Jeudi 30 mai dernier, l'écrivain saoudien Abdullah Mohammed Daoud incitait ses 97 000 « followers » sur Twitter à agresser sexuellement les caissières des supermarchés d'Arabie Saoudite. Via les mots clé #harass_female_cashiers (#harcelez_femmes_caissières), cet ultra-conservateur aurait ainsi eu pour objectif d'« encourager » les femmes saoudiennes à rester chez elles et à protéger leur chasteté. Le Saoudien est pourtant loin d'être le seul à défendre l'idée d'une séparation stricte entre hommes et femmes dans la société saoudienne.
Le travail : domaine réservé des hommes
Ce tweet illustre bien les lois et principes du régime wahhabite saoudien, pays imposant une application très stricte de la loi islamique, la charia, et confinant les femmes dans un rôle « traditionnel » de mères et d'épouses. Le roi Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud a concédé plusieurs réformes ouvrant de nouveaux droits aux femmes, mais leur situation est encore loin d'être comparable à celle des femmes dans d'autres pays musulmans. Interdites de conduire, de sortir du pays ou encore de travailler sans la permission d'un tuteur légal de sexe masculin, les femmes musulmanes restent dépendantes et soumises aux hommes dans la majorité des aspects de leurs vies.
Les dynamiques du marché du travail saoudien illustrent cette tendance, avec une très faible participation des femmes à la population active. Elles sont pourtant nombreuses à faire des études supérieures, comme le rappelle la sociologue chargée de recherche au CNRS Amélie Le Renard, dans une interview accordée au Monde : plus de la moitié des étudiants d'universités saoudiennes sont des femmes (56,6 % en 2011). Pourtant, selon Suad Abu-Dayyeh, consultant Moyen-Orient/Afrique au sein de l'organisation Equality Now, les Saoudiennes sont même limitées dans leurs choix d'études : « elles ont besoin de la permission de leur tuteur masculin pour choisir leur domaine d'étude ». Le système éducatif saoudien est divisé et n'offre pas les mêmes possibilités aux femmes qu'aux hommes : les infrastructures et domaines d'études dédiés aux femmes sont inférieurs à ceux proposés aux étudiants masculins, limitant leur possibilité d'accéder à des emplois qualifiés. Suad Abu-Dayyeh explique par exemple qu'il n'y a pas de programmes d'ingénieur, d'architecture ou encore de sciences politiques dans les universités publiques pour filles.
Par la suite, elles sont nombreuses à se retrouver sans emploi. Une étude datant de 2010, produite par le cabinet de conseil en stratégie Booz & Company pour Le Monde confirme ce phénomène : à cette époque les femmes représentaient environ 60 % de l'ensemble des diplômés d'universités, mais moins de 15 % de la population active du Royaume. Mais le chômage est loin de ne toucher que la gente féminine. Le marché du travail saoudien souffre de défauts structurels, rendant difficile l'accès à l'emploi, même pour les hommes. L'inadaptation du système éducatif ainsi que le recours massif à la main-d'oeuvre étrangère (qui compose 70 % de la population active) font partie des causes majeures du chômage auprès des nationaux.
Les réformes limitées engagées par le roi Abdallah
Le roi Abdallah a engagé des réformes depuis son accession au pouvoir en 2005, mais leur portée reste limitée. Gardien des lieux saints de l'Islam, La Mecque et Médine, situés au sein du Royaume, il ne remet pas en question l'ordre établissant la soumission des femmes aux hommes. Certaines mesures ont fait l'objet d'une médiatisation importante : la participation de deux Saoudiennes aux Jeux olympiques de Londres de 2012 a fait sensation. Les femmes du Royaume se sont aussi vues accorder le droit de voter et de se présenter comme candidates aux élections municipales à partir de 2015. Les élections municipales sont les seules existantes au sein de la monarchie absolue, ce qui pourrait laisser entendre un progrès majeur. Pourtant, la chercheuse Amélie Le Renard souligne que les membres des conseils municipaux n'ont qu'un rôle consultatif, insistant sur le fait que ces nouveaux droits acquis par les Saoudiennes sont en réalité des « non-droits ». D'après Suad Abu-Dayyeh, les femmes exercent surtout des métiers dits traditionnels dans les domaines de l'enseignement ou du social. Mais elles sont toujours moins bien payées que leurs confrères masculins.
La sociologue rappelle aussi que le monde du travail reste majoritairement non mixte malgré des assouplissements du Code du travail en 2006. L'imposition d'une séparation physique de 160 centimètres entre employés hommes et femmes dans les magasins saoudiens depuis 2011 en est l'illustration flagrante.
Il semble donc que ces avancées visent plus à améliorer l'image du Royaume sur la scène internationale qu'à donner plus de liberté aux Saoudiennes. Perçu comme le défenseur des femmes, le roi Abdallah a bel et bien poussé des réformes, mais leur impact reste superficiel.
La sociologue rappelle aussi que le monde du travail reste majoritairement non mixte malgré des assouplissements du Code du travail en 2006. L'imposition d'une séparation physique de 160 centimètres entre employés hommes et femmes dans les magasins saoudiens depuis 2011 en est l'illustration flagrante.
Il semble donc que ces avancées visent plus à améliorer l'image du Royaume sur la scène internationale qu'à donner plus de liberté aux Saoudiennes. Perçu comme le défenseur des femmes, le roi Abdallah a bel et bien poussé des réformes, mais leur impact reste superficiel.
Un féminisme encore timide
Selon le consultant Suad Abu-Dayyeh, « il y a des féministes en Arabie Saoudite (…), mais pas de société civile ou d'organisations de femmes ». Le contrôle de la société est tel que les ONG ne sont pas reconnues et que seules les organisations tolérées par le régime existent. Ces rares organismes s'occupent généralement des services sociaux et services aux familles.
Des mouvements de protestation existent pourtant, à l'image de la campagne Women2Drive lancée en 2011. Durant le mois de juin quelques 70 femmes ont pris le volant de leur voiture, violant la fatwa les interdisant de conduire. Comme le revendiquaient certaines conductrices, la fatwa n'est qu'un avis juridique donné par des savants religieux, et non pas une loi. Elle ne devrait pas avoir de caractère obligatoire. Mais au sein du Royaume, c'est la loi religieuse qui prime. Certaines ont été ensuite arrêtées et emprisonnées, à l'image de la célèbre Manal Al-Sharif, dont la vidéo la montrant au volant d'une voiture dans les rues de Khobar a connu un succès retentissant sur YouTube. L'Arabie Saoudite est aujourd'hui encore le seul pays au monde à interdire aux femmes de conduire. D'après Suad Abu-Dayyeh, cette interdiction a des conséquences sévères dans le domaine professionnel. Les Saoudiennes peuvent travailler, mais comment se rendre au travail sans droit de conduire ? Encore une fois, si leur tuteur mâle refuse de les y emmener elles sont obligées d'engager un chauffeur. Bien souvent elles sont harcelées par ces chauffeurs, il y a même eu des cas de viols.
Selon Equality Now, « il y a des activistes oeuvrant à la défense des droits des femmes, mais ils travaillent de manière isolée ». Le canal principal permettant de lier ces activistes reste les réseaux sociaux où « les gens qui croient vraiment en cette cause essaient (...) Ils s'expriment de plus en plus et critiquent les traitements qu'ils subissent ».
Les femmes ne sont pourtant pas les seules à subir le contrôle étroit exercé par le régime wahhabite. La charia reste la loi dominante du Royaume, et toute atteinte à l'ordre religieux est sévèrement punie : il n'y a pas de distinction de sexe possible sur ce point.