Pourquoi devez-vous regarder Portlandia ?

29 Juillet 2014



"Tu te rappelles les années 1990 ? Les gens ne pensaient qu'à se faire des piercings, des tatouages tribaux, et ils chantaient à propos de sauver la planète et monter un groupe ? Il y a un endroit où cet idéal existe, en tant que réalité. Portland." Voici comment débute la série TV Portlandia, une petite merveille de l’entertainment américain.


Crédit DR
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Portlandia est une série humoristique et satirique qui se déroule à Portland aux États-Unis. On y découvre que la ville est devenue le paradis du "hipster", qu’on ne présente plus aujourd’hui, où l’air est frais, l’herbe est verte, et les coffee shop pullulent. Ces individus à la barbe prolifèrent et aux comptes Instagram bien aiguisés en prennent donc pour leur grade : les stéréotypes y sont délicieusement exagérés, et ce pour notre plus grand bien.

La structure est simple : chaque épisode de vingt minutes est composé de différents sketchs et de leurs deux personnages respectifs incarnés par les producteurs de la série Carrie Brownstein, leader du groupe Wild Flag, et Fred Armisen un ancien membre du célèbre show TV américain Saturday Night Live. Depuis sa création en 2011, la petite merveille ne cesse de faire parler d’elle, d’autant plus grâce à un casting tiré à quatre épingles. Les deux génies de l'humour ont le luxe de pouvoir inviter des célébrités comme Eddie Vedder du groupe de rock Pearl Jam, Josh Homme de Queens of the Stone Age, ou encore l'acteur Kyle MacLachlan (que l’on a vu et revu dans Blue Velvet de David Lynch ou en tant qu'Orson Hodge chez les Desperate Housewives) à venir se moquer des bobos branchés de Portland. 

Et ça n’a pas loupé : ce petit bijou de la télévision américaine a été nominé aux Emmy Award en 2011, a été vainqueur du Peabody Award en 2012, et la course aux récompenses ne va certainement pas s’arrêter là. 

Portland, Oregon, capitale du hipster

La série est même devenue la "carte d’identité" de la ville. L’attitude et le mode de vie personnifiés par les deux acteurs semblent en effet refléter une certaine réalité de Portland. Ce qui rend Portlandia plus hilarante encore reste l’ironie et la subtilité dont ils font preuve pour imiter la communauté hipster qui régnerait sur la ville. Pour Fred et Carrie, l’absurde est le mot d’ordre. On se délecte alors de les voir arborer les lunettes et la moustache du « hipster lambda » (même si par définition cela ne peut pas exister puisque le hipster est caractérisé par sa recherche constante de l’originalité), exhiber des tote bag à motifs géométriques greffés à l'épaule et faire leurs emplettes dans des supérettes de fruits et légumes produits localement. Même si le trait de caractère est légèrement grossi, les deux acteurs en maîtrisent l’art à la perfection. Portlandia nous fait cadeau d'un florilège de tous les clichés de la tranche 20-40 ans surfant sur la vague de la « branchitude » 2.1 dont la bible est devenue « l’originalité ».

On pourra même distinguer les prémices du mouvement « normcore », qui est encore plus hipster que le hipster. Le normcore serait le retour vers un style plus épuré, plus « normal », une « stylisation de la normalité poussée à l’hardcore » comme le décrit GQ Magazine où l’on troque les petites chemises en jean fermées jusqu’au col contre de vieux tee-shirts à imprimés tous plus ingrats les uns que les autres, les baskets les plus basiques et de (fausses) lunettes de vue plus rares encore que celles de l’inspecteur Derrick en fin de carrière.

La "vertitude" à l’état pur

On se délectera dès le premier épisode de l’essence même de l’esprit Portlandia : « C’est presque comme si Portland était une alternative à l’univers. Ça sonne comme si les voitures n’existaient pas, les gens utilisent des vélos, des vélos à deux étages, ils utilisent des monocycles, des skateboards, des licornes ! ». Les deux roues seraient le b.a.-ba de la locomotion du XXIème siècle à Portland, que ce soit seul ou à plusieurs, ou de préférence le fixie pour respecter le code de conduite hipster (un vélo à pignon fixe où l’on utilise les pédales pour freiner, pris d’assaut par des cyclistes un peu plus « branchés » que les autres..). Les personnages qu’incarnent Fred et Carrie respectent d’ailleurs scrupuleusement les dix commandements du bon locavore (qui mange des produits locaux), du recyclage à outrance, et du shopping dans les boutiques vintage. 

Pourquoi Portland vous demandez-vous ? Il semblerait en réalité que ce mode de vie cool et eco-friendly qu’on peut retrouver dans la ville en a fait une sorte d’île verte isolée dans un océan de consommation opulente ; soit dit en passant une sorte de petite révolution lorsqu’on sait que les États-Unis sont les premiers pollueurs mondiaux. Portlandia raille, sans dénonciation aucune, cette religion de l’écologie branchée, comme dans un épisode de la saison 3 lorsque le maire de Portland démissionne pour cause de « malhonnêteté politique » : en l’occurrence, son empreinte écologique était la plus élevée de toute la ville à cause d’une imprimante qu’il n’avait pas éteinte depuis dix ans… On aura beau être porté sur la question, le sketch est sans doute un des plus drôles de la série ! 

« Portland est un endroit où les jeunes partent à la retraite »

Portlandia met également en scène une génération qui avance à tâtons, sans ambition particulière, ou qui lance un projet de « concept-store » par hasard, ces boutiques où l’on va acheter un type de produit plutôt qu’une gamme. Dans un épisode la satire est d'ailleurs poussée à son paroxysme lorsque deux des personnages se dirigent vers un « Knot Store » (ceci n’est d’ailleurs peut être plus fictif à l’heure qu’il est) pour offrir des noeuds faits en écouteurs d'iPod à une amie. Vraiment, que pourrait-on trouver de plus... Original ? 

La plupart de ces personnages occupent des professions pour le moins décalées : patrons d’un Bed and Breakfast, serveur dans un bar ou un restaurant végétarien, des webmasters et autres designers qui tapotent sur les touches de leur Macbook dans la torpeur confortable d’un coffee shop. On découvre encore des libraires d’une boutique féministe, un fabriquant d’ampoules artisanales, ou des marchands d’art « moche » (car qui dit moche dit original) chez "Bad Art Good Walls " . Dans les cas les plus extrêmes se distinguent donc des occupations volontairement à la marge de celles du "commun des mortels". De manière plus générale, Portlandia incarne aussi cette génération Y qui a grandi avec Internet, et qui ne trouve pas sa place sur un marché du travail trop rigide ou limité. 

Mais les foudres exquises de la série ne s’abattent pas uniquement sur une certaine catégorie sociale ou sur un style de vie particulier. Tout le monde en prend pour son grade, des plus jeunes aux plus âgés, des plus « normaux » aux plus en marge. Fred Armisen déclarait dans une interview au Salon,   "Nous avons tourné cette scène dans la première saison où j’étais dans cette « spirale technologique »  où j’avais mon iPad et tout le reste autour. Nous l’avons écrit en tant que sketch, mais en réalité je fais ça tout le temps. Je m’assois sur mon canapé, et j’ai tous mes appareils électroniques autour, et ça me paraît normal. C’est là que ça devient flou : est-ce qu’on se moque vraiment de quelque chose ? C’est juste nous en fait." C’est bien parce que Portlandia attaque sur tous les fronts, parce qu’elle est universelle, que chacun de nous peut aisément s’y identifier et y plonger sans retenue. Et puis quoi de meilleur qu’un peu d’auto-dérision ?  
 

En définitive, Portlandia met le doigt sur ce qu’on ne distinguait alors pas encore comme des tendances, une sorte de « guide du hipster pour les nuls ». Davantage qu’une catégorisation du bobo branché, la série réussit à mettre en lumière les absurdités de la culture indie, de ce qui est cool et alternatif. Tous ces stéréotypes se sont d’ailleurs exportés hors de l’Amérique du Nord, ce qui nous permet de mieux les comprendre et surtout d’en rire. Une bonne tranche de subtilité, une pincée d’ironie, et dix bons litres d’humour, Portlandia est la recette idéale pour passer de très bons moments. Vous ne saviez pas quoi faire pendant les vacances ? Maintenant, si. 

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Mathilde Grenod
Master's student in New Media and Digital Culture at the University of Amsterdam. Spending my free... En savoir plus sur cet auteur