Keiko Fujimori, la candidate du parti Fuerza Popular, actuelle favorite. Crédit : Muriel Epailly
La fille de l’ancien président Alberto Fujimori a remporté un grand nombre de votes, se plaçant largement devant Pedro Pablo Kuczynski du parti du centre-droit Peruanos Por el Kambio avec 21 % et Veronika Mendoza du parti de gauche Frente Amplio avec 18,83 %. Grâce à ces résultats, Fuerza Popular, le parti de Keiko Fujimori, double son nombre de sièges au parlement national, passant de 34 à 73 sièges (sur 130). Le parti de Veronika Mendoza, Frente Amplio, arrive en deuxième position avec 19 sièges, tandis que le parti de Pedro Pablo Kuczynski obtient pour sa part 18 sièges.
Un Pérou divisé et polarisé
Dès l’annonce des résultats dimanche soir, Keiko Fujimori a adressé un message de rassemblement aux Péruviens : « ce nouveau panorama politique qui vient d’être dessiné nous démontre très clairement que le Pérou souhaite la réconciliation et ne veut plus de conflits ».
Le pays reste néanmoins aujourd’hui fortement divisé en interne, notamment sur l’héritage laissé par son père, Alberto Fujimori. L'ancien président purge actuellement une peine de 25 ans de prison pour corruption et violation des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre la guérilla Sendero Luminoso (« sentier lumineux ») pendant les années 1990.
Cette division au sein du Pérou s’explique en grande partie par le conflit armé péruvien et une politique de réconciliation inachevée, selon Javier Llopis Puente, étudiant péruvien diplômé de Sciences Po Paris et actuellement en master à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL). « Le Pérou vit toujours à l’ombre de l’ère fujimoriste. Il n’y a eu que très peu de réparations pour les victimes des violences perpétrées dans les années 1980 et 1990. D’une part, les fujimoristes trouvent que la condamnation de Fujimori est injuste et, d’autre part, les anti-fujimoristes trouvent scandaleux que le fujimorisme soit encore aujourd’hui une force politique majeure au Pérou. Keiko Fujimori ne se détachera pas de l’empreinte de son père. La base du fujimorisme, c’est l’héritage d’Alberto Fujimori. Sans cela, ce n’est rien d’autre qu’un mouvement catch-all ».
Pedro Pablo Kuczynski, le candidat de centre-droite. Crédit : Cestrada (contributeur Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 3.0)
Malgré les résultats, Keiko Fujimori suscite un important rejet d’une grande partie des Péruviens, qui voient dans sa victoire la crainte d’un retour en arrière. Selon Javier Llopis Puente, « l’idée est désormais acquise chez les candidats – et les électeurs – que face à Fujimori, nous faisons tous barrage. Le mot d’ordre est de tout faire pour battre Fujimori. Dans ce sens, il est possible d’imaginer que le score réalisé par Fujimori n’augmentera que très peu pour le second tour ».
À la suite des élections, le Prix Nobel de littérature 2010, Mario Vargas Llosa, a pour sa part publiquement déclaré que l’accession au pouvoir de Keiko Fujimori reviendrait à légitimer le retour à un régime autoritaire et à la corruption : « que signifierait l’élection de Keiko Fujimori ? Ce serait la revendication de la dictature probablement la plus corrompue de l’histoire du Pérou ».
Javier Llopis Puente partage cette même vision : « Keiko Fujimori au pouvoir équivaudrait à l’accession au pouvoir de la fille de Pinochet, de Videla ou du maréchal Pétain. J’irai même encore plus loin que Vargas Llosa. La victoire de Keiko Fujimori serait la revendication du régime qui détruit toutes les bases du système démocratique au Pérou ».
Un second tour sous les projecteurs
Le second tour de l’élection présidentielle aura lieu le 5 juin prochain. Keiko Fujimori est évidemment favorite, mais reste menacée par cette importante division au sein du pays et devra indéniablement rassurer et rassembler au-delà de son propre parti.
La question fondamentale reste à présent de déterminer si Pedro Pablo Kuczynski, ancien Premier ministre péruvien (2005-2006) et économiste de la Banque mondiale formé à Oxford, réussira à rassembler les voix dans l’entre-deux-tours afin de contrer Keiko Fujimori grâce à sa coalition. « Kuczynski a besoin des voix de gauche pour être élu, alors qu’il représente une candidature de droite libérale traditionnelle, affirme Javier Llopis Puente. La situation me rappelle, au détail près, l’élection présidentielle française de 2002 ».
Les derniers rebondissements dans l’affaire « Panama Papers » pourraient, par ailleurs, animer l’entre deux tours, Keiko Fujimori et Pedro Pablo Kuczynski étant tous deux parmi les personnalités éclaboussées par ce scandale. Le 11 avril, les autorités péruviennes ont perquisitionné les bureaux à Lima de l’entreprise Mossack Fonseca, au centre de l'affaire « Panama Papers ». Parmi les noms cités, figurent notamment deux des soutiens financiers de la campagne de Keiko Fujimori. Pedro Pablo Kuczynski, quant à lui, est suspecté d’avoir créé plusieurs sociétés offshore au Panama, sur la base d’une lettre adressée à Francisco Pardo Mesones, ancien directeur de la Banque centrale de réserve péruvienne.
