L’intrigue théâtrale est simple. Tom, un jeune publicitaire de Montréal se rend aux funérailles de son (très) intime collègue, Guillaume. C’est avec une allure de dandy peroxydé et volontairement négligé qu’il débarque dans une ferme sinistre profondément isolée. C’est là qu’il rencontre Agathe, l’étrange mère du défunt et son fils Francis. Unique garant du domaine familial, partagé entre ses désirs d’épanouissement et son attache maternel. C’est un Norman Bates égaré dans le corps et la violence de Stanley Kowalski. Il tentera par tous les moyens, et principalement par la terreur, de conserver le secret sur la sexualité de son frère disparu et préserver ainsi l’honneur de cette mystérieuse famille.
Musique stridente signée Gabriel Yared, des scènes embrumées et des champs de maïs tranchant comme des couteaux s’étendant à perte de vue... Que le huis clos tourmenté commence.
Un climax doublement angoissant
Le décor est ainsi planté, et l’ambiance lugubre ne fera que s’accentuer de manière exponentielle. Avec une tension qui monte crescendo, de telle sorte que nous ne pouvons qu’attendre l’auteur au tournant. C’est trop parfait pour être vrai. Alors nous nous demandons : cette pression retombera t-elle mollement comme un soufflé ? Réussira-t-il l’apogée du climax ?
L’ambiance malsaine qui règne à l’écran est accentuée par la crainte de voir l’enfant prodige du cinéma canadien se casser la figure en manquant ce qui devrait être le moment crucial de l’intrigue. Cramponné à notre siège de velours rouge, nous suffoquons d’impatience. Et c’est là que Dolan nous dupe, en émiettant et en répartissant le mal-être du spectateur. Il nous brusque et nous console, nous gifle et nous embrasse successivement à un rythme déchaîné… et ce jusqu'à l’annonce du générique final qui nous laisse stupéfait, haletant et épuisé.
Un syndrome de Stockholm post-moderne
Face au mystère qui plane autour du domaine des Longchamps et des relations entretenues entre ses membres, Tom ne peut-être que partagé entre la confiance et la peur qu’il leur confère. Mais connaissant Dolan, nous savons que le rapport à la mère est un thème qu’il chérit particulièrement. Nous pouvons alors être étonné ici par la relation indéfinissable qui lie Francis et Tom lui-même.
Ce dernier débarque dans la ferme comme un subtil fruit défendu devant côtoyer le bestial fermier local, homophobe et suspicieusement refoulé. L’univers dans lequel ils évoluent devient d’autant plus malsain lorsque la brute et la victime commencent à se complaire chacun dans leur rôle respectif. Comme une barque luttant dans la tempête, un quatrième personnage tentera le grand défi d’agir comme un anxiolytique dans ce cauchemar éveillé.
Dans la cour des grands
Musiques alarmantes, scène dans la douche qui donne des frissons, course dans les champs de maïs… Nous pouvons dire que les citations au cinéma hitchcockien sont nombreuses et quelques fois peu subtiles. Mais Dolan plaide innocent en clamant que les similitudes avec les œuvres du maître du suspens et du MacGuffin sont le pur fruit du hasard. Mauvaise foi ou sincère modestie ? Peu importe, nous reconnaissons sans peine l’auteur et son talent. Xavier Dolan confirme sa présence dans la cour des grands en signant une œuvre contraire à ce qu’il nous avait précédemment proposé. Loin des histoires d’amour hyper stylisées qui nous avaient pourtant charmé, Tom à la ferme est un film brut et authentique. Une belle réussite.