Quand l’allemand se fait instrument

1 Octobre 2015



Ils se sont rencontrés en soirée à Kreuzberg, dans un des quartiers les plus électriques de Berlin. Dix ans plus tard, Bertrand Boulbar et Sebastian Jung lancent un groupe franco-allemand qui veut dépasser les clichés.


Crédit Laurène Perrussel-Morin
Crédit Laurène Perrussel-Morin
Ils veulent rendre l’Allemand sexy malgré ses chaussettes cachées dans ses sandales, faire taire Karl Lagerfeld et promouvoir le German swag. Ce ne sont pas deux jeunes professeurs d’allemand qui font leur première année en collège. Bertrand Boulbar et Sebastian Jung ont formulé ces promesses dans des vidéos diffusées sur Youtube.Les deux musiciens se réunissent avec Electric Morgen, un projet musical en langue allemande dix ans après leur rencontre à Kreuzberg.

« C’est le français qui nous a rapprochés »

Betrand Boulbar se rappelle : « J’étais en voyage à Berlin quand on s’est rencontrés. J’ai repéré que Sebastian était francophone. Comme je ne parle pas très bien anglais, j’étais un peu isolé, et il m’est venu en aide. C’est le français qui nous a rapprochés. » Une décennie plus tard, c’est en allemand que les deux amis se retrouvent. Bertrand Boulbar, qui ne maîtrise pas la langue de Goethe, aime à expliquer que « La langue est comme un instrument. » Et c’est ainsi qu’il l’utilise.

Son comparse franco-allemand écrit les chansons. Il raconte : « On a fait des essais en français et en anglais, mais ça ne collait pas. On a ensuite choisi l’allemand, mais il arrivait que Bertrand me dise « Ce mot, ça ne va pas. » Et ce qui est marrant, c’est qu’il arrivait à repérer les mots importants et à les placer au bon endroit. » Les paroles des chansons sont utilisées avant tout pour leurs sonorités : les expressions sont assemblées les unes aux autres comme dans un collage, sans altérer le sens de chaque morceau. Ce choix fait partie intégrante du concept musical du groupe, qui revendique sa prise de risque. 

« Ecrire à la française, mais en allemand »

Sebastian Jung assure que son travail de parolier est inspiré des deux cultures : « Notre manière d’écrire est à la française, mais en allemand. ». Pour le chanteur, qui dit s’inspirer de musiciens comme Alain Bashung et Dominique A, la chanson française est plus abstraite que la chanson allemande. C’est cette façon d’écrire « à l’ancienne », avec des termes peu utilisés dans la vie courante, qui est favorisée par le groupe, et peut surprendre des auditeurs allemands.

En France, c’est le choix non pas de la manière d’écrire, mais de l’allemand qui surprend. Alors que la langue allemande est souvent perçue comme gutturale, il est rare que des musiciens décident de l’adopter pour leur travail, en Allemagne comme en France. L’instauration de quotas musicaux fait régulièrement débat Outre-Rhin. En France, où 40 % des morceaux diffusés sur les ondes doivent être francophones, l’allemand reste peu parlé, et donc peu chanté. Bertrand Boulbar raconte : « Le choix de l’allemand pour nous était artistique, mais il s’agit en France d’un cas unique. Les labels français nous ont regardés avec de grands yeux quand on leur a dit qu’on avait décidé de chanter en allemand. »

Le 6b, un repaire berlinois

Crédit Laurène Perrussel-Morin
Crédit Laurène Perrussel-Morin
L’EP sortira dans quelques semaines, et les deux musiciens, qui travaillent depuis les ateliers du « 6b », ancien squat de Saint-Denis, ont encore des projets plein la tête. Bertrand Boulbar explique : « On a rencontré une artiste qui travaille un peu plus loin dans le couloir et pourrait faire une vidéo en utilisant un morceau qu’on lui confiera. L’idée est d’utiliser le 6b comme ouverture vers d’autres disciplines. »

Des totems dans le jardin, un espace ensablé pour accueillir des concerts, du graff dans les cages d’escaliers… Le 6b n’est pas sans rappeler les « Hausprojekten » (« maisons à projets ») apparues dans les immeubles inoccupés de Berlin après la réunification. Sur six étages, il accueille des artistes de tous horizons avec un petit air berlinois. Et quelques notes allemandes, qui résonnent depuis le deuxième étage.

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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur