Révolution égyptienne : an III

Juliette Delaveau
23 Juillet 2013



Tout (re)commença le 30 juin 2013. Un an après l’investiture de l’ancien président Mohammed Morsi, de grandes manifestations bousculent l’Égypte et en même temps le pouvoir en place. Retour sur le rôle des Frères Musulmans.


D.R.
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Le 30 juin 2013, difficile de savoir le nombre de manifestants ce jour-là : 10, 15, 33 millions ? Ce qui est sûr, c’est que la campagne Tamarrod, à l’origine des manifestations, a s créer l’une des plus grandes mobilisations de l’histoire du pays, devant celle de janvier-février 2011 qui avaient permis la chute de Moubarak. Cette campagne Tamarrod, « rébellion » en arabe, a débuté en mai 2013. Elle avait pour but de récolter le plus de signatures possible afin de mobiliser le plus d’Égyptiens lors de la date d’anniversaire du 30 juin et forcer alors le président Morsi à démissionner. Le mouvement des Frères musulmans, qui s’est constitué en parti politique (le parti de la « Justice et de la Liberté ») et dont Morsi était le représentant, a sous-estimé la force de cette campagne et l’impact qu’elle pourrait avoir sur son pouvoir.

Le 3 juillet 2013, Mohammed Morsi est destitué par les militaires. L’armée prend alors le contrôle du pays et propose un « plan de sortie de crise » ainsi qu’un gouvernement provisoire. Adli Mansour, représentant du pouvoir judiciaire lequel aurait été trop souvent omis depuis la chute de Moubarak, devient président par intérim et Hazem el-Beblaoui, économiste capable de rassurer les investisseurs étrangers, est nommé premier ministre.

L’échec des Frères musulmans

La révolution égyptienne a repris de plus fort du fait du contexte économique et social de l’Égypte. Outre les coupures d’électricité, d’eau et d’internet ces derniers mois, le pays est en proie à une grave crise économique. Près de la moitié des habitants vivent avec moins de deux dollars par jour. De plus, la délinquance ne cesse d’augmenter. Le président Morsi n’a su répondre à ces problèmes sécuritaires. Pour Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po, « Morsi était condamné à l’échec dès son arrivée ». Tout d’abord, alors que l’aspiration à la démocratie semblait de plus en plus en forte en Égypte, les Frères Musulmans ont proposé un modèle archaïque et paternaliste. La victoire de Mohammed Morsi aux élections présidentielles de 2012 n’est pas le signe d’une « frérisation » ou d’une « islamisation » du pays. En effet, pour beaucoup, ce vote était un refus de l’ancien régime qui était représenté par le candidat adverse, le colonel Chafiq, ancien ministre de Moubarak. Dès lors, la contestation contre Morsi a augmenté avec la désolidarisation des « électeurs de Morsi malgré eux » lorsque le président s’est octroyé les pleins pouvoirs. C’est sur ce dernier point que Morsi et les Frères musulmans ont échoué. Ils ont voulu consolider leur pouvoir en tentant de fermer toutes les voies par lesquelles ils pourraient en être chassés. C’est cette volonté d’empêcher l’alternance et donc de menacer la démocratie qui a conduit à la révolution.

Un Coup d’État militaire ?

La destitution du président Morsi semble bel et bien correspondre à un coup d’État militaire. L’armée, groupe minoritaire, a renversé le pouvoir sans aucun outil constitutionnel et a ensuite placé un nouveau gouvernement. Les États-Unis, puis les Européens refusent de déclarer cet épisode de coup d’État. En effet, parler de coup d’État obligerait les États-Unis à couper les aides financières vers l’Égypte.

N’en déplaise aux anti-Morsi, l’armée a effectivement choisi de défendre les révolutionnaires, mais cela, pour défendre avant tout ses intérêts. En agissant de la sorte, les militaires ont accéléré le processus révolutionnaire enclenché à la fin du mois de juin et ont ainsi pu redorer leur « blason », terni lors de la période de transition post-Moubarak. Difficile de savoir si l’ancien président Morsi aurait quitté le pouvoir sans l’intervention de l’armée, mais la « rue » aurait alors affaibli durablement son pouvoir et celui des Frères musulmans. Au-delà de savoir si ce coup d’État a mis à mal la démocratie naissante en Égypte, les évènements qui ont suivi, avec le massacre d’une cinquantaine de frères musulmans le lundi 8 juillet, sont nettement plus inquiétants pour la suite. L’Égypte devient de plus en plus divisée entre les pro et anti-Morsi.

L’armée a pris le pouvoir pour soutenir la révolution. Néanmoins, elle semble être incapable de répondre aux revendications des manifestants (demandes économiques, réponses pour lutter contre la pauvreté grandissante). Dès lors, l’armée sera rapidement désavouée par le peuple égyptien et alors, les Frères musulmans pourront réapparaître démocratiquement sur le devant de la scène, blanchis par le coup d’État. Car, la mort de dizaines de Frères musulmans survenus lors de heurts avec l’armée a permis à ces derniers de retrouver leur statut de victimes dont ils ont toujours profité. Depuis la chute de la monarchie par le coup d’État des officiers libres en 1952, l’organisation « frériste » a été victime de plusieurs vagues de répression.

« Concordances de temps »

Les évènements que connaît l’Égypte semblent bien ancrés dans l’histoire du pays et des Frères musulmans. Cette organisation, ou plutôt ce mouvement qui s’est constitué en parti politique sous le nom de « parti pour la Justice et la Liberté », a été fondée en 1928 par Hassan Al Banna. Depuis l’arrivée de Nasser, et donc la fin de la monarchie de Farouk, la confrérie a souvent été malmenée par le pouvoir, alors exclusivement militaire. La mémoire du pays a fait des Frères musulmans et de l’armée les plus grands ennemis. En 1954, Gamal Abdel Nasser est victime d’une tentative d’assassinat à Alexandrie. Le président Nasser, dont sa confrontation des frères musulmans ne cesse de grandir à mesure que son pouvoir croît, va faire porter la responsabilité de cet attentat aux Frères musulmans. Une violente période de répression des Frères musulmans va pouvoir être ouverte. Cette confrontation entre l’armée et les Frères musulmans est toujours d’actualité.

Les épisodes actuels peuvent ainsi être lus et compris, en partie, grâce à ce prisme. En outre, les Frères Musulmans ont été, pendant le mandat de Morsi, en décalage avec la réalité. Ils n’ont pas su répondre aux attentes du peuple égyptien. Ces derniers sont restés dans une logique de vengeance des martyrs (dont Al Banna et Qutb). Il semblerait que la confrérie ait transposé les querelles du passé sur une Égypte actuelle jeune. Le limogeage du maréchal Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées et ministre de la défense, en août 2012 montre ce bras de fer toujours présent entre l’armée et les Frères musulmans. Ainsi, le Coup d’État militaire, certainement bien plus orchestré et préparé qu’on ne le pense, permet de raviver des querelles du passé entre les deux groupes.

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