Rire et mourir : voyage dans le cimetière joyeux de Săpânța

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Paul Facen
22 Septembre 2016





Voir les mots « cimetière » et « joyeux » accolés dans la même phrase peut paraître étrange, voire oxymorique. Pourtant, le cimetière de Săpânța en Roumanie dépasse ce constat pour demeurer un lieu unique où l'on peut parfois même rire de la mort.


Crédit Adam Jones (Flickr)
Crédit Adam Jones (Flickr)
Situé en Marmatie, le cimetière de Săpânța attire la curiosité de nombreux touristes. Il se démarque des autres cimetières par ses monuments funéraires, des stèles en bois ornées d'une peinture représentant un moment de la vie du défunt, que celui soit joyeux, triste, admirable ou ridicule, accompagnée d'une poésie : la mort du défunt peut elle-même être représentée sur sa propre tombe, ce qui diffère radicalement d'une classique épitaphe censée regretter celui-ci.

Un cimetière atypique

Selon Brigitte, une touriste française ayant visité le cimetière, « il y a beaucoup d'accidents de voiture ». On peut observer une distinction genrée entre les stèles : « travaux de la mine et des champs pour les hommes ; cuisine, couture, vie de famille, tissage ou encore broderie pour les femmes. Il n'y a que deux stèles représentant des femmes enseignantes ».

C'est l'artiste Stan Ioan Pătraş qui initie ce qui deviendra une nouvelle coutume dans ce village des Maramures en 1935 en peignant des croix mortuaires très décorées et influencées par l'art naïf. Le bleu y est omniprésent en tant que couleur dominante chez les chrétiens orthodoxes. De nombreuses stèles lui succèderont, y compris après sa mort en 1977, avec des disciples de l'artiste qui perpétuent encore la tradition, et habitent non loin du cimetière. « Le cimetière est surchargé, il n'y a pas d'allées... On doit marcher sur les tombes pour circuler ». L'artiste gît désormais dans le cimetière qu'il a façonné.

Un lieu qui questionne nos conceptions de la mort

Le cimetière de Săpânța, de par sa particularité, est un espace chargé symboliquement : il est rare de réagir avec humour en apercevant une tombe. L'ironie du « cimetière joyeux » réussit pourtant à bouleverser nos manières d'appréhender la mort. On se surprend soi-même à rire d'un défunt, comme ce « poivrot du village » et à questionner nos propres coutumes mortuaires.

Crédit Marian Gabriel Constantin (Flickr)
Crédit Marian Gabriel Constantin (Flickr)
La particularité du lieu explique son succès dans le tourisme, mais aussi son statut d'objet atypique de pop culture : il est étonnant de retrouver l'endroit dans le manga One Piece dont la démarche déjantée et ironique s'approprie remarquablement l'ambiance du cimetière.

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