Le Journal International : Comment vous sentez-vous à la veille du début du festival ? Ça doit être la course pour vous ?
Marcelle Lean : C'est la course, c'est l'angoisse aussi ! Je me dis « est-ce que les gens viendront, est-ce que je me retrouverais avec des salles vides... » J'ai peur en fait. C'est un peu comme le comédien qui va sur scène au théâtre et qui se dit « est-ce que je vais avoir un public, est-ce que la salle va être pleine ou vide ? » Enfin, je m'inquiète, mais en même temps je suis très acérée car il y a toujours des derniers détails, des petites urgences […]. Enfin il y a des obstacles de dernière minute et on ne s'y attend pas.
Marcelle Lean : C'est la course, c'est l'angoisse aussi ! Je me dis « est-ce que les gens viendront, est-ce que je me retrouverais avec des salles vides... » J'ai peur en fait. C'est un peu comme le comédien qui va sur scène au théâtre et qui se dit « est-ce que je vais avoir un public, est-ce que la salle va être pleine ou vide ? » Enfin, je m'inquiète, mais en même temps je suis très acérée car il y a toujours des derniers détails, des petites urgences […]. Enfin il y a des obstacles de dernière minute et on ne s'y attend pas.
JI : Cela fait maintenant 18 ans que vous présidez Cinéfranco : quelle évolution avez-vous pu observer au fil du temps ? Le fait que le festival soit en français provoque-t-il un engouement plus important aujourd'hui, notamment auprès des Canadiens anglophones ?
ML : Le fait que ce soit en français est une corde très sensible car le Canada est censé être bilingue. Donc le français est une des langues nationales du Canada. Il y a un point de vue culturel : il y a des écoles d'immersion française, des écoles destinées aux francophones, donc il y a une pertinence de la langue qui s'adresse à une partie infime de la population. À part le côté pertinent, il y a une grande cinéphilie qui va du côté du ciné francophone et français qui a gagné une grande popularité. Dans le monde, le Québec et la France sont les plus grands producteurs de films francophones. La Belgique est aussi en première ligne d'un point de vue production de films francophones mais il faut dire que nous avons un grand réservoir de films avec le Québec et la France, qui a un impact international qui a ses résonances ici à Toronto.
ML : Le fait que ce soit en français est une corde très sensible car le Canada est censé être bilingue. Donc le français est une des langues nationales du Canada. Il y a un point de vue culturel : il y a des écoles d'immersion française, des écoles destinées aux francophones, donc il y a une pertinence de la langue qui s'adresse à une partie infime de la population. À part le côté pertinent, il y a une grande cinéphilie qui va du côté du ciné francophone et français qui a gagné une grande popularité. Dans le monde, le Québec et la France sont les plus grands producteurs de films francophones. La Belgique est aussi en première ligne d'un point de vue production de films francophones mais il faut dire que nous avons un grand réservoir de films avec le Québec et la France, qui a un impact international qui a ses résonances ici à Toronto.
JI : En quoi ces films sont-ils symboliques de la francophonie selon vous ? En particulier avec des films comme Le Challat de Tunis qui n'est d'ailleurs pas en français ?
ML : Cinéfranco a d'abord été appelé Festival du Film Français. Et ensuite on est devenus Festival du Film Francophone car d'un point de vue international, la francophonie n'est pas seulement un amalgame de pays qui parle français mais de pays dont la deuxième langue est le français. On a donc le Maroc, l'Algérie, la Tunisie qui parlent français, mais l'Égypte fait également partie de la francophonie, tout comme la Roumanie aussi par exemple. C'est de là qu'est venu le Festival du Film Francophone plutôt que français. Comme je sais que Le Challat de Tunis est une co-production franco-canado-tunisienne et des Émirats aussi, à ce moment là, ça fait partie aussi de la francophonie.
ML : Cinéfranco a d'abord été appelé Festival du Film Français. Et ensuite on est devenus Festival du Film Francophone car d'un point de vue international, la francophonie n'est pas seulement un amalgame de pays qui parle français mais de pays dont la deuxième langue est le français. On a donc le Maroc, l'Algérie, la Tunisie qui parlent français, mais l'Égypte fait également partie de la francophonie, tout comme la Roumanie aussi par exemple. C'est de là qu'est venu le Festival du Film Francophone plutôt que français. Comme je sais que Le Challat de Tunis est une co-production franco-canado-tunisienne et des Émirats aussi, à ce moment là, ça fait partie aussi de la francophonie.
JI : À Cinéfranco on peut voir des thématiques très sérieuses comme justement Le Challat de Tunis, ou plus légères comme Barbecue : est-ce une manière pour vous de refléter la diversité culturelle francophone ?
ML : Oui, la diversité dans le goût aussi. C'est-à-dire qu'il y en a qui seront attirés par un documentaire ou par une comédie avec de grosses vedettes. C'est à la fois une diversité dans les goûts et une diversité dans les origines des gens. Il y a des personnes qui viennent d'Afrique du Nord et qui se disent « on ne voit jamais de films d'Afrique du Nord », puis qui se disent « on va voir Le Challat de Tunis ou Le Veau d'Or ».
ML : Oui, la diversité dans le goût aussi. C'est-à-dire qu'il y en a qui seront attirés par un documentaire ou par une comédie avec de grosses vedettes. C'est à la fois une diversité dans les goûts et une diversité dans les origines des gens. Il y a des personnes qui viennent d'Afrique du Nord et qui se disent « on ne voit jamais de films d'Afrique du Nord », puis qui se disent « on va voir Le Challat de Tunis ou Le Veau d'Or ».
JI : Le festival comporte deux sections : la section principale et la section jeune. Mais avec les thématiques et les histoires des films présentés au festival, comme Tokyo Fiancée ou Geronimo , vous visez un public plutôt jeune non ?
ML : On essaye. Disons que notre public a la quarantaine et plus en général, bien établi socialement, ce sont des gens qui ont des professions libérales, un niveau d'études assez élevé et qui vivent en général à Toronto plutôt qu'en périphérie. C'est un peu le portrait-robot. Nous aimerions attirer des jeunes, plus la trentaine, peut-être la vingtaine. Vous avez nommé des films qui peuvent attirer les jeunes, mais qui également font un peu « tout public ». Quand on parle de Gatlif [réalisateur de Geronimo, nldr], les cinéphiles qui le connaissent sont aussi là pour d'autres raisons. Il y a la musique, la danse, l'histoire, le fait qu'on s'intéresse aux gens du voyage. Vous voyez ce que je veux dire, il y a tellement de thématiques à l'intérieur même d'un film qu'on se dit « ma foi, ça peut attirer un certain nombre de personnes ».
ML : On essaye. Disons que notre public a la quarantaine et plus en général, bien établi socialement, ce sont des gens qui ont des professions libérales, un niveau d'études assez élevé et qui vivent en général à Toronto plutôt qu'en périphérie. C'est un peu le portrait-robot. Nous aimerions attirer des jeunes, plus la trentaine, peut-être la vingtaine. Vous avez nommé des films qui peuvent attirer les jeunes, mais qui également font un peu « tout public ». Quand on parle de Gatlif [réalisateur de Geronimo, nldr], les cinéphiles qui le connaissent sont aussi là pour d'autres raisons. Il y a la musique, la danse, l'histoire, le fait qu'on s'intéresse aux gens du voyage. Vous voyez ce que je veux dire, il y a tellement de thématiques à l'intérieur même d'un film qu'on se dit « ma foi, ça peut attirer un certain nombre de personnes ».
JI : Pour justement viser cet éclectisme, il y a aussi une place pour les films indépendants canadiens à Cinéfranco. C'est une manière pour vous de tendre la main à des futurs talents ?
ML : C'est une mission qui est chère a mon coeur de donner de la visibilité à ces réalisateurs franco-canadiens. Pas seulement des futurs talents, mais aussi des talents de maintenant qui n'arrivent pas à percer, en fait. On pourrait faire plus, mais c'est un petit peu notre survie : si on met trop l'accent sur des films peu connus, des talents peu connus, on n'arrive pas trop à survivre dans la mesure où on a besoin d'une recette pour couvrir toutes les dépenses que l'on a. Mais c'est un geste que l'on fait de très bon cœur et j'aimerais que ça s'agrandisse. Mais on a besoin d'aide pour ça.
ML : C'est une mission qui est chère a mon coeur de donner de la visibilité à ces réalisateurs franco-canadiens. Pas seulement des futurs talents, mais aussi des talents de maintenant qui n'arrivent pas à percer, en fait. On pourrait faire plus, mais c'est un petit peu notre survie : si on met trop l'accent sur des films peu connus, des talents peu connus, on n'arrive pas trop à survivre dans la mesure où on a besoin d'une recette pour couvrir toutes les dépenses que l'on a. Mais c'est un geste que l'on fait de très bon cœur et j'aimerais que ça s'agrandisse. Mais on a besoin d'aide pour ça.
JI : Est ce que cela a été difficile de se faire sa place parmi les dizaines de festivals de cinéma à Toronto ou est-ce que cela vous donne plus d'opportunités ?
ML : Un peu des deux, mais ça a été très difficile de s'imposer, avec cette prolifération de festivals, mais aussi il y a une prolifération d'organismes culturels francophones ; et je ne dirais pas qu'on se fait la concurrence mais on a une masse critique qui est toute petite et on se bat pour elle. C'est pour cela que l'anglophone cinéphile, francophile qui aime parler le français est très important pour nous parce que cela élargit notre public. Mais le produit même du cinéma français ou francophone est un produit privilégié qui nous a fait une petite place. Cependant, Cinéfranco c'était un pionnier dans le cinéma francophone et français, à part bien sûr le TIFF, mais il faut dire que tout le monde s'est mis à copier. Le cinéma francophone est devenu tellement à la mode qu'on se bat maintenant pour avoir l'attention du consulat de France. Pendant longtemps le consulat nous a dit « non, nous ce qui nous intéresse c'est le rayonnement du cinéma français dans l'anglophonie », donc on les voyait donner leur argent au Toronto Jewish Festival qui nous vole la vedette, qui nous prend énormément de films français. Donc nous, on se retrouve avec un ou deux produits. Par exemple, on a une association marocaine juive qui aimerait bien voir des films francophones juifs, mais on ne peut pas les montrer parce qu'ils nous sont pris par le Toronto Jewish Festival ! Maintenant à chaque festival on se retrouve avec des films francophones que nous ne pouvons pas mettre en avant...
ML : Un peu des deux, mais ça a été très difficile de s'imposer, avec cette prolifération de festivals, mais aussi il y a une prolifération d'organismes culturels francophones ; et je ne dirais pas qu'on se fait la concurrence mais on a une masse critique qui est toute petite et on se bat pour elle. C'est pour cela que l'anglophone cinéphile, francophile qui aime parler le français est très important pour nous parce que cela élargit notre public. Mais le produit même du cinéma français ou francophone est un produit privilégié qui nous a fait une petite place. Cependant, Cinéfranco c'était un pionnier dans le cinéma francophone et français, à part bien sûr le TIFF, mais il faut dire que tout le monde s'est mis à copier. Le cinéma francophone est devenu tellement à la mode qu'on se bat maintenant pour avoir l'attention du consulat de France. Pendant longtemps le consulat nous a dit « non, nous ce qui nous intéresse c'est le rayonnement du cinéma français dans l'anglophonie », donc on les voyait donner leur argent au Toronto Jewish Festival qui nous vole la vedette, qui nous prend énormément de films français. Donc nous, on se retrouve avec un ou deux produits. Par exemple, on a une association marocaine juive qui aimerait bien voir des films francophones juifs, mais on ne peut pas les montrer parce qu'ils nous sont pris par le Toronto Jewish Festival ! Maintenant à chaque festival on se retrouve avec des films francophones que nous ne pouvons pas mettre en avant...
JI : La sélection des films ne dépend donc pas de vous ?
ML : C'est-à-dire que j'ai agrandi l'équipe. Au début, c'était seulement moi, j'allais à Cannes, au TIFF, à Montréal, et ça me couvrait à peu près tous les festivals majeurs qui auraient pu me donner de la substance des choix de films. Puis avec l'argent et le temps, Cannes n'est pas exactement le festival dont j'ai besoin. Donc je suis allée à Namur, et j'ai donné Namur à Yvette qui est une bénévole extraordinaire, qui travaille très fort, et qui est bénévole pour Cinéfranco, comme moi. Comme elle passe environ six mois par an en France, elle est plus proche de Namur, et ça nous revient moins cher. La décision finale est la mienne, mais par exemple Yvette me facilite les visionnages [...] et je peux prendre ma décision. Je demande bien sûr à des spécialistes parfois : quand je vais à Paris, je demande à des fonctionnaires de l'Education nationale, donc ça m'aide énormément de voir ce qui serait toléré en classe ou pas, par exemple. Ça me donne un guide. Je consulte d'autres personnes à Paris qui me disent « oui ou non ». Donc il y a des sensibilités culturelles auxquelles je dois faire attention car le bagage culturel français n'est pas du tout le même que le bagage culturel ontarien. Ce qui va plaire aux Parisiens ne va pas plaire aux Ontariens et vice versa. C'est un labyrinthe où il faut vraiment tenir compte du milieu et du public auquel on s'adresse. De toute façon à la fin c'est moi qui fait le choix. Il y a aussi certains distributeurs qui nous disent non, qui donnent à un festival plus conséquent. Malgré le fait que nous fassions des demandes, parfois, il arrive que des films ne nous soient pas envoyés.
ML : C'est-à-dire que j'ai agrandi l'équipe. Au début, c'était seulement moi, j'allais à Cannes, au TIFF, à Montréal, et ça me couvrait à peu près tous les festivals majeurs qui auraient pu me donner de la substance des choix de films. Puis avec l'argent et le temps, Cannes n'est pas exactement le festival dont j'ai besoin. Donc je suis allée à Namur, et j'ai donné Namur à Yvette qui est une bénévole extraordinaire, qui travaille très fort, et qui est bénévole pour Cinéfranco, comme moi. Comme elle passe environ six mois par an en France, elle est plus proche de Namur, et ça nous revient moins cher. La décision finale est la mienne, mais par exemple Yvette me facilite les visionnages [...] et je peux prendre ma décision. Je demande bien sûr à des spécialistes parfois : quand je vais à Paris, je demande à des fonctionnaires de l'Education nationale, donc ça m'aide énormément de voir ce qui serait toléré en classe ou pas, par exemple. Ça me donne un guide. Je consulte d'autres personnes à Paris qui me disent « oui ou non ». Donc il y a des sensibilités culturelles auxquelles je dois faire attention car le bagage culturel français n'est pas du tout le même que le bagage culturel ontarien. Ce qui va plaire aux Parisiens ne va pas plaire aux Ontariens et vice versa. C'est un labyrinthe où il faut vraiment tenir compte du milieu et du public auquel on s'adresse. De toute façon à la fin c'est moi qui fait le choix. Il y a aussi certains distributeurs qui nous disent non, qui donnent à un festival plus conséquent. Malgré le fait que nous fassions des demandes, parfois, il arrive que des films ne nous soient pas envoyés.
JI : Dernière petite question : c 'est lequel votre film préféré ?
ML : La question poignard ! Je vais vous donner deux films, j'en ai mis un au début et un à la fin : j'ai adoré Tokyo Fiancée ! Le ton, l'interprétation, ce tissage du français et du japonais, j'ai absolument adoré. Et le film de Brice Cauvin, L'Art de la Fugue , j'ai aussi adoré parce que je l'ai vu quand il naissait, j'en ai beaucoup entendu parler, c'est un très beau casting, très sympathique. Je vois dans la façon dont il a réalisé son film, son côté chaleureux, je ne sais pas... Il y a un caractère très particulier que l'on retrouve chez l'homme quand on le voit. Je trouvais ses caractéristiques dans le film. Mais il y a aussi On a failli être amies et Les Héritiers , c'est absolument extraordinaire, j'en ai pleuré ! C'est incroyable la façon dont Marie-Castille Mention-Schaar a mené son film, de façon tellement touchante ! Enfin bref, je suis passée par toutes les émotions dans tous ces films, donc c'est dur de dire pour moi celui que je préfère !
ML : La question poignard ! Je vais vous donner deux films, j'en ai mis un au début et un à la fin : j'ai adoré Tokyo Fiancée ! Le ton, l'interprétation, ce tissage du français et du japonais, j'ai absolument adoré. Et le film de Brice Cauvin, L'Art de la Fugue , j'ai aussi adoré parce que je l'ai vu quand il naissait, j'en ai beaucoup entendu parler, c'est un très beau casting, très sympathique. Je vois dans la façon dont il a réalisé son film, son côté chaleureux, je ne sais pas... Il y a un caractère très particulier que l'on retrouve chez l'homme quand on le voit. Je trouvais ses caractéristiques dans le film. Mais il y a aussi On a failli être amies et Les Héritiers , c'est absolument extraordinaire, j'en ai pleuré ! C'est incroyable la façon dont Marie-Castille Mention-Schaar a mené son film, de façon tellement touchante ! Enfin bref, je suis passée par toutes les émotions dans tous ces films, donc c'est dur de dire pour moi celui que je préfère !
JI : Ce sera tous les films alors ?
ML : Oui voilà !
ML : Oui voilà !