Shanghai, la moins chinoise des villes chinoises

4 Novembre 2015



Odeur épicée aigre-douce, vent chaud et humide, des larges avenues surpeuplées, des toits aux extrémités surélevées, ainsi pourrait être décrite la première impression d’une européenne à l’autre bout du continent eurasiatique.


Vue sur Pudong, prise sur le Bund – Crédit Eugénie Rousak
Vue sur Pudong, prise sur le Bund – Crédit Eugénie Rousak
Après quelques 11 heures, passées dans un avion à regarder des films occidentaux, le voyageur descend finalement sur la terre chinoise à Shanghai, prêt à vivre une aventure d’expatrié à l’autre bout du monde. Tout diffère, tout est nouveau, inconnu et excitant à la fois.

Début de l’aventure colonialiste

Accueilli dès l’arrivée par des gardes de l’ordre et l’administration, il est temps maintenant pour commencer à s’imprégner de la culture, tradition et organisation de ce pays nouveau. Tout débute par ce train futuriste « Maglev » qui relie l’aéroport de Pudong au centre de la ville « Puxi » (le trajet coûte 40 yuans, sur présentation du boarding pass). Il a la réputation d’atteindre une vitesse de 431 km/h et n’être guidé que par la force magnétique. Parvenu sur l’autre côté de la Huangpu Jiang (la « rivière jaune » de Shanghai), les rues grognent de shanghaiens à toute heure, qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser de l’organisation communiste et de l’ordre chinois, se bousculent, tracent le chemin des autres et respectent très peu le code de la route. Le premier choc est sûrement, quand en passant sur un passage piéton au feu vert, vous vous faites klaxonner par des motards un peu trop pressés, au risque même de vous blesser si vous ne vous arrêtez pas pour les laisser passer. Sur les grandes rues, il y a mêmes des policiers, chargés d’arrêter les voitures qui ont le feu rouge pour laisser les piétons passer. Donc pour vos balades pédestres, n’oubliez pas, la voiture est prioritaire sur les piétons. Et le klaxon est une institution à Shanghai, qu’on utilise même pour « annoncer son passage ». 

Tout s’est enchaîné très vite et ainsi, presque sans rien comprendre, on se retrouve au milieu de la foule, dont on ne connaît pas la langue, mais désirant de goûter à la culture et aux traditions. 

Ancienne grandeur et grandiose modernité

Vue sur Shanghai faite sur la tour Jinmao de 421 mètres - Crédit Eugénie Rousak
Vue sur Shanghai faite sur la tour Jinmao de 421 mètres - Crédit Eugénie Rousak
Avec ses 15 millions d’habitants et encore 10 millions dans la banlieue, Shanghai est une métropole nouvelle, progressiste et moderne, mais à cause de ses influences japonaises, britanniques et françaises, elle est sûrement la moins chinoise des villes. Tout ici rappelle les anciennes occupations de Shanghai. Le « Bund », par exemple, nom donné au quai de la Huangpu Jiang était autre fois le cœur de la concession britannique, considéré par ces derniers comme la plus jolie et stratégique part de la ville. Bien sûr, depuis les temps de la colonisation, la ville s’est métamorphosée, mais cette promenade reste un point phare.

Vue sur Pudong, prise sur le Bund – Crédit Eugénie Rousak
Vue sur Pudong, prise sur le Bund – Crédit Eugénie Rousak
Depuis le Bund une vue magnifique s’offre à vous avec de nombreux gratte-ciel de Pudong, la tour de télédiffusion Oriental Pearl,  la tour Jinmao de 421 mètres (le bar au dernier étage offre une vue imprenable sur Shanghai) et le Centre mondial des finances de Shanghai, surnommé « décapsuleur » à cause de sa forme. Jour comme nuit la grandeur des ce côté du Huangpu Jiang témoigne de la modernité de la Chine actuelle.

Promenade sur le Bund et vue sur les bâtiments historiques, qui aujourd’hui abritent les piliers de la finance - Crédit Eugénie Rousak
Promenade sur le Bund et vue sur les bâtiments historiques, qui aujourd’hui abritent les piliers de la finance - Crédit Eugénie Rousak
De l’autre côté de la rivière jaune se trouvent des bâtiments historiques, qui, aujourd’hui, abritent les piliers de la finance, avec notamment le siège d’HSBC (Hong Kong & Shanghai Banking Corporation), la banque de Chine, Shanghai Gold Exchange et la Banque française de l’Indochine.

Les deux côtés sont bien reliés, avec de nombreux tunnels pour les voitures, ponts, bateaux réguliers pour les piétons (2 yuans).

Petits bateaux touristiques sur la Huangpu Jiang (la « rivière jaune » de Shanghai) - Crédit Eugénie Rousak
Petits bateaux touristiques sur la Huangpu Jiang (la « rivière jaune » de Shanghai) - Crédit Eugénie Rousak
Il y a même un tunnel touristique futuriste (50 yuans aller/ 70 yuans aller-retour), où les voyageurs passent dans un tube dans des petites cabines entièrement automatiques. Des flashs de différentes couleurs et intensité s’allument sur le passage, accompagnés d’un fond sonore glauque, ce qui, apparemment, retrace l’histoire de Shanghai.  

Passage dans le tunnel touristique futuriste du Bund - Crédit Eugénie Rousak
Passage dans le tunnel touristique futuriste du Bund - Crédit Eugénie Rousak

Ancienne colonie, asiatisée aujourd’hui

Une autre partie de la ville rappelle la présence étrangère dans cette ville chinoise, ladite « concession française » qui s’étend du parc Fuxing au centre de Huaihai. Entre les villas et maisons au style architectural occidental, les bars à vins et une population francophone d’expatriés français le soir,  aucun sentiment de dépaysement ne se fait sentir. 
Villa typique de la Concession Française - Crédit Eugénie Rousak
Villa typique de la Concession Française - Crédit Eugénie Rousak

En plus, bien entendu, aujourd’hui renommées, mais historiquement les rues portaient aussi des noms français, comme par exemple, l’avenue Pétain, devenue aujourd’hui Hengshan Road. A l’époque coloniale, cette partie de la ville était la plus paradoxale, mêlant à la fois le prestige à une mauvaise réputation, abritant des hommes puissants, exceptionnels, comme Sun Yat-sen, père de la Chine moderne, mais également certains truands, notamment Du les Grandes Oreilles. 

Ere communiste chinoise

Paradoxalement, le premier congrès national du Parti communiste chinois s’est également déroulé dans la Concession Française. L’édifice gris et rouge est aujourd’hui un musée (entrée gratuite), retraçant l’histoire du communisme en Chine. 
L’édifice gris et rouge du premier congrès national du Parti communiste chinois- Crédit Eugénie Rousak
L’édifice gris et rouge du premier congrès national du Parti communiste chinois- Crédit Eugénie Rousak

Même si les visiteurs peuvent rentrer dans la pièce recréée de la réunion et autres logements, malheureusement qu’un seul tiers de l’exposition a été traduit en anglais. 
Salle dans le musée du premier congrès national du Parti communiste chinois avec les photos des 13 premiers membres et 2 observateurs - Crédit Eugénie Rousak
Salle dans le musée du premier congrès national du Parti communiste chinois avec les photos des 13 premiers membres et 2 observateurs - Crédit Eugénie Rousak

Communication et anecdote personnelle

En parlant de l’anglais justement, contrairement à ce que l’on pourrait penser d’une mégalopole aussi importante, la population parle très peu, voire pas du tout la première langue internationale. Ce problème de communication conduit parfois à des situations intéressantes, voire comiques. Pour la petite anecdote personnelle, en voulant payer ma consommation dans un café et après avoir utilisé tous les mots potentiellement employables comme « to pay », « bill », « check », « money », j’ai commencé à gesticuler une feuille avec quelque chose écrit dessus. Quelques minutes plus tard, je me suis retrouvée avec une feuille blanche et un stylo, sous le regard amusé des autres clients. Pour le taxi aussi (très bon marché, par ailleurs) il faut, de préférence, montrer une feuille avec la destination désirée écrite en hiéroglyphes en caractères chinois au chauffeur pour éviter des situations surprenantes à l’arrivée, à moins que cela soit le but recherché ! Il faut aussi savoir, que les noms ne sont pas forcément les mêmes en chinois qu’en anglais, donc impossible, par exemple, de demander son chemin en disant le nom de l’hôtel, tel qu’il est écrit en anglais.
Crédit Eugénie Rousak
Crédit Eugénie Rousak

Dialecte shanghaien

Les shanghaiens utilisent le plus souvent leur propre dialecte, variante de Wu, malgré le désir du gouvernement central d’unifier les langues de Chine en imposant le mandarin comme seule langue enseignée à l’école et utilisée dans la vie culturelle. En plus, quand les shanghaiens parlent en mandarin, ils utilisent une prononciation un peu différente, sautant quelques consonnes, ce qui rend leur parole plus difficile à comprendre. Cette barrière linguistique dépassée, le peuple est très accueillant et adore se prendre en photo avec des touristes européens.
 
Promenade du bord de la  Huangpu Jiang (la « rivière jaune » de Shanghai) au coucher de soleil et vue sur le Bund- Crédit Eugénie Rousak
Promenade du bord de la Huangpu Jiang (la « rivière jaune » de Shanghai) au coucher de soleil et vue sur le Bund- Crédit Eugénie Rousak

Shanghai traditionnel

Très attachés à leur dialecte, les shanghaiens ne sont pas moins fiers de leur ville, particulièrement de la toute ancienne et traditionnelle partie, Nanshi. Le premier mur a été construit en 1553, lors de la dynastie de Ming. Par la suite, le quartier avait une réputation de port dangereux, insalubre et peu fréquenté par les colonialistes. Aujourd’hui, Nanshi est devenu un petit coin de tradition dans la ville en développement, même si tout y paraît un peu surfait, trop entretenu, avec un air de playmobil. Le centre est occupé par le jardin Yu de deux hectares (l’entrée coûte 15 yuans pour les étudiants/30 pour les autres), dont la création remonte encore au 1559, dans l’idée de recréer un monde miniature avec de petits lacs, de petites montagnes, des recoins cachés et des terrasses à l’ombre. 
Jardin Yu de deux hectares au coeur de Nanshi - Crédit Eugénie Rousak
Jardin Yu de deux hectares au coeur de Nanshi - Crédit Eugénie Rousak

L’art de la négociation

Autour du jardin, un bazar Yu Yuan a été reconstruit, où vous pourrez trouver des bijoux, des souvenirs et quelques antiquités. Avant d’acheter, n’oubliez pas, la négociation des prix est un « sport national » en Chine, donc prêter-vous au jeu, même si quelques méthodes classiques existent : demander le prix au vendeur, qui par ailleurs va être 7-8 fois supérieur au prix auquel vous pouvez l’avoir. Une fois le prix donné, dites que c’est trop cher et attendez que le vendeur baisse tout seul son prix. C’est après que tout l’art commence. Il va vous demander de lui donner votre prix, qu’il va qualifier de trop faible pour la qualité/travail/taille/etc. du produit. Le mieux est de vous tenir à votre premier et seul prix en faisant semblant de partir du magasin et vous laisser finalement rattraper par le vendeur, mais vous pouvez aussi augmenter légèrement. N’oubliez pas, c’est un jeu, et il faut s’y prêter, et le vendeur ne va jamais vendre son produit si le prix est en sa défaveur. Et plus vous achetez dans le même endroit, plus vous pouvez négocier le prix, le vendeur se rendant compte que s’il ne cède pas un peu plus, il ne va rien vendre. 

Rituel des thés

Plantations du thé vert à Longjing- Crédit Eugénie Rousak
Plantations du thé vert à Longjing- Crédit Eugénie Rousak
Pour revenir à Nanshi, au milieu d’un petit lac artificiel se trouve la maison du thé, dans une bâtisse du même style que tout le quartier. Il faut savoir que les chinois adorent le thé, particulièrement le thé vert, produit sur des plantations dans des régions spécifiques, comme celle de  Longjing. 

Ils le boivent aussi bien froid, se baladant dans les rues avec une gourde, ou dans des cafés climatisés pour échapper à la chaleur estivale. Les rayons des supermarchés sont d’ailleurs remplis avec en moyenne une vingtaine de types de bouteilles différentes d’ « Ice Tea ». Le thé chaud est également très apprécié et la cérémonie de thé reste un des piliers fondamentaux de la culture chinoise ; on le boit lentement, remettant plusieurs fois de l’eau bouillante sur les feuilles de thé. 

 D’ailleurs, l’une des escroqueries et attrapes-touristes classiques pour quelques chinois malhonnêtes est de rencontrer un ou plusieurs touristes dans la ville, bavarder un peu et ensuite leur proposer d’aller voir une cérémonie de thé avec eux. Bien entendu, les propriétaires des lieux travaillent avec vos « nouveaux amis » et vous allez payer cher pour voir cette démonstration.

 
Ambiance relaxante dans la maison de thé au coeur de Nanshi - Crédit Eugénie Rousak
Ambiance relaxante dans la maison de thé au coeur de Nanshi - Crédit Eugénie Rousak

Les trois religions de Shanghai

Rites des croyants dans le temple bouddhiste de Jing'an - Crédit Eugénie Rousak
Rites des croyants dans le temple bouddhiste de Jing'an - Crédit Eugénie Rousak
Nanshi abrite également beaucoup de temples des trois principaux cultes chinois – bouddhisme, taoïsme et confucianisme. Les temples bouddhiques se distinguent par la présence des représentations de Bouddha, Mile (Bouddha rieur), Maitreya (Bouddha du futur) etc. 

L'intérieur du temple de Jing'an, « Temple de la Paix et de la Tranquillité », temple bouddhiste situé sur la Rue de Nankin - Crédit Eugénie Rousak
L'intérieur du temple de Jing'an, « Temple de la Paix et de la Tranquillité », temple bouddhiste situé sur la Rue de Nankin - Crédit Eugénie Rousak
Les temples taoïstes referment les images des Huit Immortels, de l’empereur de jade, etc ; cette religion, très proche de la nature, enseigne l’existence en harmonie avec le tao. Finalement, les temples confucéens sont plus dédiés à la tradition et à l’éducation et détiennent des gigantesques statues du philosophe Kong Fuzi. 


Les temps du communisme avaient détourné la population de la religion en un Dieu, telle qu’on la connaît en Europe, ce qui explique la présence d’une philosophie de vie religieuse, d’harmonie des êtres et du rapprochement avec la nature plutôt qu’avec une religion au sens strict de ce mot. 
 

La vie d’expat’ en Chine

Un nouvel arrivant en Chine est tout d’abord surpris par l’organisation de l’administration et de la police chinoises, ainsi que des rites à adopter en étant en Chine, comme l’obligation de constamment avoir son passeport pour que tous les déplacements en Chine, les opérations d’échange d’argent et les changements d’hôtels soient enregistrés par l’administration. Les policiers sont partout dans la ville, qui est par ailleurs équipée de vidéo surveillance permanente. Cela apporte certes un sentiment de sécurité, mais le sentiment d’être « suivi » en permanence demeure. Les règles sont différentes aussi de l’Europe, comme par exemple, en Chine, la consommation de drogue peut conduire à la peine de mort. Bien entendu, en Chine le statut d'expatrié diffère de celui d'un chinois, et les règles ne sont pas les mêmes pour les deux groupes. L’expatrié ne subit pas la pression de la société, d’image devant la famille, la population, l’état. Il sait qu’il vit dans un monde qui n’est pas le sien et a une vie ailleurs. « C’est un monde irréel, loin de la réalité de la vie habituelle, affirme Daniel, étudiant suisse en stage de 6 mois à Shanghai,  il n’y a pas de pression ici, on travaille, on sort, on s’amuse, personne ne nous connaît et ne nous juge en tant qu’individu, mais en tant que groupe d’expatriés ». Etre expatrié en Chine signifie profiter de ses avantages, tout en bénéficiant de l’assouplissement de quelques règles et d’une pression moins forte de l’environnement et de la population. Il ne faut cependant pas oublier que la police défendra toujours son peuple…
Sculpture de Confucius dans un temple chinois - Crédit Eugénie Rousak
Sculpture de Confucius dans un temple chinois - Crédit Eugénie Rousak

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Étudiante en dernière année de master Finance et Stratégie à Sciences Po Paris, je suis passionnée... En savoir plus sur cet auteur