Pakistan : Pragaash contre l'extrémisme

5 Décembre 2013



Au Pakistan, un groupe de rock féminin a été forcé de stopper la musique sous les menaces d'extrémistes et du leader religieux national. Retour sur l'histoire de ce trio.


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10 décembre 2012, tremplin de Srinagar. Un trio d’adolescentes qui se font appeler Pragaash (en français : Lumières) montent sur scène. Instruments en main, c’est le premier concert de leur vie. Un concert qui leur a permis de remporter le concours. Une joie qui fut de courte durée. Insultes, menaces de mort, le Grand Mufti Bashiruddin Mahmood a même émis une fatwa (avis juridique d’ordre religieux prononcé par un spécialiste de la loi islamique) contre elles pour ne pas avoir respecté les fondements de l’islam. « Quand des filles et des jeunes femmes s’écartent du droit chemin…cette forme d’activité non sérieuse peut devenir le premier pas vers notre destruction ». Noma Mazit, Bhatt Farah Deeba et Anneqa Khalid, les trois adolescentes, vivent sous la peur. Le 6 février 2013, les jeunes filles ont annoncé la dissolution du groupe.

Une carrière tuée dans l’oeuf

Pragaash était pourtant promis à une carrière prometteuse. Le trio était suivi par Adnan Muhammad Mattoo, fondateur et guitariste de BloodRockz, groupe phare du rock sufi (un mélange de rock et de musique traditionnelle sufi). Vishal Dadlani, membre du duo Vishal-Shekkar qui produit des bandes originales pour Bollywood, était prêt à produire leur premier album si le trio acceptait de venir à Mumbai. Il espère même que ces jeunes artistes reviennent sur leur décision d’arrêter la musique dans une interview donnée au Times of India : « Cela serait vraiment malheureux s’ils dissolvaient le groupe sous la pression. J’espère sincèrement qu’elles vont reconsidérer leur décision. Si elles pensent qu’il est dangereux pour elles de vivre dans la région du Cachemire, elles peuvent venir à Mumbai, je ferai le nécessaire. » 

Une décision irrévocable

Revenir sur cette décision semble compliqué. Dans une interview accordée à la BBC en février dernier, les membres de Pragaash expliquent que la musique allait désormais faire partie de leur passé : « La musique était notre passion (…). Il y a beaucoup d’artistes originaires du Cachemire qui jouent encore, mais aucune fatwa n’a été émise contre eux. Personne ne les a stoppés. Mais nous, on est forcées d’arrêter de jouer. Nous respectons leur opinion et nous arrêtons. Mais je ne comprends pas pourquoi nous le devons ». Sur les trois musiciennes, une est partie à Bangalore (ville du sud de l’Inde) pour soigner une dépression engendrée par les menaces, les deux autres sont restées dans la vallée du Cachemire dans des lieux tenus secrets par la famille afin d’éviter tout incident supplémentaire.

Les tensions régionales et le poids de la religion ne favorisent en rien le sort des trois jeunes rockeuses. Le Pakistan est une République fédérale islamique. Les décisions du Grand Mufti Bashiruddin Mahmood sont d’égale importance à celles du chef du gouvernement Omar Abdullah. Le Cachemire, région pour laquelle l’Inde et le Pakistan s’affrontent depuis 1947, est le théâtre d’attentats terroristes réguliers.

Des décisionnaires politiques qui ne s’accordent pas

Début février 2013, Pragaash avait pourtant obtenu le soutien d’Omar Abdullah, chef du gouvernement pakistanais, qui a twitté : « J’espère que ces jeunes filles talentueuses ne vont pas laisser une poignée d’imbéciles les faire taire ».

Seulement, ce soutien est à nuancer. Comme l’explique Adnan Mattoo : « Omar Abdullah a exprimé son soutien pour Pragaash, mais le Mufti, qui est choisi par le gouvernement et reçoit son salaire et ses privilèges du gouvernement, a menacé les filles ». Les deux hommes les plus influents du pays se contredisent, et Bashiruddin Mahmood obtient même gain de cause suite à l’arrêt du groupe : « Je suis heureux qu’elles aient arrêté le groupe. Je les félicite, elles, leurs parents ainsi que toutes les personnes qui ont soutenu ma fatwa ».

L’espoir de voir Pragaash remonter un jour sur scène semble donc relever de l’utopie malgré la mobilisation de soutien sur les réseaux sociaux pour garder l’espoir qu’un jour le trio se produise à nouveau en public.

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Nathan Lautier
Ex-rédacteur en chef du Journal International. Etudiant en science politique à l'université Lyon 2,... En savoir plus sur cet auteur