C’est sous un parasol, autour de trois jus de gingembre que Teddy Goitom et Benjamin Taft racontent leur périple. Senay Berhe, leur troisième acolyte, roupille encore. Après six mois de voyage loin de Stockholm, la ville qui a donné son nom à leurs documentaires, les membres de Stocktown font escale à Dakar. Le 13 février, ils ont projeté en avant-première dans la capitale sénégalaise trois films présentant la scène artistique de Johannesburg (Afrique du Sud), Luanda (Angola) et Nairobi (Kenya). Partis à la recherche de nouvelles cultures urbaines, ils rapportent avec eux des récits incroyables, bien loin des clichés qui polluent trop souvent notre représentation du continent africain. On y découvre le succès de l’Angolaise Titica, premier transsexuel à remplir les salles de concerts africaines ; le chanteur sud-africain Gazelle et son acolyte déjanté, le Dj invisible ; les grapheurs de Cape Town et de « Joburg » ; les nouveaux groupes de Hard Métal de Soweto…. Leur but : faire entendre ces voix trop souvent étouffées, et faire vivre à travers leurs images la créativité des jeunes africains.
Le Journal International : Pourquoi l’Afrique ?
Stocktown : Teddy Goitom, notre fondateur et producteur, faisait déjà des documentaires musicaux autour du monde The global music Tv series, depuis 10 ans. Puis Teddy et moi on a travaillé dans la publicité, et nous avons tous les deux perdu notre emploi en même temps. Teddy m’a montré son travail, et nous avons décidé de monter un projet dans la même veine. Nous étions conscients que les artistes africains étaient sous-représentés. La seule chose qu’on entend à propos de l’Afrique ce sont des histoires de touristes, de guerres ou de maladies. Il y a très peu de récits à propos des Africains vivant simplement leurs vies, leurs relations, et tout ce dans quoi chacun peut se reconnaître. Ce fut le point de départ. La musique est quelque chose qui est toujours associé à l’Afrique. Nous savions que cela serait une porte d’entrée facile. Mais nous nous posions la question : allons-nous trouver autre chose là-bas ? Il doit y avoir des arts visuels, du stylisme, de la photographie. Tellement d’autres disciplines artistiques qui devraient être vues et connues, mais dont on n’entend jamais parler. Aujourd’hui à travers les réseaux sociaux, les blogs, Instagram, on perçoit de plus en plus d’idées et de nouveautés venant du continent africain. Ce que nous voulions, c’était simplement aller trouver ces personnes, recueillir leurs expériences, et en faire quelque chose.
Le Journal International : Pourquoi l’Afrique ?
Stocktown : Teddy Goitom, notre fondateur et producteur, faisait déjà des documentaires musicaux autour du monde The global music Tv series, depuis 10 ans. Puis Teddy et moi on a travaillé dans la publicité, et nous avons tous les deux perdu notre emploi en même temps. Teddy m’a montré son travail, et nous avons décidé de monter un projet dans la même veine. Nous étions conscients que les artistes africains étaient sous-représentés. La seule chose qu’on entend à propos de l’Afrique ce sont des histoires de touristes, de guerres ou de maladies. Il y a très peu de récits à propos des Africains vivant simplement leurs vies, leurs relations, et tout ce dans quoi chacun peut se reconnaître. Ce fut le point de départ. La musique est quelque chose qui est toujours associé à l’Afrique. Nous savions que cela serait une porte d’entrée facile. Mais nous nous posions la question : allons-nous trouver autre chose là-bas ? Il doit y avoir des arts visuels, du stylisme, de la photographie. Tellement d’autres disciplines artistiques qui devraient être vues et connues, mais dont on n’entend jamais parler. Aujourd’hui à travers les réseaux sociaux, les blogs, Instagram, on perçoit de plus en plus d’idées et de nouveautés venant du continent africain. Ce que nous voulions, c’était simplement aller trouver ces personnes, recueillir leurs expériences, et en faire quelque chose.
JI : Quel est le but de votre projet ?
S : Il est important que les voix africaines se fassent entendre. Pas seulement en Occident, mais surtout à travers le continent africain. Car la représentation et l’identification sont très importantes là-bas : avoir des modèles, voir ce que font les autres à des endroits différents du continent, c’est primordial. Le point de vue de Bill, chanteur de Just a Band, un groupe kenyan, est intéressant à ce sujet. C’est lui qui nous a dit à quel point les jeunes Kenyans avaient un désir et un besoin de modèles, de figures charismatiques à suivre. Ils n’admiraient pourtant jamais des Kenyans, toujours des étrangers. Puis le groupe a fait ce clip qui a eu beaucoup de succès, et qui met en scène le personnage de Makmenda. Une sorte d’antihéros à la sauce kenyane, reprenant les canons des films américains des années 1980-1990. Et tout d’un coup, tous ces enfants ont eu un héros local, bien que ce ne soit pas un personnage particulièrement positif !
JI : Pouvez-vous décrire votre méthode de travail ?
S : La première prise de contact s’est souvent faite à travers les réseaux sociaux. Une fois sur place nous nous débrouillons pour avoir un contact « guide ». Mais nous nous laissons souvent aller aux aléas du voyage : si nous avions prévu quelque chose, mais qu’entre temps on nous parle d’une histoire plus intéressante, nous fonçons. Notre but est de donner une voix, une plateforme d’expression aux artistes. C’est un processus de création, qui bénéficie aux deux parties. Nous travaillons chaque fois avec des boites de productions locales, et les artistes participent au montage des films, le montage étant justement le moment où l’on construit l’histoire. C’est donc avec leurs yeux que nous voulons montrer ce qu’il se passe chez eux. Cela permet à notre projet d’être le plus proche possible de la réalité. C’est pareil pour les clips : nous créons un produit filmé en collaboration avec les musiciens, qu’ils pourront ensuite le poster sur Youtube.
Nous voulons que nos films soient projetés dans les pays africains, et dans les différentes capitales que nous avons visitées. Hier, à Dakar, c’était une avant-première, et j’espère qu’il y en aura d’autres comme ça. Car souvent les populations locales sont plus au courant de ce qu’il se passe en occident que des choses arrivant justes à côté de chez eux.
JI : Quel avantage offre le média du documentaire filmé ?
S : Aujourd’hui, alors que l‘économie africaine se développe à grands pas, sa culture et son art doivent se développer aussi. En ce moment, c’est le moment ou jamais de se faire une place et de devenir compétitif sur le marché de l’art. Ils ont assez souffert. Aujourd’hui ils doivent construire leurs propres récits, sans que d’autres guident et encadrent tout ce qu’il se passe, alors que ce sont tous des experts dans ce qu’ils font. Ce qu’ils disent, c’est « Nous sommes des créateurs. Voilà ce que nous faisons. Arrêtons de parler de casser les stéréotypes, devenons simplement plus visibles. »
JI : Comment pourriez-vous qualifier les revendications et messages des artistes que vous avez rencontrés ?
S : Notre regard doit devenir plus précis en ce qui concerne les scènes artistiques des pays africains : nous devons surtout voir la variété des disciplines, les nuances et les variations. Je pourrais aussi dire, bien que l’on ne puisse faire de généralités, que cette scène est bien plus dure et bien plus vibrante qu’en Europe : il y a moins de possibilités, tout est plus compliqué, et les artistes doivent travailler deux fois plus dur pour y arriver. Ils savent que c’est soit cela, soit rien. S’ils ne le font pas, personne ne le fera pour eux : ils créent eux-mêmes leurs destins et leurs opportunités. L’art représente pour eux souvent un moyen de tracer leur propre chemin. Les paroles de la chanson Unisibore, du groupe Kenyan Just a Band, reflètent tout à fait cela : « If a don’t do something then nothing will be done, if i don’t say something than nothing will be said ».
JI : Quel est votre meilleur souvenir jusqu’ici ?
S : Clairement, c’était en Angola, lors de notre rencontre avec MC Sacredote, à Luanda. Nous avons passé deux jours avec eux, à les écouter faire le « fachado » ce rap en portugais caractéristique de là bas. Mc Sacredote, il a construit son studio à partir de rien : l’ordinateur, le matériel pour enregistrer, tout. Il a énormément aidé tous les gens autour de lui, et nous étions simplement fascinés. Nous voulions nous aussi faire quelque chose avec eux. Le jour même, il a créé un bit, et le lendemain nous étions en train de tourner un clip. De faire partie de cela et de créer avec eux, c’était fantastique.
JI : Qu’est-ce que vous a le plus frappé chez ces artistes africains ?
S : C’est le « do it yourself ». Dans ces villes, l’éducation est encore très peu développée, et il n’y a carrément pas de filière artistique. Ou alors cela coûte très cher. De même, les gouvernements ne mettent pas à disposition des artistes des espaces ou des fonds d’aide. Il est donc très intéressant de voir comment les scènes alternatives se construisent : les jeunes apprennent tout par eux-mêmes, comment coudre, comment faire de l’animation, etc. Ils arrivent à des produits finis, comme s’il y avait eu une longue chaine derrière. Le deuxième trait caractéristique est l’importance de la rentabilité de ce qu’ils font. En Afrique, il est très rare de pouvoir être un artiste professionnel. À Nairobi, même dans la classe moyenne, tu peux être un artiste, mais tu dois aussi être un entrepreneur. Soit tu travailles à côté, soit tu arrives à rendre ton art rentable en faisant toi-même tout le packaging et la commercialisation. Par exemple, pour les nombreux stylistes sud-africains que nous montrons dans le film, leur marque est un moyen de s’en sortir. Ta marque, si elle marche, tu es sauvé, sinon tant pis.
JI : Votre idée l’Afrique a-t-elle évolué durant les six derniers mois ?
S : Le principal apriori, ce que tout le monde nous disait, c’est que nous ne trouverions que de la musique là-bas, qu’il n’y aurait rien d’autre intéressant. Cette affirmation s’est avéré être complètement fausse : nous avons trouvé du stylisme, du graffiti, des photographes, des peintres des blogueurs et j’en passe. La deuxième idée reçue était l’aspect dangereux de l’Afrique. Et il faut dire que depuis les six mois que nous voyageons, nous n’avons eu aucun problème majeur. Alors qu’en suivant les artistes, nous nous sommes rendus dans des endroits, en Afrique du Sud, en Angola et au Kenya, où même les populations locales ne s’aventurent jamais. Ces villes souffrent d’une si grande ségrégation. En Afrique du Sud, nous avons par exemple passé la majeure partie de notre temps à Soweto, un township à environ 15 km au sud de Johannesburg réputé pour être très dangereux. Au début nous n’étions jamais très rassurés. Mais au bout d’un moment, nous n’y pensions même plus.
Le mercredi 19 février, Stocktown est parti pour Accra, en Angola. La destination suivante ? Ils ne savent pas encore. Peut-être la Côte d’Ivoire ou le Nigéria. Le succès grandissant de leur concept les pousse à aller de l’avant. En attendant, suivez leur périple sur leur Tumblr.