Thaïlande : un projet de loi d'amnistie explosif

Piotr Kowalczyk
18 Août 2013



Censé recréer « l'union nationale », le projet a passé sa première lecture, jeudi 8 août. L'opposition dénonce une farce destinée à blanchir les responsables de la répression de 2010. L'incapacité des deux camps à dialoguer illustre le blocage de la politique thaïe autour de la figure de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra.


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Amnesty Bill », voilà les deux mots clés de la vie politique thaïlandaise depuis juillet. Porté par le parti majoritaire Pheu Thai, ce projet de loi viserait à supprimer les accusations de crimes politiques rendues depuis le 19 septembre 2006. La contestation qu'il a provoqué s'est cristallisée dans les manifestations des 7 et 8 août. Cependant, la faible mobilisation de l'opposition et un important dispositif policier à Bangkok ont empêché leur succès. Le projet de loi a donc passé, sans encombre, sa première lecture en séance, le 8 août.


Une amnistie encadrée

Selon Samut Prakan Worachai Hema, l'un des rapporteur du projet, cette réforme s'adresse, avant tout, aux victimes des affrontements du printemps 2010 ainsi qu'à ceux touchés par les arrestations qui ont accompagné la répression. 98 personnes avaient péries sous les balles et plus de 2000 autres avaient été blessés, principalement parmi les Chemises rouges. Le pays en était ressorti fondamentalement désolidarisé, une division à laquelle ce projet tente de remédier selon le Pheu Thai.

La « réconciliation nationale » passerait d'abord par les militants de base des « Chemises rouges » et « Chemises jaunes ». Les responsables des deux mouvements ne rentreraient pas dans le champs d'application de la future loi. Elle repose, en effet, sur l'article 112 du Code Criminel qui concerne les crimes de droit commun et non les cas politiques, d'après Worachai Hema.

Possible retour de M. Thaksin Shinawatra

Toutefois, la contestation ne faiblit pas. Le parlementaire Omgart Klampaiboon, membre du Parti Démocrate, a ainsi dénoncé une « nouvelle farce politique du gouvernement » destinée à favoriser le retour de Thaksin Shinawatra. Destitué par le coup d’État de 2006, l'ancien Premier ministre est toujours condamné à une peine d'emprisonnement pour corruption et terrorisme. Exilé à Londres, il conserve cependant une influence considérable sur la scène politique thaïe. Le Pheu Thai est issu des restes du Thai Rak Thai, son ex-parti, tandis que le poste de Premier ministre est occupé par Yingluck Shinawatra, sa sœur cadette.

Le 13 août, Worachai Hema a pourtant proposé d'exclure explicitement certains hauts responsables, tel que l'ex-Premier ministre, du champs d'application du futur texte de loi. Cette proposition a été immédiatement rejetée par Nipit Furtarasabat, porte-parole du Parti Démocrate. Selon ce dernier, une définition claire des crimes non couverts par l'amnistie est en revanche nécessaire. Il est, en ce point, rejoint par Ukrit Mongkolnavin, juriste reconnu, qui met en avant l'inconstitutionnalité du texte.

En excluant certains responsables politiques des bénéficiaires de la loi, le Pheu Thai ouvrirait la porte à une saisine de la Cour Constitutionnelle de Thaïlande pour discriminations. Un scénario qui pourrait se traduire par une inclusion des responsables des émeutes dans le champs d'application de la loi, confirmant les craintes des opposants à Thaksin Shinawatra

« La paix avant l'amnistie » ?

Chavalit Yangchaiyudh, ancien Premier ministre, a appelé publiquement à « la paix avant l'amnistie » face à la hausse des tensions. Une paix que Yingluck Shinawatra entend ramener grâce à une Commission d'Union Nationale ad hoc. Elle comportera, non seulement, des responsables politiques, mais également des universitaires et des membres du monde de l'entreprise. Ses mains tendues à la Fédération des Industries Thaïlandaises ou bien au Bureau du Commerce de Thaïlande en sont les exemples les plus manifestes. Ce panel sera complété par Tony Blair, qui a accepté l'invitation officielle de la Premier ministre le 14 août.

Cette annonce a eu pour seul effet d'attiser les tensions. Le 14 août, Omgart Klampaiboon estimait dans le journal The Nation que « les gens invités par le gouvernement pour prendre part [à la Commission] partagent les idées du précédent Premier ministre Thaksin Shinawatra ou sont proches du gouvernement ». Dès lors, toute coopération à cet organe est inacceptable pour le Parti Démocrate. Omgart Klampaiboon a ajouté que la Commission n'était qu'une nouvelle diversion pour tenter de faire oublier les réformes législatives en cours. Le Pheu Thai a officiellement déploré l'attitude de l'opposition, qu'il estime inapte à défendre les intérêts premiers de la nation.

Persistance d'une « culture d'impunité' »

Théoriquement, le projet de loi sera voté, car Yingluck Shinawatra dispose de la majorité parlementaire. Cependant, la pratique du processus législatif s'annonce semée d'obstacles. Le Parti Démocrate peut ainsi utiliser de nombreux mécanismes institutionnels pour freiner l'avancée des débats. Malgré leur habileté à jouer de détails techniques, les responsables politiques thaïlandais ont montré leur incapacité à dépasser les tensions qui minent l'État depuis l'élection de Thaksin Shinawatra.

« Pour rendre justice aux victimes des violences et pour mettre fin à la perpétuelle culture d'impunité de la Thaïlande, le projet de loi d'amnistie devrait exclure les responsables d'excès et au contraire, les faire répondre de leurs crimes », estime Brad Adams, directeur de l'organisation Human Rights Watch en Asie. Cette remarque met en évidence le problème majeur de la politique thaïe. La rigidité de la hiérarchie sociale empêche non seulement toute poursuite des responsables d'abus, mais également tout dialogue social. Elle favorise ainsi des explosions comme celles de 2010. Néanmoins, la crise actuelle apporte un signe particulièrement positif : l'hétérogénéité des forces d'opposition. Elle démontre l'existence d'une aire de débat au sein du mouvement anti-Thaksin. Encore faudrait-il que ces forces d'opposition arrivent à dialoguer avec la majorité.
 

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Piotr Kowalczyk