Tourisme au Myanmar : les fonds vont-ils au régime militaire ?

Gemma Kentish
4 Août 2015



Depuis 2011, le régime militaire au Myanmar a fait passer de nombreuses réformes afin d'ouvrir le pays aux investissements internationaux et d'attirer les touristes étrangers. Mais qu'est-ce que cela a vraiment changé ? À quel point le tourisme bénéficie-t-il à la population ?


Coucher de soleil sur la rivière Irrawaddy. Crédit : Gemma Kentish
Coucher de soleil sur la rivière Irrawaddy. Crédit : Gemma Kentish
Le tourisme éthique est un aspect important à prendre en considération dans le monde entier, et encore plus au Myanmar. De 1962 à 2011, le pays, sous régime militaire, était montré du doigt par la communauté internationale pour de nombreux abus allant à l’encontre des droits de l'Homme. La première élection générale en 20 ans a eu lieu en 2010. En 2012 d'autres élections ont permis à l'activiste pro-démocratie Aung San Suu Kyi et son parti « National League for Democracy » (Ligue nationale pour la démocratie) d'obtenir de nombreux sièges au parlement. Depuis, le gouvernement a lancé une série de réformes, relâché de nombreux prisonniers politiques et créé un gouvernement civil plus démocratique. Cependant, malgré un certain niveau de démocratisation, ce même régime militaire est toujours au pouvoir, et contrôle une large partie de l'industrie du tourisme.

Après des décennies d'isolement politique et économique, le tourisme au Myanmar, bien que tout à fait récent, constitue déjà une industrie en plein essor. Le pays reste inexploré dans sa grande majorité, c'est pourquoi on peut y vivre une expérience de voyage unique dans l'Asie du Sud-Est.  Mais les choses changent, et de nombreux projets de développement ont vu le jour en peu de temps, afin de mieux administrer ce nouveau marché.

Pêcheur unijambiste au Lac Inle. Crédit : Gemma Kentish
Pêcheur unijambiste au Lac Inle. Crédit : Gemma Kentish
Depuis 1996, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a mis en place un boycott du tourisme, appelant les Occidentaux à ne pas se rendre au Myanmar et ainsi à ne pas participer au financement du régime militaire. Cependant, en 2010, avec les nouvelles réformes, la LND a levé son boycott et a commencé à encourager les touristes à venir, à condition d'éviter les packs et autres tours tout compris, qui ne profitent qu'aux organisations gouvernementales, et de tenter de faire vivre l'économie locale.

Temples à Bagan. Crédit : Gemma Kentish
Temples à Bagan. Crédit : Gemma Kentish
Le Myanmar est plus cher que d'autres pays de l'Asie du Sud-Est. Les taxes pour les touristes sont partout : pour entrer dans certaines régions du pays, il faut par exemple payer une somme en dollars américains, qui a très vite augmenté. D'après le guide Lonely Planet, publié fin 2014, il fallait payer 15 dollars pour entrer dans la région historique de Bagan. Six mois après la publication du guide, tous les frais imposés aux touristes avaient augmenté, et le coût d'entrée à Bagan est de 20 dollars. Des frais compréhensibles dans le but de préserver l'héritage du pays, mais il est indéniable que cet argent va directement dans les mains du gouvernement militaire.

Chaîne de montagnes Rakhine Yoma. Crédit : Gemma Kentish
Chaîne de montagnes Rakhine Yoma. Crédit : Gemma Kentish
La région de Bagan est très belle : après avoir escaladé une pagode, vous pouvez voir l'horizon, qui révèle une interminable série d'anciens temples dans la plaine. Depuis ce point de vue, il est facile de comprendre pourquoi le Myanmar est connu sous le nom de Terre Dorée : son ambiance mystique est sans aucun doute ancrée dans le sol. Autour de Bagan, quelques auberges tenues par des locaux persistent, mais les constructions de grandes structures pour accueillir des hôtels de luxe à perte de vue se multiplient. Ces dernières seront terminées très prochainement. Le lieu, qui subit la mondialisation, se verra bientôt en proie à des afflux considérables de touristes.

Une manifestation pro-démocratie à Yangon. Crédit : Gemma Kentish
Une manifestation pro-démocratie à Yangon. Crédit : Gemma Kentish
A Yangon, une manifestation était sur le point de devenir violente, une semaine après le rejet au parlement d'une proposition de loi pour changer la constitution actuelle, afin d'autoriser Daw Aung San Suu Kyi à être présidente. Quelques centaines de personnes sont descendues dans la rue pour manifester, appelant au retrait des soldats qui ont pris un quart des sièges au parlement, et qui ont effectivement bloqué la réforme. Les manifestants ont encerclé de nombreux dirigeants militaires dans la foule, montrant leur frustration toujours présente envers le gouvernement actuel.

Déambulant dans les rues de Yangon. Crédit : Gemma Kentish
Déambulant dans les rues de Yangon. Crédit : Gemma Kentish
Le Myanmar voit la pression monter au sein de son peuple, qui exige plus de démocratie, mais demeure également le théâtre de nombreuses tensions ethniques et conflits violents. Le gouvernement a plusieurs fois été critiqué pour avoir violé les droits de l'Homme. Plus tôt cette année, la détresse des réfugiés musulmans Rohingya - selon l'ONU, le groupe ethnique le plus persécuté du monde, a fait les gros titres lorsque des milliers d'entre eux ont tenté de s'échapper, cherchant refuge dans d'autres pays d'Asie du Sud-Est. D'autres groupes minoritaires souffrent également, subissant une violente persécution de la part du régime militaire, comme les Karen ou les Shan, souvent oubliés des médias occidentaux.

Moines bouddhistes à travers la ville. Crédit : Gemma Kentish
Moines bouddhistes à travers la ville. Crédit : Gemma Kentish
Le tourisme peut être très bénéfique au Myanmar : il peut créer de l'emploi, stimuler la croissance et le développement économique. Cependant, avec l'augmentation du tourisme, des zones auparavant vierges seront transformées, les exposant inévitablement. De plus, avec le régime militaire actuellement au pouvoir, la question de savoir où vont les taxes touristiques demeure et ternira l'esprit des touristes les plus conscients. Même si le gouvernement prévoit une année riche en tourisme pour le Myanmar en 2016, les problèmes sociaux et les conflits internes persistent, au risque de réduire ses chances de faire exploser l’industrie du tourisme.

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