Prix Confucius : un nouvel instrument pour une diplomatie culturelle chinoise

Dimitri Touren
5 Décembre 2015



Le 22 octobre dernier, Robert Mugabe recevait le prix Confucius pour la paix, équivalent chinois du prix Nobel. Cette récompense fortement décriée en Occident vise, selon le Centre chinois d’études internationales pour la Paix, à promouvoir un monde pacifique du point de vue de l’Orient. Elle a jadis été décernée à Vladimir Poutine, Kofi Annan ou encore Fidel Castro. La création de ce prix en 2010 à la suite du prix Nobel de la Paix, décerné à Liu Xiaobo, et ses différentes attributions mettent en lumière l’institutionnalisation de la culture chinoise et la volonté des autorités du pays de contester l’idéologie libérale occidentale.


Crédit Steve Webel
Crédit Steve Webel
Selon le professeur Emmanuel Lincot de l’Institut catholique de Paris, chercheur en sociologie et spécialiste de la culture chinoise, la création du prix Confucius pour la paix est, pour les autorités chinoises, une manière de laver les affronts successifs qu’ont été le prix Nobel de littérature décerné à Gao Xingjian en 2000 et le prix Nobel de la paix de Liu Xiaobo en 2010. Le premier fût fortement critiqué par les autorités chinoises, l’accusant de contrarier la singularité culturelle de la Chine et de n’être en rien représentatif de la littérature chinoise. Son prix a été passé sous silence dans l'empire du milieu et son œuvre est encore désignée en Chine comme se rattachant à la littérature française. Liu Xiaobo est lui, sans doute, le plus célèbre contestataire du régime. Il fait partie des rares libéraux chinois et s’inscrit dans la lignée philosophique du libéralisme politique français, incarné entre autres par Benjamin Constant et Montesquieu. Il a été condamné en 2009 pour « subversion au pouvoir de l’État » à 11 ans de prison, après avoir contesté la politique menée par la Chine au Tibet. Il est toujours en prison et n’a pas pu récupérer son prix en 2010 ; la même année, le premier prix Confucius était décerné au Taïwanais Lien Chan. 

Naissance du néoconfucianisme : une nouvelle identité culturelle après la chute du communisme

Dans la Chine de la fin des années 1970, le communisme est totalement discrédité et le pays ne représente pas plus de 1 % des échanges commerciaux mondiaux. Adossée aux réformes économiques de Deng Xiaoping, l’idéologie néoconfucéenne développée par le dirigeant singapourien Lee Kuan-Yew va être un moteur de l’essor chinois et de son rayonnement culturel. Le Président singapourien consolide sa légitimité politique en se réappropriant l’héritage de Confucius, philosophe chinois du Vème siècle avant J.-C., renié au début du XXème siècle et oublié sous l’ère maoïste. Les gouvernements chinois successifs vont s’inspirer des marges du monde chinois et de Lee Kuan-Yew pour justifier l’instauration d’un État autoritaire et hiérarchisé qui se distingue de l’Occident, aussi bien politiquement qu’idéologiquement. 

Le néoconfucianisme comme marqueur identitaire et communautaire chinois va se développer par la suite avec la création des Instituts Confucius, dont le premier ouvre en Ouzbékistan en 2004. À la manière des politiques culturelles de la France du XXème siècle, institutionnalisées par Léon Blum comme par André Malraux, les autorités chinoises vont instrumentaliser les pratiques culturelles de leur peuple pour défendre l’exception culturelle chinoise. Elles prônent l’idée selon laquelle la protection du patrimoine, de la culture et des arts a une visée politique. Mais leur idée est aussi d’exporter ses valeurs au-delà du monde chinois et de promouvoir sa culture en opposition à l’idéologie libérale qui s’incarne dans le Consensus de Washington. 
Manifestation de soutien à Liu Xiaobo à Oslo - Crédit Erik F. Brandsborg
Manifestation de soutien à Liu Xiaobo à Oslo - Crédit Erik F. Brandsborg

Orientalisme contre occidentalisme

Cette forme de désacculturation est donc un rejet de la culture dominante en Occident. Emmanuel Lincot parle même de « nouvelle guerre froide culturelle » et de choc des cultures. On trouve en effet chez les autorités chinoises non seulement un rejet du mode de vie et de l’idéologie occidentale, mais aussi de la façon dont l’Occident les observe. C’est la thèse d’Édouard Saïd, développée dans son ouvrage L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident. Il montre comment la supériorité culturelle supposée de l’Occident aura servi à de nombreuses reprises à justifier une attitude vis-à-vis des autres régions du monde, et notamment du monde chinois durant la période coloniale – qui est toujours perçue comme une véritable blessure dans les mémoire commune chinoise. Cette attitude supérieure, impérieuse et qui a pu justifier de nombreuses ingérences par le passé et encore récemment, agace les autorités chinoises, pour qui les valeurs de souveraineté et de stabilité politique et civilisationelle sont cruciales. 

A l’inverse, l’établissement du prix Confucius et l’institutionnalisation de la culture chinoise peuvent apparaître comme une forme d’occidentalisme, terme emprunté à Jan Buruma. Ses diverses attributions, au-delà de la défense d’une paix – version chinoise –, témoignent d’un véritable pied-de-nez à l’Occident. Vladimir Poutine, lauréat en 2011, fût pressenti pour le prix Nobel de la paix deux ans plus tard pour sa position dans le conflit syrien. Mais avec son intervention en Géorgie en 2008, la récente annexion de la Crimée, et au vu des atteintes portées aux droits de l’Homme en Russie, la perspective de voir le président russe recevoir une telle récompense ne semble plus possible compte tenu des valeurs occidentales. 

Le prix remis cette année à Robert Mugabe soulève les mêmes questions. Le dictateur zimbabwéen ne cesse de condamner le néocolonialisme des puissances occidentales et leurs ingérences en Afrique et au Moyen-Orient ; il rentre donc parfaitement dans la ligne anti-occidentaliste de la Chine. Accorder ce prix à Robert Mugabe et à Vladimir Poutine n’est pas si surprenant tant cette récompense est devenue un instrument géopolitique pour la Chine. S’il n’est probablement pas prêt d’être reconnu en Occident à la même valeur que lui portent les autorités chinoise, nul doute qu’il continuera de se développer dans le but de créer une plus large communauté de valeurs autour de la Chine et du néoconfucianisme, et de contrebalancer la culture occidentale. 

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