Cela ne fait plus aucun doute aujourd’hui. L’Afrique est le continent du futur, là où les opportunités d’investissement économique sont et seront les plus florissantes, là où un vivier en constitution attirera les entrepreneurs les plus affûtés, là où une classe moyenne de 300 millions d’individus est en formation. Constatez par vous-mêmes, il suffit de porter le regard sur l’évolution des grands agrégats économiques et autres indicateurs de développement. Cette dernière est vertigineuse. En 10 ans, le revenu moyen par habitant a progressé de 30%. En 2012, le continent africain hébergeait six des économies les plus dynamiques au monde. De même, au cours de la prochaine décennie, les experts prédisent une croissance annuelle moyenne de 6% pour l’ensemble du continent. Depuis le début du siècle, les investissements directs à l’étranger (IDE) à destination des économies africaines ont bondi d’un montant de 15 milliards de dollars en 2002 à un peu moins de 50 milliards en 2012. De surcroît, et même si l’Afrique compte toujours son lot de guerres civiles, de rébellions armées, ou d’États en faillite, la démocratie est majoritairement ancrée dans nombre de pays autrefois déchirés par ces mêmes maux. S’il est trop tôt pour crier victoire, et qu’une poignée de régimes autocratiques et liberticides survivent à cette vague démocratique, un nombre croissant de pays est en passe d’atteindre la stabilité politique et la prédictibilité nécessaires à l’établissement d’économies dynamiques et prospères.
Malgré ces statistiques qui ne trompent personne et éveillent l’intérêt croissant des grandes nations d’Asie, au premier rang desquelles la Chine et le Japon, les États-Unis ont manqué la locomotive du changement. Minée par les hésitations, hantée par des préoccupations sécuritaires omniprésentes, mal pilotée par les membres de l’administration en place, la politique africaine d’Obama pâtit d’un sérieux manque de cohérence et de volontarisme. Si les États-Unis « pivotent » toujours vers la région Asie-Pacifique, c’est décidément en faisant l’impasse sur le continent africain.
C’est donc sous pression qu’Obama se rendait au Sénégal, en Afrique du Sud et en Tanzanie du 27 juin au 2 juillet 2013. En accord avec les valeurs démocratiques qu’il promeut activement à l’occasion de chacun de ses discours sur l’Afrique, Barack Obama a soigneusement sélectionné ses destinations, pour éviter les commentaires habituels des médias qui harponnent le soutien des États-Unis à certaines dictatures peu recommandables.
Un nouveau modèle pour l’Afrique ? : « It’s the economy, (stupid)! »
L’objectif affiché, après six ans de négligence volontaire du continent africain, était donc pour le président de faire son mea culpa et renouer avec l’Afrique, d’effectuer une remise à plat (un reset) des relations bilatérales avec de futurs partenaires potentiels sur le continent. Cinq jours de visite, un itinéraire de trois nations prospères et vertueuses, de nombreuses rencontres et de multiples occasions de faire de grandes annonces n’ont pourtant pas provoqué le réveil d’Obama à la nouvelle donne africaine.
Certes, un « nouveau modèle » pour les relations américano-africaines a été ébauché, et une palette d’initiatives neuves a été dévoilée. Contrairement à son prédécesseur Georges W. Bush, dont la politique africaine a certainement été la plus ambitieuse et la plus appréciée des Africains depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Obama a mis un point d’honneur à changer le ton et la substance des politiques américaines promues en Afrique. Au lieu de fonds publics distribués seulement dans le cadre d’une politique d’assistance basée sur les ONGs et sur l’aide humanitaire - très souvent perçue d’un mauvais œil par les Africains, qui y voient l’empreinte d’un paternalisme postcolonial mâtiné d’une condescendance tout occidentale - Obama a souhaité développer un « partenariat entre égaux » (partnership of equals) avec ses homologues africains. En lieu et place du patron des Africains, Obama veut faire des États-Unis un partenaire de choix. C’est donc dans cette perspective, et en suivant les conseils de ses conseillers politiques qu’Obama a fait des échanges et de l’investissement une priorité dans son agenda. Bien entendu, si les grandes envolées sur la démocratie et la bonne gouvernance n’ont pas disparu du discours officiel, c’est avant tout une diplomatie économique énergique, axée sur le commerce, le développement et les investissements, qui a prédominé lors de ce séjour.
Dans cette optique, de nouveaux programmes réunissant les deux continents devraient voir le jour. À titre d’exemple, lors de son discours au Cap en Afrique du Sud, Obama a annoncé en grandes pompes un programme multinational visant à faciliter l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne – l’Ethiopie, le Libéria, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et la Tanzanie devraient être les principaux bénéficiaires du projet, que la Maison Blanche a évalué à 7 milliards de dollars en provenance des caisses publiques, et 9 milliards de dollars déjà promis par le secteur privé. En s’appuyant sur les ressources naturelles et les forces vives du continent, et pour remédier aux coupures fréquentes d’électricité dans la région, l’Administration Obama compte faire de « Power Africa » l’épine dorsale de sa politique africaine. À terme, l’ambition de ce projet est d’apporter 10 000 MW à plus de 20 millions de foyers et entreprises subsahariennes.
Puis, lors de son discours à Dar Es Salaam en Tanzanie, Obama a annoncé la mise en œuvre de « Trade Africa », une initiative qui vise à long terme à augmenter les exportations étatsuniennes de 40% vers la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC en anglais, composée du Kenya, de la Tanzanie, du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, ndlr) et à réduire le temps de transit des marchandises exportées ou importées des ports principaux de la région jusqu’aux capitales des voisins enclavés.
Autre initiative de taille qui témoigne d’une volonté politique rétablie : la création d’un forum de coopération États-Unis-Afrique subsaharienne, sur les modèles du Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC), mis en place par la Chine en 2000, ou encore du Tokyo International Conference on African Development (TICAD), mise en place en 1993 par le Japon. De même, en ligne avec son engagement et son soutien à la jeunesse africaine, Obama a annoncé l’extension de sa Young Afrikans Leaders Initiative mise en place en 2010, donnant chaque année la possibilité à 500 jeunes africains d’étudier et de travailler aux États-Unis.
Enfin, Obama a tenu à renforcer les dispositifs et politiques déjà existants, ou tout du moins à mettre ces structures déjà en place au service de nouvelles initiatives. L’ African Growth and Opportunity Act (AGOA) du Président Bill Clinton, dont l’objectif principal est de permettre un accès privilégié aux produits africains sur le marché américain, sera poursuivi lors d’un sommet prochain en 2013 et probablement reconduit en 2015. De même, les 7 milliards de dollars engagés dans la « Power Africa Initiative » (PAI) proviendront de l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC), de l’Export-Import Bank of the U.S. (Ex-Im Bank), deux structures mises à contribution par Obama en juin 2012 à l’occasion de sa « U.S. Strategy Towards Sub-Saharan Africa » . Une portion infime des fonds de la PAI sera financée sous forme d’aide publique, et proviendra principalement du Millenium Goal Corporation (MGC) mis en place par Georges W. Bush et de l’U.S. Agency for International Development (USAID).
Quelle politique africaine pour Obama ?
Après une semaine de déplacement présidentiel en Afrique, pendant lequel Obama a pu faire table rase de l’indifférence, voire de la négligence volontaire que ses priorités de politique étrangère reflétaient jusqu’à présent, quel bilan pour les relations américano-africaines ? Obama a-t-il répondu aux attentes des Africains et convaincu les conseillers les plus « africanistes » de son administration de sa bonne foi ?
De ce voyage, nous ne retiendrons qu’une seule chose : cette escapade africaine, en plus d’arriver tardivement, aura été trop timide et produit trop peu. « Too little, too late », ont claironné les experts avant même qu’Obama n’achève sa tournée en Tanzanie. Il est vrai qu’à bien des égards, Obama a difficilement (re)défini les contours de sa politique africaine. Si un nouveau cap et de nouvelles priorités ont été décidés, c’est avec retenue qu’Obama les a entérinés.
Le fait qu’il n’ait pas visité l’Afrique plus tôt peut difficilement lui être reproché. Ses deux prédécesseurs, Bill Clinton et Georges W. Bush, deux présidents qui ont su faire de l’Afrique un pilier de la politique étrangère américaine, n’avaient effectué leur tournée en Afrique qu’à l’issue de leur réélection. Obama avait bien d’autres « chats à fouetter » pendant son premier mandat, et les dossiers prioritaires de politique étrangère (printemps Arabes, guerre civile syrienne, Iran et le nucléaire, etc.), n’ont laissé aucun répit au président et à son équipe. Désormais à l’abri de toute échéance électorale personnelle, il peut pleinement profiter de sa position de lameduck, qui lui procure plus de flexibilité et d’amplitude quant à l’orientation de sa politique étrangère.
En revanche, on peut reprocher à Obama la timidité et la courte portée de ses initiatives, ainsi que son retard relatif par rapport aux géants émergents qui mettent le grappin sur l’Afrique. Alors qu’une véritable « ruée pour l’Afrique » a débuté, les opportunités économiques et énergétiques se faisant de plus en plus nombreuses, les États-Unis sont en passe de rater le coche. Si les États-Unis « pivotent » vers l’Asie, les géants asiatiques eux, semblent initier un pivot vers l’Afrique. Si la Chine et le Japon sont installés en Afrique de longue date, et renforcent de manière significative leur présence sur le continent, d’autres, comme l’Inde, n’hésitent pas à rentrer dans l’arène. Quant aux États-Unis, ils font office de malheureux retardataires qui tentent cahin-caha de rattraper le groupe de tête.
Quelques chiffres éclairent ce constat lapidaire. Quand les États-Unis engagent 7 milliards de dollars sur 5 ans pour l’électrification de l’Afrique subsaharienne – somme qui, d’après l’Agence Internationale pour l’Énergie, ne couvrirait que très partiellement les 300 milliards de dollars d’investissements nécessaires pour électrifier complètement le continent —, le Japon décide d’investir, à l’occasion du 5e sommet africano-nippon TICAD V, près de 32 milliards de dollars sur 5 ans, via une augmentation du nombre de partenariats public-privé. De même, quand les échanges entre les États-Unis et l’Afrique s’élèvent à 95 milliards de dollars en 2012, ceux entre la Chine et l’Afrique représentent le double, étant passés de 10 milliards de dollars en 2000 à plus de 200 milliards aujourd’hui !
Même lorsque les conditions sont favorables, et avec l’avantage de la proximité « raciale » qui aurait pu laisser entendre un plus grand attachement personnel du président à faire de l’Afrique une priorité dans sa politique étrangère, Obama sous-investi sur un continent qu’il sait en plein essor. La politique africaine manquée d’Obama, c’est en quelque sorte un non-pivot qui aurait pu, et aurait dû être.
D’autant plus qu’avec cette tournée, Obama continue d’évoluer dans l’ombre de ses prédécesseurs, dont les politiques africaines ont durablement marqué le continent. Que cela soit face à Clinton et son AGOA, ou à Georges W. Bush et son President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR), un programme de lutte contre le virus VIH de 15 milliards de dollars, les mesures récemment prises par Obama, pour symboliques soient-elles, n’impriment pas une marque suffisante pour constituer un héritage mémorable. Ce que l’on retiendra d’Obama, c’est l’absence de politique africaine ambitieuse et déterminée de son administration. Jamais la politique africaine des États-Unis n’aura été aussi hésitante et floue alors même que les opportunités n’ont jamais été aussi nettes. Clinton avait fait du commerce sa priorité. Bush avait choisi le développement humain. Quid d’Obama ?
Dans un récent article sur l’Amérique post-9/11, il était analysé en quoi, Obama souhaitait tourner la page de la guerre globale contre la terreur et faire basculer les États-Unis dans un état de paix armée un peu spéciale. Pourtant ironiquement, s’il y a bien un domaine dans lequel Obama a excellé en Afrique, c’est la sécurité et le contre-terrorisme. Depuis la création de l’AFRICACOM en 2006 par Bush, la politique africaine des États-Unis s’est durablement militarisée. Les prismes de la lutte antiterroriste et de la montée du radicalisme islamique - notamment au Mali et dans la corne de l’Afrique - ainsi que le conflit récent en Libye, ont systématiquement façonné la perception africaine d’Obama. Pour preuve, le Conseil de Sécurité, avec l’assentiment des Américains, a créé sa première « brigade d’intervention » composée de 3000 soldats onusiens le 28 mars dernier pour repousser le M23 en République Démocratique du Congo. Malgré le potentiel économique du continent, Obama semble avoir beaucoup de mal à voir en Afrique les « possibilités » plutôt que les « vulnérabilités ». En témoigne le déploiement de renforts au camp Lemonnier à Djibouti, le soutien logistique et de renseignement apporté aux Français au Mali, ou encore la création en 2013 d’une base aérienne pour les drones à Niamey, au Niger.
Si les intentions du président Obama étaient claires à son arrivée sur le sol africain, la politique africaine du président n’en ressort elle, pas plus claire et intelligible. La tendance d’une militarisation de la politique africaine des États-Unis, véritable continuité idéologique avec l’administration précédente, s’affirme. Quant au « nouveau modèle » de coopération américano-africaine, il pêche par excès de timidité et subit un déficit cruel de volonté politique et d’investissement de capital personnel du président lui-même. Avec l’affaire Prism et la distension du lien transatlantique, l’extradition d’Edward Snowden, l’hospitalisation de Nelson Mandela et enfin le coup d’État militaire en Égypte, la tournée africaine d’Obama risque de passer complètement inaperçue. Dommage.