Septembre 2012, l'ambassade des États-Unis est attaquée. Blocage de l'université de la Mandouba pour l'autorisation du port du niqab pendant les cours à la même année. Un prédicateur salafiste d'Arabie Saoudite, interdit de territoire en France après des déclarations jugées offensantes pour les femmes, donne une conférence sur la place publique. Chose inimaginable durant l'ère Ben Ali. Depuis la Tunisie a bien changé. L'arrivée du parti des islamistes « modérés » au pouvoir, malgré la constitution d'un gouvernement pluriel avec des laïques (comme Moncef Marzouki, principal opposant de la dictature , qui préside aujourd'hui le pays) a donné de l'air aux salafistes auparavant asphyxiés par Zied Ben Ali, obligés de se cacher dans des petites mosquées.
Le mouvement islamiste Ansar Al Charia, les défenseurs de la charia ont plusieurs fois manifesté pour l'application de la loi islamique. Nouveau coup de pression pour l'organisation, soi-disant proche d'Al-Qaïda, par l'intermédiaire de leur chef, en fuite depuis l'attaque de l'ambassade américaine, qui menace le gouvernement tunisien et Ennahda après l'arrestation de 16 membres de la mouvance salafiste de faire chuter le régime.
Ansar Al Charia représente la frange jihadiste des salafistes. L'autre face du salafisme est plus pacifique mais tout aussi radicale. Ces derniers, souvent appelés quiétistes, considèrent toutes les manifestations violentes comme des signes d'égarement et faussement attribuées au salafisme. Courant faisant référence aux trois premières générations de musulmans considérés comme les meilleurs par la tradition islamique. Surnommé les « Salaf As-Salih » (pieux prédécesseurs), les salafistes tentent de les imiter dans leur piété et dans l'habillement (djellaba, barbe...). Malgré leurs divergences politiques, théologiquement, les jihadites et les quiétistes se rejoignent dans une seule idéologie : appliquer la charia de manière très littéraliste.
Dans une Tunisie qui a grandi avec l'héritage politique de Bourguirba, prônant la laïcité et permettant aux femmes de retirer le voile, et un héritage religieux bien loin. Un islam sunnite traditionnel orienté vers le soufisme (branche spirituelle de l'islam). Les salafistes sont complètement déphasés par rapport aux réalités tunisiennes. La destruction de certains mausolées montre la radicalité de ce courant. Noir ou blanc. Si cela ne correspond à leurs idées, ça mérite d'être supprimer. Mais c'est dans beaucoup de choses que leurs pensées ne rejoignent pas une grande partie des tunisiens musulmans. Ces derniers ont l'habitude de fêter la naissance du prophète de l'islam Mohamed. Tiens, cela ressemble à Noël. Célébrer un événement pouvant ressembler à une fête chrétienne est insoutenable pour les salafistes. Leurs militantismes contre cette célébration vient gâcher le plaisir des tunisiens dans leurs préparations de mets spéciaux pour l'occasion.
La faute à Ben Ali ?
Dès le départ de Ben Ali, beaucoup de tunisiens craignaient que les salafistes prennent le pouvoir. Les laïques, si ils émettaient naturellement des réserves au parti Ennahda, étaient inquiets. La surprenante émergence des salafistes, même ils sont très minoritaires dans le pays (la victoire d'Ennahda s'explique surtout par la foi des électeurs dans un discours politique venant de personnes appelant à la religion après des années de dictature), pourrait être grâce à Ben Ali. Le régime précédent a nourri la prédication extrémiste sans le vouloir en ignorant totalement ce phénomène.
Les salafistes se sont discrètement regroupés dans quelques lieux de culte devenus des repères de l'enseignement salafiste avec l'aide des chaînes de télévision satellitaires, d'internet, la profusion de ses livres et la pauvreté.
Si les tunisiens laïques jugent Ennahda coupable de complicité avec les salafistes (notamment dans l'assasinat de Chokri Belaïd) et soulignent une trop grande proximité entre le parti et la mouvance islamiste, elle s'explique par le soutien d'une parti d'Ennahda au salafisme. Jusqu'à récemment, Ennahda n'avait jamais désavoué de manière clair les salafistes, craignant de créer un schisme entre les modérés et les plus radicaux membres du parti. Ainsi les salafistes se sont sentis libres d'agir comme ils voulaient. Mais le meurtre de Belaïd ne donne plus le droit à Ennahda de laisser le mouvement extrémiste impuni. Le premier ministre Ali Larayedh semble déterminé à enrayer l'avancé salafiste en confiant à nos confrères du Monde.fr qu' « une fraction du salafisme qui prône la violence et le terrorisme. Il n'y a pas de dialogue avec ceux qui sont en guerre avec la société. Les autres, nous sommes contre leur projet de société, leur vision des relations entre les peuples, de la démocratie, des femmes, mais du moment qu'ils n'utilisent pas la violence, nous sommes confiants dans le fait que les Tunisiens n'opteront pas pour un tel projet. »
Si les salafistes ont pu être influent, le manque de cohérence et les multiples branches qui se revendiquent de cette mouvance amaigrissent l'importance de ce mouvement. Finalement, c'est peut-être Moncef Marzouki le président tunisien qui a le mieux compris la situation car selon lui régler les problèmes socio-économique c'est arrêter le salafisme.