Réduction des heures de travail en Suède : bonne ou mauvaise idée ?

18 Avril 2016



Aujourd’hui en Suède, plus nombreuses sont les entreprises ou municipalités qui se laissent séduire par l’idée de réduire les journées de travail à six heures par jour au lieu des huit conventionnelles. Après avoir effectué plusieurs expériences, il semblerait que pour certaines entreprises, une réduction du temps de travail rendrait les employés plus efficaces et augmenterait du même coup la productivité. Retour sur une initiative peu commune.


Crédit : Lars Tunbjork
Crédit : Lars Tunbjork
Selon certaines expérimentations, les employés d’une entreprise ou d’une municipalité seraient plus productifs si leur semaine de travail était réduite à trente heures et non quarante heures comme il en est coutume dans la majorité des pays européens. Cette efficacité serait due à l’augmentation du temps libre dont bénéficieraient les salariés d’une entreprise ou d’une commune.

Ce temps en plus, passé en dehors du lieu de travail permettrait en fait aux employés d’être plus épanouis dans la vie personnelle puisqu’ils auraient une vie privée – de famille ou de couple – plus comblée. Les employés seraient plus libres, moins stressés et donc plus efficaces et opérationnels sur leur lieu de travail. Pour Anna, étudiante de 24 ans et stagiaire en politique internationale, « les jours de travail sont parfois très longs, finalement on perd l’attention entre une à quatre fois par jour. Je deviens fatiguée et ennuyée donc je surfe sur le net, j’écris à mes amis sur les réseaux sociaux, ou je prends des pauses café ». Selon Anna, tout ce « temps vide » mis bout à bout ferait une durée d’environ une heure par jour d’inattention et donc de perte de productivité.

Cette initiative aurait aussi pour but de créer plus d’emplois afin de compenser les deux heures de travail en moins de chaque salarié. En somme, cette mesure pourrait engendrer une amélioration sociale et économique pour l’ensemble de la population suédoise. Emma, une Suédoise de 38 ans qui travaille dans le service après vente explique qu'« évidemment, tout le monde aimerait bien travailler seulement six heures par jour, mais personne ne veut être moins payé ». Justement, le propre de cette loi serait de travailler moins pour le même salaire, initiative plutôt attractive à première vue.

Anna et Emma s'accordent pour dire que tous les Suédois ont entendu parler de ce projet mais qu'il n’est pas tellement débattu au sein de la société. « Les voix en Suède seraient très divisées sur cette question puisque c’est une initiative qui pose une critique fondamentale à notre système économique actuel, c’est donc difficile de faire consensus », commente Anna.

Travailler moins pour une meilleure santé

L’idée de réduire le temps de travail quotidien vient aussi de plusieurs expertises scientifiques qui démontrent que travailler moins réduirait les risques de maladies cardiaques. En effet, une étude effectuée par des chercheurs anglais et réalisée auprès de 600 000 personnes travaillant environ cinquante-cinq heures par semaines – soit onze heures par jour – a démontré que ces personnes auraient 33 % plus de risques d’avoir un accident cardiovasculaire que des personnes travaillant entre trente-cinq et quarante heures par semaine. Le risque de souffrir d’infarctus ou d’occlusion d’une artère coronaire serait 13 % plus élevé pour les personnes travaillant plus de dix heures par jour.

Ces complications médicales seraient dues pour beaucoup d’entre elles à un temps passé au travail trop important qui procurerait un gros taux de stress et ne permettrait pas à l’employé de se relaxer. Les conséquences de journées de travail trop intenses ne seraient donc pas à prendre à la légère mais auraient de véritables impacts sur la santé des employés. Urban Janlert, chercheur à l’Umea University de Suède affirme dans un rapport que dans les pays de l’OCDE, 12 % des employés masculins et 5 % des employées féminines travailleraient plus de cinquante heures par semaine.

Plusieurs expérimentations à Göteborg

Crédit : Guillaume Babière
Crédit : Guillaume Babière
La deuxième ville de Suède, Göteborg qui compte un peu plus de 500 000 habitants, a décidé en avril 2014 de se lancer dans une expérience. Cette initiative a vu le jour sous l’impulsion de Mats Pilhem, ancien élu de Göteborg, qui pense que que la productivité est plus faible lorsque les journées sont longues. Cette expérience consiste à réduire le temps de travail à six heures par jour, soit trente heures pour la moitié des employés municipaux. L’autre moitié des employés, elle, continue de travailler huit heures par jour. Les deux groupes sont payés chacun comme s’ils travaillaient huit heures quotidiennement. L’idée est de mener cette expérience jusqu’à 2016 puis de comparer l’efficacité des employés dans les deux groupes en prenant compte de leur épanouissement personnel et de leur niveau de bien-être.

Actuellement, le secteur concerné est surtout celui de la santé puisque cette expérience est menée dans les maisons de retraites et à l’hôpital de Göteborg où la moitié des infirmiers et médecins a vu son temps de travail diminuer dans le cadre de l’expérimentation. En plus d’évaluer la hausse ou la baisse de productivité des employés à six heures par semaine, l'objectif principal est de faciliter les embauches en affichant un temps de travail moindre, notamment en ce qui concerne les maisons de retraite où les conditions de travail sont parfois difficiles et les employés plus durs à dénicher.

À 41 ans, Therese, habitante de Göteborg, est employée comme Emma dans le service après vente d’une compagnie d’assurance. Elle travaille 7h45 par jour et pour elle « c’est bien trop. La balance entre le travail et le temps libre n’est pas bonne. Personnellement, je pense que je serais plus épanouie mais surtout plus productive si je travaillais que six heures par jour ».

Un secteur privé plutôt enthousiaste

À Göteborg toujours, le secteur privé s’est aussi mis à l’essai. C’est notamment le cas de la Fast Company. Son président, Linus Feldt, affirme que travailler huit heures par jour implique de rester concentré sur une même tâche plus longtemps, ce qui représente un défi plus important pour l’employé. Cet entrepreneur pense donc que réduire le temps de travail permet au salarié d’avoir une vraie vie de famille et du temps pour soi. Grâce à cet équilibre, les employés seraient plus motivés dans la sphère professionnelle, plus attentifs dans le sens où le travail serait plus condensé, en somme, plus efficaces.

Crédit : Max Rosereau
Crédit : Max Rosereau
Depuis 2002, la réduction du temps de travail est aussi effective chez Toyota qui a décidé de faire travailler moins pour faire travailler mieux. Ces dernières quatorze années, l’entreprise a noté un personnel plus heureux et une meilleure rentabilité au travail. En effet, depuis 2002, le profit de l’entreprise a augmenté de 25 %. L’entreprise, jusqu’à ce jour, est donc totalement gagnante et satisfaite de cette nouvelle mesure. Cette initiative a facilité les recrutements et Toyota a pu ainsi générer de nouveaux emplois tout en augmentant sa production en créant une équipe du matin et une du soir, chacune travaillant six heures par jour.

Une initiative qui n’obtient pas l’unanimité

Bien que certaines entreprises privées semblent être satisfaites d’avoir adopté ce modèle, il se pourrait que la ville de Göteborg cesse l’expérimentation avec les employés municipaux. En effet, certains élus, majoritairement de droite, souhaitent revenir sur cette mesure qui coûterait 850 000 euros par an à la municipalité. Dans cette optique-là, Maria Ryden du parti des libéraux-conservateurs dénonce cette initiative de réduction de temps de travail comme une proposition populiste qui n’a pour but que de remporter des voix lors d’élections. Selon elle, une réduction du temps de travail n’aurait aucun impact sur la productivité ni la qualité du travail : « ce n’est pas une "mesure facile’" pour récupérer des voix aux élections, d’après moi ce n’est définitivement pas la raison principale de l’initiative ! ».

Maria Ryden dénonce surtout cette mesure en avançant que la mairie n’a pas les moyens de l’adopter et décrit l’initiative comme étant un gouffre financier et donc un danger pour l’économie. Pour appuyer ses dires, la femme politique s’appuie sur l’échec d’une autre ville suédoise, celle de Kiruna où le maire, après avoir réduit le temps de travail des employés municipaux, était revenu sur le schéma des huit heures par jour parce qu’adopter la mesure était beaucoup trop coûteux pour sa municipalité. Une des premières limites à la mise en place de cette mesure est donc qu’elle implique d’embaucher plus, ce qui n’est pas toujours possible pour la municipalité concernée.

Pour Therese, « ce n’est pas grave si il y a des pertes dans les premiers temps, les bénéfices compenseront cela plus tard. C’est-à-dire une meilleure santé, des individus plus heureux dans leur société et plus d’emplois pour les années à venir ». Du point de vue d’Emma par contre, « c’est une utopie de penser que les municipalités peuvent payer quarante heures par semaine quand on en fait seulement trente ! Moi en tout cas je ne veux pas que cette mesure me fasse payer plus d’impôts pour compenser le manque à gagner. Je voudrais bien que les municipalités soient un peu plus réalistes avec leur économie. Enfin notre économie… ». Les Suédois restent donc assez partagés sur cette question et semblent à la fois préoccupés par leur niveau de bien-être mais ne souhaitent pas pour autant voir leur revenus amputés.

D’autres entraves que peuvent rencontrer les municipalités, mais surtout les entreprises adoptant une réduction du travail, est que cette mesure pourrait dégrader les relations qu’une société aurait avec ses filiales à l’étranger dans le sens où la société mère serait moins disponible et à des heures plus réduites. Ceci pourrait impliquer une perte des opportunités de croissance pour ladite société. D’autres conséquences pourraient se faire sentir si certaines agences bancaires ou des commerces ouvraient plus tard ou fermaient plus tôt, un potentiel handicap pour certains consommateurs.

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Justine Rodier
Etudiante en licence de Science Politique, j'ai toujours été curieuse de découvertes, ce qui me... En savoir plus sur cet auteur