Ukraine : les transports en quête de grande vitesse

Yuri Martynenko, correspondant à Kiev
8 Janvier 2014



Victimes d’une négligence totale et de manque d’investissements, les trains ukrainiens ressemblent plus à des antiquités qu’à des moyens de transport. Un projet ambitieux pour que les Ukrainiens puissent voyager confortablement et à grande vitesse a fait un véritable flop. Décryptage d’un fiasco économique.


© Bohdan Repetylo
© Bohdan Repetylo
Si la France a des concurrents en Europe en terme de territoire, c’est bien l’Ukraine. Le vaste pays de l’est de l’Europe s’étend sur 1400 kilomètres d’est en ouest proposant aux voyageurs tout un éventail de vues magnifiques. Mais pour les admirer, il faut bouger, et c’est là où commencent les problèmes. Depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine exploitait l’héritage de l’URSS pour que les citoyens puissent traverser le pays tant bien que mal. Tout de même, si les nids-de-poule sur les autoroutes ont été réparés au moins sur certains tronçons importants, les voies ferrées restaient négligées pendant les vingt dernières années. Les résultats n’ont pas tardé : trains désuets, parfois imprégnés d’une odeur dégoûtante, chefs de wagon désagréables et grossiers, mais surtout une durée de trajet hallucinante. Faute d’investissements en infrastructure ferroviaire, la vitesse moyenne de train ne dépasse actuellement pas les 70 km/h. Une fois installé dans une voiture, l’impression que le temps s’est arrêté peut être bien réelle. Le trajet direct entre Kharkiv, ville importante à l’est d’Ukraine, et Lviv située près de la frontière occidentale, prend au total 18h40. Et ce bien que la distance entre ces villes ukrainiennes soit égale à celle entre Lille et Marseille, reliées par un TGV qui traverse 1000 km en moins de cinq heures.

Une affaire mal ficelée

Une lumière est apparue au bout du tunnel en 2011, quand l’Ukraine était en pleine préparation pour l’Euro 2012. Il a fallu créer les conditions satisfaisantes pour les supporters étrangers, les quatre villes organisatrices – Kiev, Kharkiv, Donetsk et Lviv – ont été reliées par les trains tout nouveaux. Parmi les possibles entrepreneurs, le choix est tombé sur le géant sud-coréen Hyundai. En mai 2012, le premier train a démarré de Kiev à Kharkiv. Très médiatisé, ce voyage devait prouver que le pays avait laissé une époque pénible de trajets de 18 heures derrière lui. Les passagers ayant pris place à bord du TGV Hyundai s’attendaient à voir les chef de wagon souriants, le Wi-Fi gratuit, le confort à la hauteur de leurs attentes et la vitesse promise de 160 km/h. La déception était grande. Vingt minutes après le départ, le train s’est arrêté pour une raison technique. La vitesse moyenne ne dépassait pas 100 km/h et finalement les passagers sont arrivés avec vingt minutes de retard. Pour couronner le tout, malgré les promesses de techniciens, le Wi-Fi ne marchait pas.

Si les Ukrainiens ont le droit de se plaindre, c’est parce que depuis le lancement du projet Hyundai, les problèmes apparaissent régulièrement. En hiver 2012, d’importantes pannes ont perturbé le trafic des dizaines de fois. Les passagers malchanceux ont dû attendre quelques heures dans les voitures sans chauffage avant l’arrivée de train de secours. Les images avec des gens confus dans un train en panne au milieu d’un champ quelque part entre Kiev et Kharkiv sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Enfin, face aux critiques, les autorités ukrainiennes ont reconnu que les trains sud-coréens n’étaient pas appropriés aux conditions locales. Le chef du gouvernement a annoncé que le pays allait abandonner ses plans pour acheter plus de trains Hyundai.

Cependant, une avalanche de critiques ne faiblit pas dans la société. Un trajet de cinq heures coûte environ 20 euros en deuxième classe et 29 euros en première classe, ce qui n’est pas sans déplaire aux passagers qui s’étaient habitués à des tarifs bien inférieurs. Dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas 320 euros, un tel voyage est souvent perçu comme un divertissement de luxe.

Hôtel sur roues au lieu d’un TGV

Malgré les critiques faites envers les trains sud-coréens et le réseau ferroviaire en général, les Ukrainiens désirant découvrir les trésors de leur pays ont peu d’options alternatives. Le transport aérien reste trop cher à cause d’un quasi-monopole du marché, et la plupart des autoroutes reste dans un état déplorable. Pourtant, dans de telles circonstances, il y a aussi ceux qui restent optimistes. Vitaliy, voyageur averti et féru des voyages en transport ferroviaire, raconte qu’il est possible de bénéficier de trains qui marchent essentiellement pendant la nuit. « Quand j’ai besoin de voyager sur une longue distance de 400 à 1000 km, il est plus pratique de prendre le train de nuit, pas un Hyundai. Je l’utilise comme un hôtel sur roues à très bon prix. Comme ça, je ne perds pas une demi-journée. Par contre, si je prends un Hyundai pour aller de Kiev à Lviv ou Kharkiv, j’arrive vers l’après-midi ou presque dans la nuit. Dans ce cas-là, je dois réserver une chambre dans un hôtel », dit-il en précisant que Hyundai était quand même la meilleure solution avant l’Euro 2012. D’après lui, la société sud-coréenne a pratiquement crée, dans le plus bref délai possible, un nouveau train qui convient aux voies soviétiques, traditionnellement plus larges si l’on compare avec les voies européennes. « Le problème, c’est que ce nouveau train n’avait pas le temps pour les essais nécessaires. Au lieu d’un an, les essais ont été complétés en deux mois. Mais globalement il faut utiliser les nouveaux trains ukrainiens rapides qui existent déjà, ils surpassent la performance des Hyundai sur plusieurs point », raconte Vitaliy.

Pour l’instant, les passagers ukrainiens se contentent de deux options : les Hyundai à la vitesse maximum de 160 km/h et les trains obsolètes de l’époque soviétique qui ne dépassent pas 100 km/h. En Ukraine, on pense plutôt qu’il y aura un vrai train à grande vitesse quand les trains voleront au Japon.

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