Pérou, l’ascension du tourisme spirituel

Lucie Bonnard
17 Décembre 2013



Le tourisme chamanique est un nouveau business florissant au Pérou qui fait la fortune de certains chamans et le bonheur des Occidentaux en quête de spiritualité. Au cœur de ce nouvel engouement : l’ayahuasca, un breuvage traditionnel aux vertus mystiques.


Crédits photo -- sacredvalleytribe.com
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Ils sont prêts à parcourir des milliers de kilomètres pour vivre l’expérience ultime, à la recherche de la paix intérieure et d’un approfondissement de soi. Au programme de ce voyage des rituels traditionnels autour d’un breuvage ancien généralement utilisé par les chamans des tribus indiennes d’Amazonie : l’ayahuasca, une décoction fabriquée à base de plantes psychotropes hautement hallucinogène. Depuis 2005, en France, elle est au registre des stupéfiants et donc interdite. Depuis quelques années, elle est devenue un véritable marché touristique pour les pays qui l’autorisent. Au Pérou, elle est utilisée depuis des siècles dans le cadre de la médecine traditionnelle et de pratiques divinatoires. Remède aux maux de l’occident pour certain, dangereux stupéfiant « sectoïdal » pour d’autres, l’ayahuasca provoque chez tous un incontestable intérêt.

Les agences de voyages ont saisi le filon et les sites internet fleurissent, proposant des séjours « clé en main » de purification du corps et de l’âme. Au programme, rencontre avec les communautés indigènes et initiation chamanique avec de l’ayahuasca. Pour certains, l’expérience est inoubliable, pour d’autres, elle fut insupportable.

La liane des esprits

Son nom vient de la langue indienne Quechua et est formé de l’agglutination aya et huaska qui se traduit ordinairement par la liane des esprits, de la mort ou des âmes. Dans de nombreuses communautés indigènes, l’ayahuasca est utilisé pour un usage thérapeutique ou divinatoire. Les tribus l’utilisent depuis des millénaires comme un outil de purification lors de rituels de guérison sacrés. Cette plante permettrait de rentrer dans un état de transe afin de communiquer avec les esprits de la nature et purger les maux de l’âme et du corps. Elle permettrait d’élever l’état de conscience et voir même, de soigner des maladies importantes.

L’absorption de ce breuvage est faite sous le contrôle d’un chaman : il est l’intermédiaire entre le monde des esprits et celui des vivants. Il est le guide du voyage qui, dans un état de conscience modifié, permet aux individus d’aller à la rencontre de l’invisible. L’ingestion conduit à un détachement total de la réalité, une évasion spirituelle par un « voyage astral ». Extases, visions éclatantes, lucidité extrême… en d’autres termes, l’ayahuasca est une boisson narcotique aux effets puissants. Mais, absorbé dans de mauvaises conditions de préparation, cet hallucinogène peut provoquer des réactions terribles : paranoïa, schizophrénie, traumatismes ou même la mort. Une préparation drastique doit être effectuée avant, pendant, et après le rituel. Les conditions sont très strictes : isolement dans la forêt, diète et abstinence sexuelle, pas de contact avec le feu, exclusion totale de certains aliments ainsi que de toutes drogues, alcools et médicaments. Plusieurs spécialistes indigènes affirment qu’il faut de longues années de pratique, jusqu’à 25 ou 30 ans, pour atteindre une vraie maîtrise de l’ayahuasca et pour être à même de l’administrer dans de bonnes conditions. Les bons ayahuasqueros sont donc rares.

Le business chamanique

Au Pérou, le commerce autour du chamanisme s’est fortement développé, notamment chez les tribus Yagua ou Shipibo et au Nord-Ouest, dans un triangle délimité par les villes de Tarapoto, Pucallpa et Iquito. De nombreux touristes affluent afin de goûter à ce breuvage. Ces voyages initiatiques sont motivés par la prétendue recherche d’un « retour aux sources », d’un « retour à la nature », d’une « protection contre les maux de la société contemporaine matérialiste », parfois d’une « nouvelle forme de spiritualité »… Avec le fort développement d’Internet, il est désormais facile pour les curieux de tenter l’expérience. De nombreux centres ont des relais en France ; et ils sont des centaines à proposer un package « découverte », garantissant un voyage initiatique avec prise d’ayahuasca par un véritable chamane. « Sérieux » et « authenticité » sont les mots d’ordre du séjour. Mais la croissante popularité de ces pratiques amène à de nombreuses dérives et « attrapes-touristes », s’éloignant de la véritable pratique socioculturelle locale.

Les Indiens amazoniens, riches par leur culture et leurs traditions ; le sont bien moins économiquement. Si la médecine traditionnelle relance l’économie péruvienne ; l’arrivée massive de ce nouveau tourisme spirituel n’est pas sans impacts négatifs. Le comble est que cette nouvelle manne financière liée au  tourisme initiatique en Amazonie déstabilise l’économie locale des contrées amazoniennes. L’afflux des devises des Occidentaux, qui bénéficient souvent au chef de village, incite les Indiens à se consacrer exclusivement à cette activité très lucrative, au détriment du développement d’une véritable économie. De plus, l’ampleur de ce tourisme a ouvert la porte à de nombreux charlatans qui s’improvisent chamans. En quelques semaines, ils peuvent gagner l’équivalent d’une année de salaires péruviens. Sauf qu’avec les rites ancestraux, il ne faut pas plaisanter. Les procédés peuvent s’avérer dangereux, surtout quand on ne les maîtrise pas.

Les dangers de ce narco-tourisme

L’ambassade de France au Pérou met en garde les voyageurs sur son site internet. Pour eux son usage peut avoir des conséquences médicales graves : « De nombreux guides touristiques ainsi que des centres d’éco-tourisme peu fiables proposent des initiations au chamanisme », rapporte l’ambassade. « Ainsi, le centre Sachawawa à Tarapoto fait, en particulier, l’objet d’une enquête judiciaire à la suite du décès d’une Française, en août 2011, dans des circonstances non encore élucidées ». Ce nouveau narco-tourisme inquiète les autorités occidentales. Le cas de cette Française n’est pas unique. La même année, Fabrice Champion, cofondateur de la compagnie d’acrobates les Arts Saut, est décédé près d’Iquitos. Son corps avait été retrouvé dans une maloca, grande hutte communautaire où les indigènes s’adonnent à des rites chamaniques.

Un rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) avait déjà, en 2009, consacré un chapitre entier sur les dangers de l’ayahuasca. Ce rapport insiste sur le fait que l’absorption de ce breuvage peut se « révéler particulièrement violent », qu’il amène à « un douloureux voyage sur soi-même avec vomissements, convulsions physiques, profonde détresse mentale… même lorsque cette substance est absorbée dans de bonnes conditions, c’est-à-dire sous la surveillance d’un chaman expérimenté ». L’internationalisation de l’usage de l’ayahuasca et son appropriation par les sociétés occidentales devient une question hautement problématique. La Miviludes et d’autres associations françaises craignent des dérives sectaires. Le Pérou lui, jouit de ce nouvel attrait et a classé l’ayahuasca comme patrimoine culturel de la nation.

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