Salvador : vers la réhabilitation des mareros ?

Marie Bail
17 Novembre 2015



Quand certains députés salvadoriens réclament sans relâche l’application de la peine de mort pour les maras, les gangs du Triangle du Nord de l’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Salvador), le gouvernement s’oriente depuis début novembre vers un projet de loi tendant à la réhabilitation de certains de leurs membres.


Crédit Michael Bush
Crédit Michael Bush
Les maras sont des bandes de jeunes qui se disputent le contrôle de territoires. Elles se livrent à des exactions au détriment de la population et au narcotrafic local. Jusqu’en 2000, elles n’étaient pas ou peu mises sur le devant de la scène, ni par la presse, ni par le gouvernement. Pourtant, à partir de 2001 sommets et programmes anti maras en Amérique centrale se sont multipliés. Au Salvador, F. Flores, président de 1999 à 2004, lance le premier plan national, la Mano dura, en juillet 2003, accompagné de la Loi Anti maras. 

Hégémonie des politiques répressives

Les deux mesures offrent une approche très vague de la définition d’un marero, qui se détermine essentiellement en fonction du code vestimentaire, des tatouages et de la classe sociale. Ces lois permettent d’appréhender un suspect avec très peu de preuves à l’appui. Ces imprécisions favorisent une libre interprétation de la part des forces de l’ordre et de la justice quant à sa détention. Depuis 2003, les programmes de répressions se sont succédés et des forces spéciales ont été mises en place en vue de réduire la violence liée aux activités des maras. Quant à leur nombre, il oscille entre 13 000 et 80 000 membres, une estimation approximative au gré des sources consultées. 

Violences en hausse

Pour réduire le nombre d’attaques, le gouvernement de l’actuel président, M. Salvador Sánchez Cerén, a poursuivi la stratégie sécuritaire répressive de ses prédécesseurs. Dès janvier les autorités ont déclaré à nouveau la « guerre aux gangs ». Pour ce faire, elles ont renforcé la militarisation de ses moyens en créant un nouveau bataillon de forces spéciales fort de 600 éléments, déployés en renfort des 7 000 militaires déjà présents dans les principales zones urbaines et aux abords des centres pénitenciers du pays. En mai 2015, il ordonne le transfert des principaux leaders emprisonnés dans des centres pénitenciers de surveillance maximale. 

Cela correspond aussi à la fin de la répartition des prisons par type de gangs, affiliés soit à la Mara Salvatrucha 13 ou au Barrio 18. Le gouvernement  estime que par ces mesures il fragilisera la chaîne de commandement des maras, capables de coordonner des attaques de l’intérieur des prisons. De fait, cela a déclenché des opérations ciblées contre les forces de l’ordre subissant des pertes importantes depuis mars 2015 d’où une relance des fusillades en zone urbaine. 

Effets limités et contre-productifs

Au vu de l’expérience des pays voisins tel le Honduras ou le Mexique, la militarisation de la lutte contre la criminalité, apparait peu efficace. Bien que les opérations aient contribué à l’arrestation de milliers de membres de gangs salvadoriens (27 000 arrestations recensées en 2003), 85% des suspects sont relâchés faute de preuves. D’autre part, les politiques de Mano Dura n’ont pas eu les effets escomptés: elles n’ont pas éradiqué les maras ni réduit les niveaux de violence qui détruisent les sociétés centroaméricaines. Les statistiques démontrent toutes au contraire une augmentation constante des homicides et du taux de la violence. 

De même, les actions paramilitaires conduites par les « escadrons de la mort » (des groupes armés illégaux présents depuis le début des années 2000 dans le but d’éradiquer les gangs) sont en hausse au cours des derniers mois. La réponse armée a toujours primée sur les plans de réhabilitation des membres de gangs. Le discours médiatique a soutenu en grande majorité ces opérations répressives orchestrées par les gouvernements bénéficiant depuis leur lancement d’une large publicité. On n’a guère entendu de discours alternatifs prônant une approche plus pacifiste ou le soutien à une politique de prévention de la gestion de la  délinquance. 

La réhabilitation, un choix controversé

Face à la hausse dramatique des homicides liée à l’activité des maras, avec une moyenne de plus de 18 assassinats par jours depuis janvier, le gouvernement du M. Sánchez semble à court d’idées pour endiguer cette violence et réduire le nombre de fusillades. Après avoir refusé de signer une trêve (la première l’avait été en 2012 entre les membres des deux principales maras favorisant une baisse significative des homicides), le gouvernement semble préconiser une politique de réhabilitation. Ces mesures, qui offrent l’opportunité d’intégrer le système éducatif ou le marché du travail, s’adresseraient aux mareros n’ayant pas commis d’assassinats. Or cette pratique est courante au sein des groupes et représente le premier pas vers l’allégeance et l’intégration à la mara

Des plans de réhabilitation et de prévention existent depuis dix ans. Ils ont souvent été un facteur de diminution des homicides constatés mais n’ont jamais été appliqués à grande échelle, souvent par manque de volonté politique. Aussi, on est en droit de s’interroger sur les raisons d’un tel revirement de la part du gouvernement, qui par là, ne semble pas répondre uniquement à la déroute sécuritaire. En effet, les déplacements massifs des populations chassées par les conflits quotidiens se sont accrus depuis le début de l’année. Face à ce phénomène, aujourd’hui les autorités américaines et mexicaines, principaux bailleurs de fonds du Salvador, craignent un afflux massif de réfugiés salvadoriens mais aussi honduriens et guatémaltèques. Selon l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, les Salvadoriens ont en effet été plus de 3 900 à effectuer une demande d’asile au premier semestre 2014, quand le Mexique voit s’accroître le nombre de mineurs centroaméricains sur son territoire.

Notez