Riga : ville de contrastes

13 Septembre 2015



On pourrait penser que parler de contrastes en évoquant une capitale est un lieu commun. Toute capitale comprend effectivement son lot de disparités. Alors pourquoi Riga ? Dans la capitale lettone, le contraste n'est pas simplement un mot que l'on appose sur la réalité des choses. C'est la ville elle-même qui, par son histoire, son architecture, son organisation nous impose ce mot à l'esprit comme une évidence. Si bien qu'il est difficile, voire impossible, de parler de cette ville balte sans relever les clairs-obscurs qui la composent.


Vue depuis la rue Satekles. Crédit DR
Vue depuis la rue Satekles. Crédit DR
En arrivant au centre-ville de Riga par la rue Satekles, les yeux se portent d'instinct vers le gigantesque panneau d'affichage publicitaire animé façon new-yorkaise et la grande tour-horloge moderne auréolée du mot Riga. Au pied de cette tour, on aperçoit l'existence d'un autre bâtiment tout aussi moderne qui s'étend sur toute le longueur de la rue. La façade est faite de miroirs et d'un matériau imitant la texture du bois. En lettres bleues dans une police d'écriture arrondie, le mot Origo s'affiche au-dessus de chaque entrée. Origo, c'est le nom du centre-commercial qui regroupe un cinéma, un supermarché et divers magasins spécialisés. Bienvenue dans le nouveau Riga, terme désignant les constructions réalisées après l'obtention de l'indépendance en 1991. 

L'influence soviétique ou l'anti-modèle

L'ancien Riga, qui désignerait les constructions réalisées durant l'occupation soviétique de 1944 à 1991, est en revanche d'un aspect bien différent. Si les églises orthodoxes demeurent majestueuses, elles constituent une exception au regard de l'architecture en périphérie de la ville. Plus l'on s'éloigne du centre-historique, plus les constructions ressemblent aux HLM caractéristiques de la Russie. Des rues comme Bruninieku sont tout simplement encadrées par ces blocs, certes peu élevés, mais d'un aspect maussade vu de l'extérieur. Le nouveau Riga au contraire, préfère les bâtiments élevés qui grattent les cieux. Cette partie de la ville est en construction et s'est approprié les codes architecturaux occidentaux qui préfèrent la hauteur à la largeur. Le plus haut gratte-ciel de la ville se trouve d'ailleurs dans cette zone, une banque qui mesure 121 mètres.

À ces contrastes architecturaux s'ajoute un contraste linguistique, celui du russe et du letton. Le russe s'écrit avec l'alphabet cyrillique tandis que le letton utilise l'alphabet latin. Ce dernier a toujours été le vecteur de l'identité lettone à travers les différentes occupations subies par le pays. Depuis l'indépendance en 1991, la Lettonie demande à savoir parler letton pour obtenir la citoyenneté, indispensable pour avoir accès au droit de vote. Les Russes qui se sont installés en Lettonie durant l'occupation soviétique et qui aujourd'hui ne savent pas parler letton sont ainsi apatrides et ne peuvent pas voter. Cette minorité représente plus de 12 % de la population en Lettonie, et est fortement soutenue par Vladimir Poutine. Dans les rues de Riga, il n'est parfois pas bienvenue de parler russe à un commerçant, même si la grande majorité des lettons comprennent la langue et savent la parler. Certaines boîtes de nuit comme La Rocca – rue de Brivibas – sont d'ailleurs davantage considérées comme des boîtes de nuit « russes » que « lettones ». Le site internet de cette dernière revendique même son carré rouge comme « la piste de danse russe la plus populaire de la ville », tout en écrivant en russe sur sa page Facebook. 

Le clivage linguistique letton-russe génère donc des contrastes plus ou moins forts à Riga. Bien entendu, il ne faut pas considérer cela sous un point de vue manichéen. Russophones et lettons ne sont pas en guerre dans la ville. Néanmoins, certaines tensions se font parfois ressentir lorsqu'il est question de politique, d'idéologie voire d'éthique. Alors que l'archevêque de Riga, Zbigņevs Stankevičs, déclarait en octobre 2014 que « les relations homosexuelles sont contre-nature », cela n'a pas empêché la capitale d'accueillir l'EuroPride cet été. Il y avait de quoi craindre une catastrophe au vue de la GayPride rigadoise en 2006, qui avait fait l'objet de violentes contestations : les participants avaient alors été la cible de jets d’œufs et d'excréments humains. Cependant, les mœurs semblent avoir évolué puisque cette année, aucun accident de la sorte n'a été recensé. 
Gay Pride de Riga en juin 2015. Crédit Julija Stancevičiūtė
Gay Pride de Riga en juin 2015. Crédit Julija Stancevičiūtė

En réalité, le clivage peut aussi s'expliquer sous l'angle générationnel. Jusqu'en 1999, l'Union soviétique considérait l'homosexualité comme une maladie. La Lettonie, territoire soviétique jusqu'en 1990, était donc partisane de ce postulat jusqu'à son indépendance. Ce n'est qu'après 1990, que les enfants nés en territoire letton ont pu grandir sans être influencé par ce postulat autoritaire. Cette génération semble ainsi moins réticente à l'évolution des mœurs que ses géniteurs. En 2015, alors que la Russie votait une loi interdisant aux transsexuels de conduire, l'EuroPride à Riga connaissait un vif succès. 

Richesse et pauvreté

Au-delà des clivages idéologiques, la richesse et la misère se côtoient aussi à Riga. Il y a les mendiants, il y a les touristes, ou encore les mannequins. La ville est en effet réputée pour ses jolies filles et ses agences de mannequinat. Pourtant, à côté des mannequins blonds jouant les équilibristes sur des talons aiguilles, subsistent de nombreux mendiants. Ces derniers demandent l'aumône dans les rues les plus touristiques de la vieille ville. Le tourisme, de plus en plus important au fil des ans, aide certes économiquement le pays, mais pas suffisamment pour enrayer la pauvreté. Les touristes les plus jeunes logent généralement dans les auberges de jeunesse ou s'ils le peuvent et le veulent, dans des hôtels. Le Radisson Blu Hotel est l'un des hôtels les plus luxueux de la ville. Ce gratte-ciel contient tous les services pour assurer aux touristes les plus riches un séjour agréable ; notamment un bar et une boîte de nuit au dernier étage offrant une des plus belles vues sur la ville. La qualité est au rendez-vous mais très peu de Lettons pourraient loger dans cet hôtel. En 2014, le salaire mensuel brut moyen en Lettonie était de 768€ tandis que la chambre d'hôtel la moins chère au Radisson Blu Hotel en saison creuse est à 199€ la nuit, services inclus. Les touristes participent donc à l'économie de la ville mais ne résolvent pas pour autant les causes persistantes de la pauvreté. 

Ce contraste entre misère et richesse se retrouve à nouveau dans l’architecture, si bien que Riga semble organisée selon une logique concentrique. Au milieu, il y a d'abord le centre-ville historique qui attire les touristes du fait de la beauté de son architecture Art Nouveau. Au fur et à mesure que l'on s'éloigne de ce centre touristique, les bâtiments perdent en charme et en couleurs. Il s'agit principalement de logements façon HLM et de services de proximité. Plus loin encore, la ville s'estompe dans sa banlieue : les logements forment des cités. Seuls les édifices religieux et les parcs viennent égayer ces paysages urbains post-soviétiques quelque peu moroses. Les cités restent toutefois moins compactes et moins étouffantes que les cités parisiennes ou napolitaines. 
L'hôtel luxueux Radisson Blu à Riga. Crédit latvianchamber.co.uk
L'hôtel luxueux Radisson Blu à Riga. Crédit latvianchamber.co.uk

Nature et civilisation

Parmi les nombreux contrastes de la ville, certains sont d'origine naturelle. L'emplacement géographique de Riga est ainsi à l'origine d'un climat contrasté. Pays continental et humide sans saison sèche, les températures sont très basses en hiver (-5°C à -20°C environ) et moyennement élevées en été (18°C à 25°C environ). Alors que le soleil se couche vers 16h pour se lever vers 10h en hiver, il ne se couche presque jamais en été ! On aperçoit toujours un léger liseré bleu foncé dans la nuit. Le soleil ne disparaît qu'aux alentours de 23h pour réapparaître presque aussitôt vers 4h du matin. Le contraste est, pour le coup, saisissant. 

La nature a de toute façon une place importante dans le cœur des Lettons. On célèbre officiellement le solstice d'été comme le solstice d'hiver. La ville elle-même est divisée en deux par un fleuve imposant : la Daugava. Long de 1020 kilomètres, le fleuve prend sa source en Russie dans la région d'Andreapol et, après un détour par la Biélorussie, traverse Riga et se jette dans la Mer Baltique. Il est le sujet de nombreux dainas – poèmes folkloriques lettons. Il sépare notamment la vieille ville de Kipsala, où se construisent les bâtiments les plus imposants du nouveau Riga. Chaque rive possède son identité propre. 

Projection à ciel ouvert durant le Riga City Festival 2014. Crédit screencitylab.net
Projection à ciel ouvert durant le Riga City Festival 2014. Crédit screencitylab.net
Enfin, au cœur de la ville, on ne compte plus les espaces verts et autres jardins publics. Parmi les plus populaires, on peut citer l'Esplanade, le parc Vermanes, Mezaparks, la ballade le long du canal Pilsetas, le parc de la victoire ou encore le jardin botanique de l'Université de Lettonie. Ces jardins sont comme des bulles d'air dans l'urbanisme de la ville. On y trouve des jeux pour enfants, des animations, des œuvres d'art, des événements culturels, etc. Lorsque le soleil estival pointe le bout de son nez, les Rigadois s'allongent dans l'herbe de ces parcs, profitant d'un moment de nature. Et pourtant, en tendant l'oreille, la ville est toujours là. 

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