"Si Obama gagne la Floride, l'élection est pliée"

22 Octobre 2012



Après un troisième débat opposant Mitt Romney, le candidat républicain et Barack Obama, le Président sortant, bilan de cette campagne présidentielle avec Olivier Richomme, maître de conférence sur la civilisation américaine à l'Université Lyon 2, co-auteur (avec Vincent Michelot) de l'ouvrage "Le bilan d'Obama". Entre la future victoire d'Obama et l'incapacité de Romney, il nous dit tout.


Je voudrais évoquer avec vous le deuxième débat qu'il y a eu entre Barack Obama et Mitt Romney. Obama serait donné vainqueur à 46% selon un sondage de CNN. Quand on sait que les élections américaines se jouent essentiellement chez les indécis, pensez-vous que les débats soient déterminants, très importants ?

 

Dans certains cas, oui. Lorsque l'on a une déclaration fracassante ou vraiment une grosse gaffe. Mais sorti de ça, non. Ce sont des instruments du statu quo dans la plupart des cas. Surtout aujourd'hui, parce qu'on a beaucoup d'informations 24 heures sur 24 avec Internet. Ces débats ne sont plus les grandes messes qu'ils étaient dans les années 60, 70, 80.

 

Aux Etats-Unis, les Etats indécis comme la Floride ou l'Ohio sont les clés du scrutin. Est-ce que vous savez comment se situent Obama et Romney dans ces Etats-là ?

 

Vous avez raison, il y a environ 9-10 États qui peuvent faire la différence. La Floride est le plus important à cause du nombre de 29 grands électeurs. Ensuite dans l'ordre d'importance, il y a l'Ohio qui en compte 18. Puis vous avez la Virginie, la Caroline du Nord, peut-être le Wisconsin, le Colorado. Ensuite, on descend suivant la taille de l'État. Donc le plus important, c'est la Floride. Parce que si Mitt Romney ne gagne pas la Floride, mathématiquement c'est impossible pour lui d'obtenir les 270 grands électeurs. Le premier État à conserver, c'est la Floride. Si Obama arrive à garder la Floride, l'élection est pliée (ndlr : les sondages donnent Romney gagnant en Floride mais le candidat démocrate est favori dans les autres twin states).

 

En 2008, Obama avait gagné notamment grâce aux voix des « Latinos ». Est-ce que cette année, il les aura ? Elles pourraient très bien basculer chez les républicains pour leurs valeurs conservatrices.

 

Oui, mais les républicains se sont tirés une balle dans le pied dans les années précédentes à cause de leurs positions extrêmes sur la question de l'immigration et sa réforme. C'est pourquoi Obama joue sur le fait qu'il soit fils d'un immigrant et qu'il comprend ce genre de question. Mais aussi les républicains ont une très mauvaise image pour l'instant dans la communauté hispanique à cause de tous les projets de loi qui sont passés dans les différents Etats et en particulier les Etats frontaliers. Mitt Romney n'est pas un bon candidat pour changer cette image du Parti républicain vis-à-vis de la communauté hispanique. Obama va environ recevoir 95% du vote noir, environ 65% du vote hispanique. La vraie question est de savoir si les gens iront vraiment voter. On sait que les hispaniques voteront Obama mais on ne sait pas s'ils se déplaceront pour voter ou resteront chez eux. Ce serait plutôt une question de mobilisation dans la communauté hispanique.
 

Durant les précédentes élections, la campagne d'Obama avait suscité un enthousiasme presque mondial. Mais durant le premier débat, il semblait mou. Comment expliquez-vous cette différence ? Était-t-il trop dans le costume présidentiel ?

 

Il n'a jamais été bon dans les débats. Même en 2008, c'était souvent Joe Biden ou Bill Clinton qui étaient meilleurs dans cet exercice. Il est très doué pour les discours où il s'enflamme. Mais les débats, ce n'est pas vraiment son truc. De plus, le Président a beaucoup moins de temps pour se préparer. Et au bout des quatre ans de présidence, il n'a plus les réflexes de ce genre d'exercice où vous devez répondre en 30 secondes à des questions extrêmement complexes. Obama a toujours eu l'habitude de s'exprimer en paragraphe comme un intellectuel qu'il est. Et depuis qu'il est Président, il a vraiment tendance à s'exprimer sous forme de discours dans des formats de plus en plus longs. Dans les débats, on voit qu'il a besoin de se préparer et que ce n'est pas son format de prédilection.

 

Vous avez déclaré à LCI qu'Obama allait gagner suite au premier débat. Est-ce que vous pensez toujours qu'il va l'emporter ? Alors que cela semble très serré.

 

Cela fait quatre ans que je le dis donc je ne vais pas changer de discours. Les raisons ? Il y en a plusieurs. L'une d'elles, c'est que le Parti républicain est sans leader. On a des leaders par défaut comme John McCain ou Mitt Romney qui nous ressortent les anciennes recettes et j'ai du mal à croire que cela suffise à battre un président sortant qui bénéficie toujours d'un avantage. Si je devais mettre mon salaire en jeu, ce serait sur le candidat sortant pour cette raison. Obama est assez bon en campagne, il fait généralement peu d'erreurs. Romney a tendance à faire de grosses gaffes, c'est un candidat par défaut. Puis au niveau de la levée des fonds, on est à peu près à armes égales. La seule chose qui, peut-être, me faisait dire qu'il avait une chance de passer, c'était la situation économique et le taux de chômage. Sans ce taux élevé, je pense qu'Obama aurait beaucoup plus de facilités à battre Romney. Je reste persuadé qu'il est un mauvais candidat pour le Parti républicain qui est divisé et ce sera à mon avis suffisant pour ne pas réussir à gagner les deux ou trois Etats clés qu'il leur faut.

 

Vous dites que Mitt Romney est un mauvais candidat mais un sondage montre que 58 % des Américains le trouvent plus compétent qu'Obama pour s'occuper de la situation économique.

 

Le problème est que le Parti républicain est une coalition de différents mouvements. Et si Romney a un minimum de crédit sur la question économique, il n'en a aucun sur la politique étrangère et sur les questions sociales en particulier. Il était maladroit en tant que gouverneur du Massachusetts. Il a dit tout et son contraire. Il dit l'inverse de ce qu'il disait dix ans auparavant. Romney n'arrive pas à maintenir la coalition conservatrice qui avait été mise en place par Ronald Reagan. Les conservateurs le boudent aussi un peu sur le social et la politique étrangère. Sur l'économie, on lui donne une certaine légitimité mais ses propositions ressemblent à celles de Bush et des années précédentes donc rien de nouveau. Je ne suis pas sûr que les Américains soient prêts à retomber dans les mêmes travers. Ils se souviennent quand même de la dérégulation, de la baisse d'impôts et de Bush qui les a mis dans une situation économique pas très favorable. Je crois vraiment qu'il y a des signes qui indiquent la fragilité de la coalition républicaine que tente de mener Romney.

 

Pour finir, à propos du deuxième débat, le journaliste américain George Will a déclaré que c'était le meilleur depuis celui de 1960 entre John Kennedy et Richard Nixon . Êtes-vous d'accord avec lui ?

 

(Léger rire) Je ne les ai pas tous vus et je n'étais pas né donc je ne pourrai pas comparer. Le débat était intéressant dans le sens où les candidats se sont différenciés sur le fond et la forme. On a vraiment un choix clair entre deux projets politiques, deux Amériques. En ça, le débat était utile. Obama a mis plus d'énergie pour défendre ses positions. Romney a changé ses points de vue suivant les événements de la campagne, il se présente comme un candidat conservateur. Après, je ne sais pas si c'est le meilleur débat de l'histoire. Cela m'étonnerait parce qu'il n'y a pas eu de phrases choc comme dans d'autres où il y avait parfois plus d'émotion. Mais c'était un débat intéressant pour cette campagne-ci.


 

 


Ci-joint, le dernier débat entre Barack Obama et Mitt Romney

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Abdou Sarr
Journaliste polyvalent, à l'aise aussi bien avec les questions politiques que sportives. En savoir plus sur cet auteur