalables sur le territoire. Il faut néanmoins garder à l’esprit que seule une infime partie n’est d’utilité publique à proprement parler et est effectivement gérée par des dispositions gouvernementales. Si le système mis en place il y a près de vingt ans par la ville de Londres visait dans un premier temps à prévenir les incivilités du quotidien (parking illégal, fraude à la taxe d’entrée dans la ville, irrespect du code de la route) et le crime, son développement à grande échelle, induit notamment par les émeutes londoniennes de 2005, semble avoir renforcé une névrose de proximité.

Filmer les autres pour se protéger soi

Une recherche menée par la British Security Industry Association a récemment établi que sur les cinq millions de caméras en opération, 1,5 % seulement sont effectivement gérés par les pouvoirs publics en charge. Ce sont ces caméras là, gérées conjointement par les autorités locales et les services de police, qui mettent leurs enregistrements des rues, des écoles, et des transports en commun (52 caméras en moyenne sont réparties sur les 250 stations du réseau de métro londonien) à la disposition des citoyens du Royaume-Uni.

L’écrasante majorité de ce dispositif est en effet le fruit d’initiatives d’origine privée et couvre une diversité étonnante de lieux : des compagnies de train aux stations d’épuration en passant par les fermes, les boutiques, les salles d’enchères et les décharges. Il vise, dans ces cas là, à assurer la protection de la sacro-sainte propriété privée, à prévenir les vols et délits et à garantir à tout prix la sécurité des endroits concernés, annihilant par conséquent toute idée d’un État Big Brother que d’aucuns semblaient dénoncer. Puisque cette vidéosurveillance n’est que très peu souvent publique, le télécran omniscient que décrivait le londonien George Orwell dans 1984 ne semble qu’illusoire, mais la situation d’aujourd’hui n’en est pas moins inquiétante.

Vers une justice des particuliers ?

Il convient de rappeler qu’en dépit du développement des techniques de surveillance, l’objectif de résolution, voire d’anticipation des crimes, est encore au stade embryonnaire. La vidéosurveillance au Royaume-Uni vise en effet avant tout à fournir des preuves dans toutes les affaires possibles. En dépit de ces nobles intentions de retrouver ledit criminel, tâche dans laquelle le citoyen lambda est souvent mis à contribution, les services de police britanniques n’affichent qu’un faible taux d’élucidation des affaires criminelles.

En 2008, un rapport de la police britannique a conclu que la vidéosurveillance ne permettait de résoudre que 3 % des crimes. La même année, un rapport de la Metropolitan Police de Londres explique qu’un crime est résolu pour 1000 caméras. Ce que l’on peut considérer comme le développement d’un système parallèle et privé de vidéosurveillance pose par ailleurs la question d’une « privatisation du système de justice ». En 2009, un site Internet proposait même de payer des particuliers pour regarder en continu des images enregistrées par le système et de prendre bonne note de tout crime qu’ils auraient repéré, en l’absence de personnel de surveillance suffisant.

Un manque d’efficacité du système de surveillance public et une absence de régulation sur l’équipement privé qui suscitent un véritable problème de société de la surveillance, et semblent instaurer une « psychose du voisinage ». Un système qui encourage la délation et déresponsabilise quelque part les services de police. Ce samedi 21 septembre 2013, l’enregistrement d’un homme ayant volé une soixantaine de stylos plume dans un supermarché de Loughton (Essex, Sud-Est de l’Angleterre)a été rendu public. Chaque citoyen reconnaissant l’homme sur la vidéo étant invité à contacter anonymement la police dans les plus brefs délais.

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