Malgré la bonne performance des candidats, il semble évident que l’abstention sera la grande gagnante du scrutin, une problématique lourde de conséquences car l’Union européenne est actuellement à la recherche d’une légitimité affirmée afin de pouvoir imposer des projets audacieux pour la prochaine décennie. Ce manque de mobilisation des électeurs dépendra naturellement des Etats et de leur attrait pour la politique européenne. On peut constater un intérêt affirmé pour certains Etats comme l’Allemagne, le Benelux, l’Estonie, et un manque en ce qui concerne d’autres, au rang desquels la France et le Royaume Uni. Pire, c’est cette abstention qui permettra probablement aux partis eurosceptiques d’emporter une grande partie des voix lors du scrutin. Cette perspective est peu réjouissante pour la diplomatie internationale en cette période de conflits entre la Russie et l’Union européenne.
Une Union pour deux visions de l'Europe
En effet, si pour les électeurs français et britanniques, la question est avant tout économique, avec le renforcement de la Zone euro ou le retour sur investissement de la participation nationale, ces derniers tendent à oublier que, dans les Etats baltes ou en Pologne, ce sont les questions de sécurité et la peur d’un scénario similaire à celui de la Crimée qui mobilisent. Pour résumer, ces élections témoignent d’une divergence profonde des impératifs nationaux avec des Etats en Europe de l’Ouest résolument concentrés sur les problématiques internationales de compétitivité économique face aux pays émergents et d’immigration, et une Europe de l’Est avec des problématiques régionales avec l’insécurité liée au voisin russe.
C’est sans doute la raison pour laquelle les candidats à la présidence, paradoxalement, peinent à mobiliser les citoyens. Ces derniers doivent à la fois répondre à des questions et présenter un programme viable pour les anciens membres et les nouveaux membres alors que les citoyens éprouvent des difficultés à comprendre la situation des uns et des autres. Qu’à cela ne tienne, les seuls thèmes divergents n’expliquent que partiellement ce désintérêt pour la « politique européenne ». En effet, le mode de scrutin semble également en cause. Les différents candidats à la présidence représentent des partis politiques supranationaux, ces partis étant le résultat du regroupement des partis nationaux à l’échelle européenne. Il arrive donc que certains citoyens adeptes d’un parti de regroupement supranational ne puissent pas voter pour celui-ci car les partis dans son pays ne le représentent pas ou bénéficient d’une taille si infime que leur vote n’aurait que peu de chances de permettre l’élection d’un représentant national. Ce défaut a été critiqué à plusieurs reprises par le candidat de l’Alliance des Libéraux et des Démocrates en Europe (ALDE), Guy Verhofstadt.
Si l’on fait abstraction de ce détail, non des moindres, on peut également noter des difficultés pour les citoyens à s’abstraire des problématiques nationales. Ainsi, les électeurs qui iront voter les 24 et 25 mai ont en tête des problématiques nationales, mais rarement connaissance des valeurs défendues par les partis supranationaux où se regrouperont leurs élus, un constat amer lorsque l’on sait que les partis supranationaux où se regroupent les partis nationaux ne défendent pas nécessairement les même projets. Ce schéma complexe amène les électeurs à une faible mobilisation et renforce l’incompréhension du fonctionnement de l’Union européenne souvent décrite comme trop « technocrate » auprès de citoyens n’étant pas nécessairement adeptes des thèmes de politique nationale et encore moins européenne.
L’avenir de la conquête spatiale et des relations avec la Chine en passant par la crise en Ukraine
Le programme de localisation par satellite de l’Agence Spatiale Européenne « Galileo . Crédit: Agence Spatiale Européenne
Malgré ce manque d’attrait des citoyens, ces élections semblent être les plus importantes de l’histoire de l’Union européenne. Pourquoi ? Tout simplement car elles arrivent à un moment de conjoncture de divers évènements qui auront une influence sur la stabilité du monde dans lequel nous vivons.
Le premier élément n’est autre que la conquête spatiale. Le candidat à la présidence de la commission sera sans doute celui sous lequel se mettra en place le nouveau système de positionnement par satellite Galileo, un projet entamé depuis une longue période mais qui, une fois en place, aura des répercussions sur la coopération militaire entre les Etats membres et permettra de nombreuses nouvelles applications pour les Etats comme pour les particuliers.
Le nouveau président devra également faire face à la montée de la Chine dans le domaine des missions spatiales et à la libéralisation du secteur des voyages dans l’espace, un marché où de nombreuses firmes Américaines commencent à innover et à se positionner. Il faudra donc définir une ligne claire pour l’Agence Spatiale Européenne et surtout stimuler un secteur novateur au risque de ne plus pouvoir être compétitif comme actuellement.
Pour faire écho à l’avancée de la Chine dans le domaine spatial, l’Union européenne devra également commencer à développer une politique diplomatique avec celle-ci, tout en s’affichant comme protectrice des valeurs que sont l’écologie et le renforcement des droits de l’Homme. Les Etats-Unis ne semblent pas à même de se pencher sur la question et l’Union européenne sera la seule à pouvoir s’imposer, de par sa puissance économique, face aux pays émergents dont la production et la pollution augmentent chaque année.
La Russie au cœur du débat
Enfin, le retour de la Russie sur la scène internationale laisse planer un doute quant à la sécurité régionale. Les Etats de la Baltique, mais aussi en mer Noire, comme c’est le cas de la Géorgie, de l’Ukraine et de la Moldavie, regardent avec attention les élections européennes pour savoir quelle stratégie adopter face au voisin russe.
Le président de la commission, selon son orientation politique, amènera la Russie à renoncer ou tempérer ses ambitions dans l’espace post-soviétique. A l’inverse, un président avec moins de caractère ou trop distant des problématiques russes se verra sans doute contraint de passer son mandat dans l’insécurité. Ces prochaines années détermineront probablement la naissance d’une politique militaire commune renforcée des Etats ou bien son échec.
Il en est de même pour la coopération entre les Etats avec deux référendums, le premier en Ecosse et le deuxième en Catalogne. L’Union devra afficher une position claire et rapide en cas d’indépendance de ces Etats. Autrement plus important, le nouveau président de la commission européenne sera probablement l’atout qui déterminera l’avenir des relations entre Union européenne et Royaume-Uni. Celui-ci pourra aussi bien changer l’attitude des citoyens britanniques que les pousser à mener le référendum prévu pour 2017. Si certains partis comme le Parti Socialiste Européen ont peu de chance de conquérir les cœurs des sujets britanniques, un parti comme l’ALDE ou le PEE pourraient bien influencer la position des eurosceptiques
Pour résumer, de cette élection découlera l’avenir de la structure de l’Union européenne comme nous la connaissons, mais aussi celle des relations entre les pays émergents et les Etats de la vieille Europe en perte d’arguments pour imposer leurs valeurs démocratiques dans un monde en plein changement.
Des candidats unanimes sur les projets à entreprendre mais pas sur leurs priorités
Face à l’ampleur de la tâche, on peut facilement s’interroger sur les personnes qui souhaitent s’y consacrer pour les années à venir. On dénombre 6 personnalités : Martin Schulz pour le Parti Socialiste Européen (PSE), son principal opposant Jean-Claude Juncker pour le Parti Populaire Européen (PPE), Guy Verhofstadt pour l’Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe (ALDE), Alexis Tsipras pour la Gauche Européenne (PGE) et enfin les deux écologistes que sont José Bové et Ska Keller (Franziska Keller).
Bien que tous représentants de partis politiques avec plusieurs millions d’électeurs, il est fort probable que le futur président soit issu du PPE ou du PSE, les deux grands ensembles supranationaux. L’ALDE devrait mobiliser une bonne partie des électeurs mais aura du mal à s’imposer face aux deux personnalités que sont Jean-Claude Juncker et Martin Schulz. Cependant, tout reste possible et l’incertitude règne encore du fait de l’abstention et des eurosceptiques qui devraient obtenir un nombre record de voix.
On peut noter certains éléments intéressants. Premièrement, tous les candidats sont europhiles et sont pour un renforcement de la coopération européenne, une situation paradoxale à écouter les propos de certains partis politiques nationaux qui enverront leurs élus voter pour eux. Bien que tous europhiles, ils vont tous plus loin et souhaitent un renforcement des pouvoirs de l’Union européenne et sont pour le « saut fédéral », étape qui vise à renforcer la coopération des Etats, voire possiblement préparer le terrain pour donner naissance à un nouvel Etat européen.
Tous s’accordent sur les impératifs : renforcement de la compétitivité européenne, plus de lutte contre la corruption, soutien de l’Ukraine face à la Russie et lutte contre le chômage notamment chez les plus jeunes.
Entre souhait de sécurité et impératifs économiques : les idées pour relancer l’Union européenne
On peut alors s’interroger sur les différences entre ces europhiles, opposés mais qui partagent souvent la même idée de fond. Elle repose principalement sur les priorités et la mise en place des réformes. Jean-Claude Juncker souhaite lutter contre le chômage et renforcer la puissance de l’Union en usant d’une politique budgétaire qui vise à réduire les dépenses et assainir l’économie européenne, passant par une baisse des dettes nationales et une politique plus libérale.
Son principal opposant, Martin Schulz, souhaite au contraire relancer l’économie européenne en n’hésitant pas à user des ressources nécessaires, quitte à contracter des dettes pour générer de la richesse par la suite et ne pas laisser l’économie dans la Zone euro et chez les autres Etats membres au point où elle en est. Celui-ci ne manque pas de rappeler qu’une austérité, même temporaire, n’aura pour conséquence que d’accroître la faiblesse des économies nationales et de continuer d’engendrer du chômage, notamment chez les plus jeunes, qualifiés ou non.
L’approche de l’ALDE est plus novatrice, l’objectif principal affiché étant d’accroître la visibilité et la simplicité de l’Union européenne pour redonner l’envie aux citoyens d’y adhérer. Cette simplification passera par une administration moins lourde et par un libéralisme accru qui a pour objectif de relancer l’économie et de créer des emplois. La vision de Guy Verhofstadt est alors simple : libéraliser l’économie et éviter les doublons de compétences entre Etats nationaux et Union européenne. S’ajoute le souhait de développer les secteurs phares, c’est le cas de l’informatique où l’Union européenne est actuellement quasiment absente et de stimuler ce secteur pour créer des emplois et des compétences en cyber défense et ou simplement dans la création de logiciels face aux Etats-Unis d’Amérique qui monopolisent quasiment tout le secteur.
Pour leur part, José Bové et Ska Keller misent sur les énergies renouvelables qui semblent être un secteur porteur pour créer des emplois et limiter la dépendance des pays à la Russie. Si l’objectif affiché n’est pas l’autarcie, il est évident qu’une telle politique, coûteuse au demeurant, permettrait en effet de limiter l’accroissement des dettes liées à la balance commerciale et d’envoyer un signal fort aux autres Etats non-européens. La vision des écologistes s’oppose à celle du PPE ou de l’ALDE qui respectivement souhaitent relancer l’emploi et limiter les dettes avant d’en contracter de nouvelles et laisser l’économie libérale développer le secteur sans le stimuler de façon artificielle.
Le Parti de Gauche, sans surprise, souhaite lutter contre la crise et relancer l’économie en augmentant l’importance des Etats dans l’économie et créer un modèle de solidarité européenne alternatif à l’actuel qu’elle juge trop « capitaliste » et se détacher de l’OTAN et tourner son attention prioritairement sur les besoins des pays du Sud qui actuellement subissent l’influence économique des pays du Nord et principalement de l’Allemagne.
Quel que soit le résultat des élections de ce 25 mai prochain, il est évident que l’Union européenne arrive à un tournant de son histoire, comme en témoigne la campagne pour la présidence de la commission, ce qui est inédit, ainsi que la montée des eurosceptiques. Si la mobilisation des électeurs est déjà présentée comme faible, il n’en reste pas moins que seule l’Union européenne semble à même de s’imposer face à la Russie et à stimuler les secteurs clés, tels que l’aérospatial et l’informatique, à une époque où la concurrence internationale n’a de cesse de s’accentuer.
Quel que soit le résultat des élections de ce 25 mai prochain, il est évident que l’Union européenne arrive à un tournant de son histoire, comme en témoigne la campagne pour la présidence de la commission, ce qui est inédit, ainsi que la montée des eurosceptiques. Si la mobilisation des électeurs est déjà présentée comme faible, il n’en reste pas moins que seule l’Union européenne semble à même de s’imposer face à la Russie et à stimuler les secteurs clés, tels que l’aérospatial et l’informatique, à une époque où la concurrence internationale n’a de cesse de s’accentuer.