Union eurasiatique : le Kazakhstan victime du « syndrome de Stockholm »

La rédaction de Francekoul.com
5 Mai 2014



L’Eurasie, regroupement de deux continents, évoque aussi un concept d’intégration régionale des ex-républiques soviétiques, souvent présenté par ses détracteurs comme étant guidé par la Russie et un président nostalgique de l'espace soviétique. Focus.


Les présidents Nazarbayev, Loukachenko et Poutine à l'occasion de la réunion du haut conseil économique eurasiatique, le 29 avril 2014. Crédit : Kremlin.ru
Les présidents Nazarbayev, Loukachenko et Poutine à l'occasion de la réunion du haut conseil économique eurasiatique, le 29 avril 2014. Crédit : Kremlin.ru
Le 16 avril dernier, les Premiers ministres russe, biélorusse et kazakhstanais ont déclaré vouloir signer l’accord sur l’Union eurasiatique « après une mise au point finale », rapporte l’Ambassade de France à Astana. Pourtant, une partie de la population kazakhstanaise exprime son hostilité envers  cet accord, qu'elle juge contraire aux intérêts du pays. 

Le projet d’Union Economique Eurasiatique. Crédit : Courrier International
Le projet d’Union Economique Eurasiatique. Crédit : Courrier International
Le 13 avril, à Almaty, 500 experts et citoyens kazakhstanais ont participé au forum anti-eurasiatique. Leur hostilité envers la signature de cet accord est d'ordre économique : l’Union serait très peu profitable pour le Kazakhstan, les avantages ne justifiant pas les contraintes. D’autant plus que la « politique économique commune », un des points essentiels de l’accord, s'entendrait comme un alignement  sur la politique du Kremlin. L’alignement du tengué kazkah au rouble russe a déjà  causé des dégâts importants à l’économie kazakhe suite à la dévaluation brutale du rouble le 10 février dernier. L’opinion publique kazakhe avait alors violemment critiqué ce « mardi noir ». 

De nombreux internautes ont exprimé leur soutien aux contestataires d'Almaty. Méfiants vis-à-vis du Kremlin et indignés par l’annexion de la Crimée, ils y voient l'expression de la suprématie russe contre ses voisins et alliés, et souhaitent voir stopper le processus d’adhésion du Kazakhstan.

La Russie n’hésite pas à mener « des guerres commerciales », peut-on lire sur le site de Radio Azattyk. En 2013, les services de sécurité sanitaire russes avaient ainsi interdit l’importation des produits de la marque de confiseries ukrainienne Roshen. Ils y auraient trouvé du benzoprène. Des allégations que leurs homologues kazakhstanais n’ont jamais confirmé, rejetant de fait les règles dictées par Moscou. Tous les pays de l’ex-URSS n’ont visiblement pas envie de partager toutes les politiques de la Russie.

Un timbre russe vantant les mérites de l’Union Economique Eurasiatique. Crédit : Wikimedia Commons
Un timbre russe vantant les mérites de l’Union Economique Eurasiatique. Crédit : Wikimedia Commons
Le projet de l’accord sur l’Union eurasiatique, disponible sur le site du Ministère du développement économique de la Fédération de Russie, intègre les objections émises par le  Kazakhstan contre cette politique unique, précise Radio Azattyk. Astana propose plutôt « des mesures coordonnées » et « une politique accordée ». Parmi les points de désaccord, la planification stratégique commune et le marché commun des services de transport, rejetés par le Kazakhstan. 

Un malentendu sur la voie de l’intégration

Le concept d’intégration des anciens pays soviétiques est loin d’être nouveau et a été pensé dès la chute de l’URSS. Au premier rang des candidats à la refonte de l’ancien bloc : la Russie et quatre anciennes républiques soviétiques. En 2000, avec la Communauté économique eurasiatique (CEE) - Eurasec en anglais - la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et la Russie créent une organisation intergouvernementale dont l'objectif est d'accomplir les missions voulues dès 1991 par la Communauté des États indépendants (CEI) visant à l’intégration économique régionale de l'espace post-soviétique avec la mise en place d'un véritable marché commun et d'une frontière douanière unique. Cette première formation intergouvernementale, qui comptait dix ex-républiques soviétiques, a connu de nombreux échecs.
 

Présentée comme une « Union supranationale puissante » par Vladimir Poutine, l’Union économique eurasiatique suscite des opinions divergentes. D’abord, entre les dirigeants eux-mêmes. Tolganaï Oumbetaliyeva, politologue du Centre centrasiatique pour le développement de la démocratie, rappelle sur Radio Azattyk, que pour le président russe l’Union économique eurasiatique est « avant tout politique ». Le Président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, qui a joué un rôle moteur dans la création de l’Union eurasienne (UEE), souligne quant à lui la nécessité de « créer d’abord une union économique ». Mais si le débat sur la nature de cette union reste ouvert, c'est son principe même qui pose problème. 

Russie-Asie centrale, entre attirance et repoussement

C’est le président du Kazakhstan, le premier, qui a évoqué, en 1994, cette idée d'Eurasie comme un projet économique pour les ex-républiques soviétiques. Mais au vu de l’expérience mitigée de l’Union douanière, cette idée est-elle toujours aussi attrayante ? 
 

D’après le site d’information Argumetua.com, l’Union douanière, instaurée en 2010, a imposé au Kazakhstan la hausse des frais de douanes pour les importations extérieures à l’Union. Une contrainte qui a principalement affecté les marchandises venues de Chine et d’Europe, les deux premiers partenaires commerciaux du Kazakhstan.

Julien Vercueil lors d'une conférence sur « L'Eurasie vue de Russie : les enjeux de l'intégration économique régionale » au Festival géopolitique de Grenoble le 3 avril 2014. Crédit : Festival géopolitique de Grenoble
Julien Vercueil lors d'une conférence sur « L'Eurasie vue de Russie : les enjeux de l'intégration économique régionale » au Festival géopolitique de Grenoble le 3 avril 2014. Crédit : Festival géopolitique de Grenoble
Pourtant, l’Union douanière, tout comme l’Union eurasiatique, arrivent à séduire certains gouvernements d’Asie centrale. Le Kirghizstan et le Tadjikistan « frappent à la porte » de l’Union eurasiatique, selon les termes employés par Julien Vercueil, maître de conférence à l’Institut National des Langues et Civilisations orientales (INALCO), lors du Festival de Géopolitique de Grenoble le 3 avril dernier. Malgré les craintes de la population kazakhe que l’Union eurasiatique (CEE) puisse associer à tort le nom du pays aux politiques étrangères menées par la Russie, le gouvernement Kazakhstanais reste déterminé à intégrer cette Union. 

Pour expliquer une telle constance dans les relations entre le Kazakhstan et la Russie, Isabella Damiani, enseignante et chercheuse à l'Université de Versailles et spécialiste de l’Asie centrale, parle dans son livre 'La Géopolitique de l’Asie Centrale' de « syndrome de Stockholm de l’Asie centrale ». Ce phénomène psychologique, qui rend les geôliers sympathiques à leurs prisonniers, renvoie d'une manière assez fidèle à l’histoire des relations entre la Russie impériale et l’Asie centrale. Au XVIIIème et au XIXème siècle, le Kazakhstan puis le Kirghizstan et le Tadjikistan actuels entrent dans l’empire russe. Sous le pouvoir soviétique, de nouvelles entités administratives sont créées. Après la chute de l’URSS, ces nouveaux États formeront, entre autres, les cinq Républiques d’Asie centrale. Lors de son intervention en avril au Festival de Géopolitique de Grenoble, Isabella Damiani, se demandait si Vladimir Poutine ne voudra pas « tester la fidélité » des anciens  satellites de Moscou. 

« Restaurer les relations économiques »

Isabella Damiani, spécialiste de l’Asie centrale, le 5 avril 2014, lors de son intervention sur « L'Eurasie vue d'Asie Centrale » pendant le Festival de Géopolitique de Grenoble. Crédit : Festival géopolitique de Grenoble
Isabella Damiani, spécialiste de l’Asie centrale, le 5 avril 2014, lors de son intervention sur « L'Eurasie vue d'Asie Centrale » pendant le Festival de Géopolitique de Grenoble. Crédit : Festival géopolitique de Grenoble
La géopolitologue souligne néanmoins que cette fidélité peut avoir ses limites. Le Kazakhstan de Nazarbayev peut ne pas accepter de plier sur les questions de politique étrangère. Officiellement, le Kazakhstan a reconnu le rattachement de la Crimée à la Russie comme la volonté du peuple de Crimée. Mais pouvait-il faire autrement ? Le site kazakhstanais Zakon.kz a révélé que, lors de l’échange téléphonique avec le président américain en mars dernier, les deux chefs d’État se sont accordés sur importance de soutenir les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale. Historiquement, les relations entre le Kazakhstan et l’Ukraine ont toujours été bonnes, et Astana n’aurait pas envie de changer cet état des choses.

Lors de la réunion du 16 avril à Moscou, le Premier ministre du Kazakhstan, Karim Massimov, a averti ses homologues que « le Kazakhstan et l’Ukraine avaient convenu de restaurer leurs relations économiques ». Une ambiguïté dans la politique étrangère kazakhstanaise qui vise à conserver Moscou comme « partenaire stratégique ». Entre ses intérêts propres et son entente avec la Russie, la ligne est ténue pour le Kazakhstan. 
 


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