L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) souhaite engager l’actuelle contestation étudiante dans une lutte qui serait aussi importante que celle de 2012. Rappelons qu’en mars 2012 les manifestations québécoises avaient mobilisé près de 316 000 étudiants. La grève étudiante de 2012, plus communément appelée « Le Printemps érable », était une grève étudiante générale illimitée qui a duré du 13 février au 7 septembre, la plus longue de l’histoire du Québec et du Canada.
Les étudiants avaient été rejoints par des travailleurs pour contester les mesures du gouvernement Charest. Des milliers de personnes manifestaient dans les rues, de jour comme de nuit, armées de slogans et de carrés de tissus rouges, symboles de leur contestation. Les manifestants dénonçaient la hausse des droits de scolarité universitaires sur 5 ans, de plus de 75 % ainsi que la loi 78 adoptée le 18 mai 2012. Cette loi prévoyait des mesures obligeant les étudiants à retourner en classe, des amendes pour toute entrave à la tenue des cours, et restreignait le droit de manifester, droit pourtant inscrit dans la Charte des droits et des libertés de la personne du Québec. Cette loi fut dénoncée par les principaux partis d’opposition, le Parti québécois et Québec solidaire, ainsi que par une grande majorité de la population. De nombreux citoyens ont ainsi fait résonner des coups de casseroles le soir dans les rues ou depuis leurs appartements.
Ce printemps, les revendications des syndicats étudiants sont sociales : lutter contre l’exploitation des hydrocarbures, les mesures d’austérité, le néolibéralisme, l’évasion fiscale, la réforme du système de santé (ainsi que le prix élevé des médicaments) et les compressions budgétaires dans l’enseignement supérieur (Cégeps et universités). Les étudiants en grève souhaitent, entre autres, augmenter le nombre de paliers d’imposition sur le revenu de 4 à 11, ajuster les taxes de consommation pour les produits de luxe et les produits polluants, supprimer le crédit d’impôt sur les gains en capital des particuliers, augmenter le taux provincial d’impôt sur les entreprises à 15 % et rétablir la taxe sur le capital pour les institutions financières qui avait été abolie en 2007.
Les étudiants dénoncent par ailleurs le budget provincial présenté par Philippe Couillard, jaugeant des compressions budgétaires à hauteur de 5,5 milliards de dollars. Déposé le 26 mars, le budget provincial prévoit des coupes budgétaires – déjà annoncées en décembre 2013 – mais aussi un gel salarial sur deux ans et une augmentation du nombre d’élèves et d'étudiants par classe. Les coupes budgétaires entraîneront également une baisse de qualité des services publics, une réorganisation des structures ainsi qu’une baisse des fonds du Secrétariat à la condition féminine de 4 millions de dollars (ces fonds passeront donc de 11 millions de dollars canadiens à 7 millions de dollars).
Selon Marc Boulanger, étudiant de Maîtrise en communication à l’UQAM et élu au Comité de mobilisation de l’ASSÉ, ces revendications plus larges rendent plus difficile l’adhésion d’un grand nombre d’étudiants, par rapport au mouvement de 2012, « où l’on s’attaquait à un truc concret ». Le jeune militant félicite toutefois l’engagement du mouvement de 2015, car « c’est la première fois que le mouvement étudiant parle d’enjeux plus larges que l’éducation », confie-t-il au Journal international.
Si les médias québécois ont bien souvent dénoncé un climat de tension au sein du mouvement de grève et des universités, il convient de rappeler que ce climat est ressenti par une minorité d’étudiants. Preuve en est, la manifestation du 1er avril, manifestation ironique « Pour l’austérité », où les manifestants scandaient des slogans politiquement de droite. Ils appelaient ainsi à avoir « des vraies balles pour le Vieux Montréal », ou « plus de pétrole moins de beluga ». « Si la police nous suit c’est parce qu’elle nous protège ». Certains slogans n’étaient pas sans rappeler des valeurs traditionnelles, telles que « Les femmes aux fourneaux » ou les propos exagérés des citoyens à l’égard des étudiants : « Cegep, djihad même combat », « S’ils sont pas contents qu’ils mangent de la brioche ».
Les étudiants ne seraient plus seuls à manifester
À compter du 1er avril, des milliers de fonctionnaires pourraient rejoindre les rangs des étudiants dans ces manifestations contre les mesures néolibérales. L’ASSÉ appelle par ailleurs les « travailleurs et sans-emploi » à descendre dans les rues pour dénoncer le budget provincial. Huit syndicats représentant près de 32 600 enseignants de Montréal et de l’Outaouais ont voté en faveur d’une grève de trois jours selon la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Ces journées de grève interviendront après plus de quatre mois de négociation des conventions collectives des 541 000 employés du gouvernement.
Des enseignants des collèges de Sherbrooke, de Joliette ainsi que de Saint-Jérôme ont voté pour ne pas donner leurs cours le 1er mai prochain. Ce mandat de grève aura lieu sous condition de l’obtention de mandats de grève au sein de dix autres syndicats. Des assemblées de grèves auront ainsi lieu dans de nombreux établissements scolaires dans le courant des prochaines semaines. De semblables mandats de grève ont étés adoptés par des syndicats de la Fédération de la santé et des services sociaux, principaux domaines touchés par les coupes budgétaires du Premier ministre québécois Philippe Couillard.
Les étudiants de médecine du Québec sont également de la partie, se positionnant fermement contre le projet de loi 20. Des médecins grognent aussi contre ce projet de loi en santé déposé par le gouvernement québécois en novembre 2014. Également appelé « Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée », le projet de loi 20 vise à accroître le taux de productivité des médecins, sous peine de sanctions financières pouvant atteindre jusqu’à 30 % de leur rémunération. Augmentant significativement le volume de patients par médecins, ce projet de loi pourrait induire une baisse du nombre de médecins de famille, chiffre déjà bas : 9080 médecins de famille au Québec en 2013.
Violences policières: enjeu des manifestations étudiantes
Depuis le début de ces manifestations quotidiennes, de nombreuses altercations ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants. Les itinéraires de manifestation n’étant pas systématiquement donnés aux autorités, les forces de l’ordre déclarent les manifestations illégales, leur permettant ainsi de multiplier les arrestations et de marteler d’amendes les manifestants. Le vendredi 27 mars, plus de 81 interpellations ont été dénombrées, en accord avec le règlement P6 qui encadre les manifestations. À Québec, lors d’une manifestation nocturne le 23 mars, pas moins de 274 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint l’article 19.2 du règlement municipal sur la paix et le bon ordre. La brutalité policière est de nouveau un enjeu de ces manifestations car plusieurs accidents sont survenus ces dernières semaines.
Une fois les manifestations déclarées illégales, les policiers de l’escouade anti-émeute de Montréal ont l’habitude de disperser les manifestants en utilisant des gaz lacrymogènes. L’ASSÉ dénonce cette « brutalité policière » jugée répressive par l’association étudiante. Dans cette vidéo, on peut observer un policier québécois tirer avec un Muzzle Blast 35mm dans le visage d’une jeune étudiante non armée. Naomi Trudeau-Tremblay, âgée de 18 ans, a reçu une cartouche de gaz lacrymogène en pleine face.
Cette dure répression des forces de l’ordre n’est pas critiquée ouvertement par les autorités politiques. Le maire de Québec, Régis Labeaume, avait blâmé les manifestants, mais a fini par admettre son tort et qualifier de « dramatique et choquant » l’incident policier. Le Premier ministre québécois a pour sa part annoncé que « sur le plan de l’intervention policière, il y a certainement des révisions qui devront être faites ».
Outre les violences policières, les étudiants en grève doivent craindre des représailles politiques. En effet, le ministre québécois de l’Éducation, François Blais, incitait le 1er avril les recteurs des universités à expulser deux ou trois étudiants par jour. Ces mesures ont suscité de nombreuses oppositions tant dans la rue que dans les discours politiques, incitant alors le ministre à fixer aux dirigeants d’établissements d’enseignement un quota de sanctions graduelles, allant jusqu’au renvoi.
À ces propos s’ajoute la radicalisation de la direction de l’UQAM à l’égard du mouvement de grève. Marc Boulanger, du Comité de mobilisation de l’ASSÉ, déplore le recours à des agences de sécurité engagées spécialement pour la grève filmant les levées de cours. Selon lui, « ces vidéos sont utilisées dans des convocations devant le comité disciplinaire ». L’Université du Québec à Montréal a d’ailleurs demandé une injonction à la Cour supérieure contre cinq associations étudiantes et 34 militants afin qu’ils cessent « d’interférer avec ses activités ».
Cette requête fait référence aux incidents survenus le 30 mars, journée pendant laquelle des étudiants ont interdit l’accès à l’Université en érigeant des piquets de grève. Le juge Robert Mongeon a accordé cette injonction le lendemain, proscrivant le blocage de l’université, le harcèlement, l’intimidation et la provocation – gestes qui avaient été rapportés lors du 31 mars. Par ailleurs, neuf étudiants de l’UQAM ont été expulsés par le conseil exécutif pour avoir mené des levées de cours, des manifestations et des activités d’associations étudiantes et syndicales pouvant remonter à 2013. En réaction, les professeurs de l’UQAM ont décrété deux jours de grève, les 2 et 3 avril.
L'exécutif de l’ASSÉ démissionne
Les six membres de l’exécutif de l’ASSÉ ont démissionné en bloc, le 4 avril. Ces démissions surviennent quelques jours seulement après la proposition de report du mouvement de grève vers l’automne — report controversé qui avait induit de nombreuses frictions au sein de l’association. L’ASSÉ est divisée entre deux franges : d’un côté une aile modérée à laquelle s’identifient les membres de l’exécutif, et de l’autre une partie plus radicale, à laquelle appartient le comité Printemps 2015. Les tensions se sont accumulées entre ces deux groupes ces dernières semaines jusqu’à aboutir à la démission définitive des membres de l’exécutif, dont la porte-parole Camille Godbout. Au cœur de ces tensions se trouvait la proposition de séjourner la grève jusqu’en automne afin de profiter d’un possible conflit de travail dans la fonction publique — après la fin des négociations de conventions collectives.