Un aller simple pour Sevil Sevimli

9 Octobre 2012



Le Journal International est allé à la rencontre de Sinem Elmas, porte-parole de Sevil Sevimli. Suspectée par le gouvernement Erdogan d'être la dirigeante d'un groupe terroriste d'extrême gauche, elle encourt jusqu'à trente-deux ans de prison. Sans preuves ni fondements, pourquoi les autorités s'acharnent-elles à vouloir la condamner ? Explications sur des enjeux ethniques, religieux et géopolitiques.


Un aller simple pour Sevil Sevimli
Depuis plus de six mois, Sevil Sevimli, étudiante en 3ème année d'Information-Communication à Lyon 2, vit un véritable cauchemar. Dans la nuit du 9 mai, à Eskisehir, Sevil s'est vu arrêtée par les forces de police, de manière assez violente et sans aucun motif. Après de longues heures d'un interrogatoire que l'on suppose musclé (violences verbales et physiques), Sevil est emprisonnée près de trois mois dans des conditions inhumaines. Mais pourquoi a-t-elle été interpellée? Selon la justice, l'étudiante lyonnaise dirigerait un groupe terroriste d'extrême gauche. Les chefs d'accusation retenus contre elle sont pour le moins insolites pour une peine si importante, puisqu'elle est jugée pour «propagande de groupe», «participation au défilé du 1er mai», «participation au concert de Yorum», rassemblant plus de 350 000 personnes ainsi que «vente de billets», «collage d'une affiche pour la gratuité de l'enseignement», «participation à une commémoration d'un homme tué lors d'une manifestation» et «participation à un pique-nique étudiant». Comme pour les Pussy Riots, Yorum est un groupe militant contre le gouvernement, arrêté et violenté le 24 Septembre dernier.

« Si vous n'êtes pas avec le gouvernement, alors vous êtes un terroriste »

Comment une étudiante sans histoire peut-elle encourir une peine de 32 ans de prison ? Les raisons de cette arrestations ont d'autres origines. Sevil cumule trois «défauts» que la Turquie ne permet pas: elle est kurde, alévie (une minorité religieuse issue de la branche chiite de l'islam) et de gauche, à l'inverse du gouvernement sunnite et conservateur. La police, fière d'avoir retrouvé des magazines et livres ouvertement à gauche, utilise cette découverte pour l'inculper de mouvance d'extrême gauche.
Mais comment la justice a-t-elle su pour l'affichage ? Pour le défilé du 1er mai ? Selon Sinem Elmas, elle aurait été suivie dès le début de son arrivée sur le territoire turc, du fait de sa religion et son origine. Il est important de rappeler que Sevil est arrivée en Turquie avec un titre de séjour français, mais considéré comme nul dans un pays qui ne reconnaît pas la double nationalité. Autant dire que l'étudiante est jugée comme une citoyenne turque ordinaire. Il est, vous l'aurez compris, encore plus difficile pour une étudiante combattant la liberté d'expression d'être d'origine kurde, rapidement affiliée au PKK. Car depuis l'arrivée d'Erdogan, la communauté kurde a été poursuivie par des lois anti-terroristes utilisées contre des journalistes, philosophes et étudiants. On recense 2824 personnes emprisonnées, dont 700 étudiants et 1100 lycéens.
De nombreuses raisons peuvent expliquer cette folle histoire. Erdogan a-t-il voulu donner une leçon à la France, se vengeant de son projet de reconnaissance du génocide arménien ? Que d'hypothèses pour ce remake de «Midnight express».

« On s'attend à tout. Nous voulons un procès équitable »

Un aller simple pour Sevil Sevimli
Le 26 septembre dernier, Sevil pensait vraiment être acquittée. Mais avec stupeur, la séance est reportée au 19 novembre prochain. Selon Sinem Elmas, la justice cherche des preuves qu'ils n'ont pas: «ils n'ont rien. De simple photos du 1er mai où elle n'apparaît même pas». En attendant, Sevil est à Marras, dans la campagne natale de sa famille en compagnie de sa mère et de son petit frère. Le père, lui, ne peut retourner en Turquie, où il risquerait la prison pour ne pas avoir effectué son service militaire. Mais la famille reste confiante, le Consul de France à Istanbul, Hervé Magro, appuyant son soutien dans l'affaire. Une affaire qui montre que la Turquie n'est pas prête à entrer dans l'Union Européenne, clamant sa démocratie qui n'est que la façade d'un pays aux méthodes archaïques. Sevil défend dans un pays antidémocratique les valeurs françaises que sont la liberté, l'égalité et la fraternité. Des valeurs apparemment considérées terroristes au pays de Mustafa Kemal Atatürk.

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Geoffrey Saint-Joanis
ex-Rédacteur en chef du Journal International, accro à l'histoire des monarchies européennes, aux... En savoir plus sur cet auteur