Le dimanche 19 juin, aux abords du village de Nochixtlan, des manifestants du CNTE (Coordination Nationale des Travailleurs de l’Education) ont bloqué l’autoroute entre la ville de Mexico et la ville de Oaxaca. Lorsque la police fédérale est arrivée sur les lieux, de violents affrontements d’une durée de 7 heures ont eu lieu entre les civils et les forces de l’ordre, faisant au total 12 morts et des centaines de blessés. Les peuples indigènes qui vivent dans les États de Oaxaca et Chiapas se trouvent dans une situation d’isolement, d’autant plus que, depuis le mouvement zapatiste, le gouvernement est moins sensible à leur cause.
Une manifestation tournant au désastre
Depuis 3 ans, la réforme impose un examen d’évaluation des professeurs et tente d’améliorer le système éducatif mexicain sans réellement toucher au programme. Le gouvernement considère cette réforme comme nécessaire et obligatoire pour moderniser le modèle éducatif alors que les professeurs n’y voient qu’une manière de mettre à mal l’éducation publique. Les manifestations ont atteint un pic de violence le 19 juin dernier. La situation en est d’autant plus complexe qu’il est impossible de savoir qui a ouvert le feu.
La version officielle donnée par les forces de l’ordre dénonce une attaque par des personnes infiltrées au sein des manifestants. Ces derniers auraient attaqué la foule et envoyé des cocktails molotov ainsi que des pétards artisanaux. Les forces de l’ordre d’abord désarmées, auraient ensuite appelé des renforts armés afin de reprendre la maîtrise de la situation.
La version des professeurs dénonce quant à elle un usage de la force arbitraire et démesuré de la part des forces de police. Ces dernières auraient ouvert le feu en direction des manifestants.
Selon un rapport du gouvernement, parmi les 12 morts et les personnes arrêtées, il n'y aurait aucun professeur. Le procureur de l’État de Oaxaca aurait établi la présence de tireurs isolés dans les environs. Si les forces de l’ordre ont d’abord déclaré ne pas être intervenues armées, elles sont revenues sur leur version quelques heures plus tard, admettant que la gendarmerie mexicaine serait à l’origine des coups de feu.
Un désaccord concernant une réforme éducative
Le gouvernement refuse de négocier cette réforme éducative, émise dans le but de multiplier la présence de professeurs diplômés et qualifiés et non plus en poste de père en fils comme ce peut être le cas dans certains États du Mexique. L’OCDE est par ailleurs en accord avec cette réforme, affirmant qu’elle est nécessaire pour améliorer le niveau de vie des Mexicains. Selon une enquête mise en place par l’OCDE en 2015, l’analphabétisme touche 6,6 % de la population de plus de 15 ans. Autrement dit, 6 millions de Mexicains sont analphabètes. Si le Mexique est un des pays de l’OCDE qui consacre une grande partie de son PIB à l’éducation publique (5,2 %), la majeure partie est en réalité utilisée pour payer les salaires des professeurs. Selon un rapport de l’initiative citoyenne Mexicanos Primero, dont l'objectif est d’améliorer le droit à une éducation de qualité, dans certaines écoles des régions les plus pauvres comme Chiapas ou Oaxaca, au Sud du Mexique, entre 30 et 40 % des écoles ne disposent même pas de sanitaires.
Le personnel éducatif, est, de son côté, contre cette réforme, expliquant que le gouvernement ne souhaite pas réformer le programme éducatif mais plutôt se séparer d’un bon nombre de professeurs et de leurs rémunérations. Les instituteurs des villages de campagnes, bien souvent indigènes, seraient les premiers à avoir une mauvaise évaluation. Dans ce cas, ils seraient immédiatement licenciés. Or la probabilité pour qu’un autre professeur vienne faire classe dans ces petits villages isolés est infime puisqu’il est extrêmement difficile de trouver des professeurs bilingues, capables de faire le lien entre les parents parlant des langues indigènes et les enfants nécessitant une formation en espagnol.
Au-delà d’une réforme contestée, la trace d’un vieux conflit politique
Si l’opposition à cette réforme est le nerf de guerre de cette manifestation, il existe un conflit plus ancien et profond entre le Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) et le gouvernement. À l’origine très proche du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui est resté au pouvoir pendant plus de 70 ans, ce syndicat jouissait d’un poids important en politique. Elba Ester Gordillo, ancienne dirigeante du SNTE, idolâtrée par plus d’un million et demi de partisans à travers toute l’Amérique latine et particulièrement au Mexique, a décidé en 2012 de ne pas soutenir Enrique Peña Nieto dans sa campagne présidentielle. Succédant à Felipe Calderón, ce candidat du PRI nouvellement élu, a alors décidé de mettre en place la réforme éducative afin de réduire l’emprise du syndicat dans le pays. En 2015, le syndicat atteignant un niveau sans précédent de corruption et d’emprise sur les sphères de la direction de l’éducation, les autorités fédérales ont alors décidé de remplacer le personnel de l’Institut d’État de l’Éducation Publique de Oaxaca (IEEPO) par un personnel non syndiqué. Une décision que les professeurs ont ressenti en majorité comme une violente provocation, entraînant alors leur colère et leur ressentiment.
Dans la région de Oaxaca, cette situation n’est pas sans rappeler celle de 2006, lorsque plusieurs organisations sociales regroupées sous le nom de l’APPO (Assemblée populaire des peuples de Oaxaca) avaient alors pris le pouvoir dans la capitale de l’État fédéral pendant plusieurs mois. Des épisodes de violences entre les milices du gouvernement et les manifestants s’en sont suivis et ont entraîné la mort de 26 professeurs.
Un dialogue de sourd ?
Près d’une semaine après l’ouverture du dialogue entre le gouvernement et la CNTE, les deux parties prenantes au conflit n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente. Les professeurs ont annoncé qu’ils continueraient la lutte et les blocages dans plusieurs États du Mexique jusqu’à obtenir des avancées sur leurs revendications alors que le gouvernement assure qu’aucune négociation ne sera faite concernant la réforme. La situation économique est plus que précaire, un pont aérien a même été mis en place afin de ravitailler la population désemparée et bloquée par les manifestations.
Le Mexique se trouve à une étape charnière de son histoire : si la transition démocratique passe obligatoirement par des réformes profondes, le gouvernement doit trouver une manière légale de les faire passer, tout en prenant en compte les demandes des professeurs. De même, les syndicats doivent accepter le changement et soutenir le processus démocratique afin de faire avancer, avant tout, un système éducatif nouveau, nécessaire à tout pays en développement.