Taïwan mobilisé pour défendre l’indépendance de ses médias

Corentin Bialais, correspondant à Taipei (Taïwan)
16 Janvier 2013



Les étudiants taïwanais sont mobilisés depuis plusieurs mois contre le projet de rachat de nombreux titres de presse par la compagnie Want Want China Times. Au-delà de la simple transaction, les protestataires craignent que l’indépendance des médias de l’île souffre de ce rachat puisque le groupe de Shanghai, favorable à la politique de Pékin, est accusé d’ingérer dans les lignes éditoriales de ses groupes de presse.


31 décembre 2012, environ 200 personnes rassemblées pour défendre l’indépendance de la presse / Klaus Bardenhagen, taiwanreporter.com
31 décembre 2012, environ 200 personnes rassemblées pour défendre l’indépendance de la presse / Klaus Bardenhagen, taiwanreporter.com
Alors même que se tiennent les festivités du Nouvel An à l’autre bout de la ville, avec notamment les fameux feux d’artifice de la Tour géante de Taipei 101, à la tribune, on se félicite de la mobilisation. Sur la Place de la Liberté, les discours d'étudiants, de professeurs, d’avocats se suivent, entrecoupés de petits films et de concerts autour d’une foule peu nombreuse mais bien présente.

Parmi les manifestants, certains s'apprêtent à passer la nuit sur place. A l’aube de la nouvelle année, le Président, Ma Jing Yeou (馬英九), prononce un discours à l’occasion de la cérémonie annuelle de levée du drapeau. Les manifestants prévoient un sit-in pacifique afin de montrer leur désaccord avec la politique du gouvernement actuel. 


C’est donc par un mouvement de contestation, qui dure déjà depuis plusieurs mois à Taiwan, qu’a commencé l’année 2013.

Ingérence économique dans les médias taïwanais

L’origine de la contestation vient du rachat par l’entreprise chinoise Want Want China Times d’une part importante du groupe Next Media, trop importante aux yeux des étudiants à l’origine de la contestation, qui craignent que cette situation de monopole n'affecte l'indépendance des titres membres du groupe. Want Want est notamment connu pour sa complaisance avec la politique du Parti communiste chinois (PCC) et le contenu éditorial de ses journaux pourrait en être affecté.


Cette inquiétude semble légitime. Le 25 juillet 2012, lors des premiers remous de l’affaire, le quotidien China Times, propriété du groupe, publie un article accusant l’Academia Sinica de Taipei de payer les étudiants pour aller manifester contre le projet de rachat. Cette analyse infondée a toutefois été rapidement dénoncée. Elle illustre la menace bien présente qui pèse sur l'indépendance de la presse taïwanaise.


De nombreux médias sont concernés par le rachat du groupe, plusieurs chaînes de télévisions, mais surtout certains des principaux quotidiens nationaux comme le Apple Daily (蘋果日報), connu pour son opposition historique au régime de Pékin et son soutien au mouvement indépendantiste taïwanais.

Les protestataires, principalement étudiants, journalistes ou juristes, demandent que le gouvernement prenne des mesures pour réglementer la possession des groupes de presse pour éviter des situations de monopole et ainsi limiter la marge de manœuvre des investisseurs dans les contenus éditoriaux. La mobilisation s’est développée progressivement pour prendre aujourd’hui une place prépondérante dans l'actualité taïwanaise. 


Ainsi depuis le mois d’octobre, la plupart des universités de Taipei se sont mobilisées, à travers des sit-in géants, notamment devant le parlement taïwanais. De nombreuses conférences sont également régulièrement organisées dans différentes universités.


Après des premiers signes décourageants, la Commission de la concurrence donnant son aval à la transaction, le mouvement a connu quelques succès et dernièrement, un étudiant représentant le mouvement a été autorisé à interroger un ministre lors d’une séance parlementaire.

Défendre la presse taïwanaise pour conserver son indépendance

Les enjeux qui transparaissent de cette lutte sont à la fois propres à l'île et à toute démocratie.
Les clivages politiques taïwanais se construisent à travers ses relations avec la Chine dont elle revendique encore officiellement le nom et la souveraineté territoriale, et des désirs grandissants d’une partie de la population de plus en plus nombreuse, pour l'indépendance de l'île.

La singularité de Taïwan, s’exprime aussi à travers son modèle démocratique pluraliste qui contraste avec la dictature continentale. La défense de la liberté d’expression est donc un combat à la fois démocratique et identitaire.

En ce début d’année 2013, la contestation se poursuit et semble s’amplifier, puisque dimanche 13 janvier, c’est plus de 100 000 Taïwanais qui ont battu le pavé à la demande du Parti démocrate progressiste dans le centre de Taipei, sous le slogan “colère” (火大). Le rassemblement conteste la politique générale du gouvernement de l’actuel Premier ministre, Ma Jingyeou, et entre autres son inaction dans le rachat du groupe Next Media.

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1.Posté par Jean-François Amadei le 17/01/2013 10:26
Une petite coquille c'est glissé dans le texte, "WANT WANT" n'est pas un compagnie du continent mais bien locale, avec de tres clair liens avec le pouvoir chinois mais reste une compagnie Taiwanainse.


2.Posté par Laura-Lise Reymond le 18/01/2013 14:29
L'entreprise "Want Want" est effectivement un groupe taïwanais, et sa filiale "Want Want Group"(ou Want Want China Holdings Limited) est basée à Shanghaï (Chine).
Want Want est comme vous le soulignez proche du continent, et du parti politique taïwanais en faveur du rapprochement avec la Chine.
Want Want a racheté le groupe China Times group, d'où l'appellation ici de Want China Times.

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