Les élections présidentielles polonaises ont pris un virage surprenant le 10 mai dernier, lors du premier tour. Tout le monde attendait la victoire de l’actuel président centriste et pro-européen Bronisław Komorowski, crédité par les sondages d’une très large avance sur ses adversaires et sur son principal rival, le parti conservateur d’opposition et son candidat Andrezj Duda. Finalement, ce dernier devance le président-candidat et crée la surprise avec près de 35% des voix.
En Pologne, les pouvoirs du président sont peu étendus : figure d'autorité politique et morale, il est le chef des armées. Hormis un droit de veto et la possibilité de dissoudre la Diète, le président ne possède que peu de leviers politiques. Les résultats de cette élection demeurent tout de même une question cruciale puisqu’ils donnent la tendance pour les prochaines élections législatives d’octobre.
Un premier tour annoncé sans grand suspens
L’actuel président de la Pologne depuis 2010, Bronisław Komorowski, est candidat pour un second mandat sous la bannière indépendante. Candidat indépendant seulement pour le titre, puisqu'il est soutenu par son parti d'affiliation Plateforme Civique, formation centriste de l’actuel président européen, Donald Tusk. À 62 ans, le favori des sondages sort d'un mandat présidentiel sans grandes erreurs. Plutôt apprécié de la population, Komorowski bénéficie d'un fort taux de popularité malgré le reproche fréquent de son manque de charisme. Contre toute attente, le candidat arrive à la seconde place du premier tour, avec près de 34% des suffrages.
Devant Komorowski, le grand gagnant de ce premier tour est le candidat du parti Droit et Justice (PiS) Andreszj Duda. Droit et Justice représente la tendance ultra conservatrice et eurosceptique de la scène politique polonaise. Le choix de ce jeune candidat de 42 ans, auparavant quasi inconnu, avait tout d’abord surpris journalistes et spécialistes. Duda était auparavant un des collaborateurs du défunt président Lech Kaczyński, décédé dans un accident d'avion. Son frère jumeau, Jarosław Kacynski, est celui qui a propulsé Duda sur le devant de la scène politique. Malgré sa faible expérience, il est parvenu à conquérir ses électeurs en multipliant les promesses populistes.
A gauche, le présentateur Kuba Wojewódzki face à son invité Paweł Kukiz à droite. Crédit TVN/X-News
Plus à droite encore sur l’échiquier politique, Janusz Korwin-Mikke, candidat sulfureux de la droite conservatrice, monarchiste et eurosceptique, s'est fait remarquer durant la campagne. Il multiplie les déclarations chocs sur le viol ou l’holocauste tout en jouissant paradoxalement d’une grande popularité chez les jeunes. Le candidat termine avec 3%, devançant le principal parti de gauche, l’Alliance de la Gauche Démocratique (SLD) avec 2%. Malgré le pari risqué de Magdalena Ogorek comme candidate SLD, à la fois présentatrice de télévision et actrice au physique de mannequin, son manque d'expérience l'a progressivement écarté de la compétition.
Mais l’autre grande surprise du premier tour, c’est le candidat indépendant Paweł Kukiz. Ancienne rockstar polonaise, il arrive en troisième position. La raison ? Une volonté de se lever contre le système bipartisan et un capital sympathie affirmé. Une popularité qui aide surtout lorsque l'on arrive à convaincre l’un des présentateurs polonais les plus influents du pays, à accorder son soutien. Kuba Wojewódzki, sorte d'Oprah Winfrey à la polonaise, possède un public jeune et a donc permis à Kukiz de bénéficier de son influence lors de son passage dans son émission.
Pratiquement ignoré au début de la campagne, le chanteur parvient l’exploit de réunir près de 21% des suffrages et ce, grâce à un discours de rejet des partis traditionnels. Où vont aller les votes de Kukiz ? Tel est l’un des questionnements de ce second tour. L’électorat volatil en Pologne se situe principalement chez les jeunes. Une population qui devient la cible électorale de chacun des candidats. 21%, voilà ce que représente aujourd’hui les électeurs indécis. Le report de ces voix est l’enjeu de cet entre-deux tours et risque de faire basculer les résultats de ce second tour pour Duda ou Komorowski.
Bronislaw Komorowski : revenir après un revers surprise
Komorowski. Crédit Alik Keplicz/AP
Le premier tour de ces présidentielles fait figure de demi-échec pour Komorowski, qui doit donc redoubler d’efforts dans l’entre-deux tours. La cible : le report des voix de Kukiz. Komorowski a d'ailleurs profité de cette période pour travailler sur l’une des revendications phares du chanteur : la modification du mode de scrutin aux élections législatives, plus précisément le passage d’un vote pour une liste choisie par un parti, à un vote pour un candidat. Sans perdre de temps, Komorowski a donc fait adopter par le Sénat la tenue d’un référendum, juste avant les législatives d’octobre.
Toujours à la recherche du vote des jeunes, l’actuel président multiplie les apparitions, notamment dans le TV Show de Kuba Wojewódzki, émission qui avait d'ailleurs valu à Kukiz son succès du premier tour. Le président joue le jeu et réussit à convaincre le présentateur : « le plus grand avantage de Komorowski, c ‘est qu’il n’est pas Duda. » Le président-candidat a aussi marqué des points lors du débat télévisé opposant les deux candidats, le 17 mai dernier.
Sur le plan social, Komorowski se porte favorable au projet de loi sur la fécondation in vitro et à la ratification de la convention sur les violences conjugales. Ces thèmes sociaux divisent la société polonaise, toujours dominée par la puissante Église catholique, et font face à l’opposition farouche de la droite conservatrice. Sur la question des affaires étrangères, le président joue la carte de la sécurité nationale. Révolté par l’agression du territoire ukrainien par la Russie, Komorowski prône un renforcement des moyens dans le secteur de la défense pour donner aux territoires les moyens de prévenir toute agression extérieure. Une coopération plus approfondie avec l’OTAN fait donc aussi partie de sa stratégie.
Andrezj Duda prône la défense de l’intérêt national
Enorgueilli par une victoire au premier tour, le candidat conservateur continue de batailler. La droite conservatrice de Droit et Justice a promis lors de cet entre-deux de défendre en premier lieu les intérêts nationaux de la Pologne sur la scène internationale. Duda souhaite notamment revenir sur l’âge de départ à la retraite, auparavant reculé de 65 a 67 ans. Toujours dans une perspective de protection des intérêts nationaux, Duda, comme son adversaire Komorowski, est en faveur d’une coopération plus affirmée avec l’OTAN. Il va d'ailleurs plus loin en disant vouloir contrer la menace potentielle que représente la Russie par l’installation de bases de l’OTAN sur le territoire polonais. Dans le secteur financier, Duda compte réduire l’influence des banques étrangères sur le territoire polonais grâce à un rachat progressif des parts des actionnaires étrangers dans les entreprises du secteur bancaire, qui représentent aujourd'hui près de deux tiers du secteur.
Il n’empêche que jusqu'ici, le débat public a préféré les thèmes sociaux, de sécurité et de défense aux questions économiques. Le projet de loi sur la fécondation in vitro et l’âge de la retraite sont des thèmes phares de la campagne. La question de l’euro, par exemple, est quant à elle absente du débat public. En tant que pays membre de l’Union européenne, la Pologne sera à plus ou moins long terme forcée d'adopter l’euro. Une question qui fâche donc, et même évitée par le pro-européen Komorowski, de peur de risquer des voix sur une proposition qui déplaît tant à la population polonaise.
Que ce soit une victoire de Komorowski ou de Duda, aujourd’hui tout est envisageable. Les derniers sondages donnent pour l’instant Andrzej Duda comme favori, mais à l’approche du Jour J, l’écart est de plus en plus restreint. De nombreux partis et personnalités politiques affichent leur soutien à Komorowski. Beaucoup s’inquiètent du retour au pouvoir d’un parti conservateur, mais la surprise créée au premier tour nous montre que rien ne peut être vraiment prédit.