OPEL : le « modèle allemand » a du plomb dans l’aile

27 Mars 2013



C’est avec une écrasante majorité que les travailleurs de l’usine OPEL de Bochum ont voté contre l’accord qui prévoyait un gel des salaires en échange d’un maintien de l’emploi. Le chemin pris par notre voisin serait-il intenable ?


@Dapd (Jakob Studnar)
@Dapd (Jakob Studnar)
Ce jeudi 21 mars, à Bochum, 76,1% des 2 280 travailleurs de l’usine OPEL ayant pris part au vote se prononçaient contre l’accord conclu entre le syndicat IG-Metall et la direction de l’entreprise. Celui-ci prévoyait un prolongement de la production jusqu’à fin 2016 avec le maintien de 1 200 emplois sur les 3 000 qu’en compte le site. En contrepartie, les salariés auraient renoncé à des hausses de salaire. En conséquence de ce refus, la direction d’OPEL a annoncé l’arrêt de la production pour la fin de l’année 2014.
 
Au-delà des détails techniques (les salariés dénonçaient notamment le caractère trop « vague » de l’accord) et du contexte local, ce refus mène à s’interroger sur la viabilité du fameux « modèle allemand ».

Les experts, Schröder et le modèle allemand

Au début des années 2000, les experts du Conseil des Sages s’inquiètent d’une perte de compétitivité du « Standort Deutschland ». Dans un rapport présenté en novembre 2002, ils pointent du doigt les rigidités du marché du travail et une évolution des salaires disproportionnée. Réélu la même année, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder s’inspire des recommandations du Conseil des Sages pour mettre en place une politique de « modernisation » du marché du travail et de « désinflation compétitive ». Rassurez-vous, ce second terme faussement savant ne désigne rien d'autre qu’une compression des salaires. 

Il ne s’agit pas dans cet article de faire le bilan de ce qu’on a appelé l’Agenda 2010, mais de s’interroger sur la conception du marché du travail qu’il sous-tend et ses conséquences. Expliquons-nous. En diminuant la durée maximale de versement des allocations chômage, en abaissant leur montant ou encore en assouplissant le régime de protection contre le licenciement, Gerhard Schröder adopte clairement une représentation néoclassique du marché du travail. 

Autrement dit, la confrontation des courbes d’offre et de demande de travail sur un repère orthonormé détermine l’équilibre du marché jugé optimal. Suivant cette idée, il n’y a que des chômeurs volontaires : des personnes qui préfèrent aller à la pêche plutôt que de travailler pour un salaire qu’elles jugent trop bas. On en déduira deux axes d’intervention pour les politiques : d'une part, il convient de faire en sorte que le marché du travail réel se rapproche le plus possible de la théorie pour éviter les frictions. D'autre part, il faut inciter les pêcheurs à retourner à l’usine.

Le travail, c’est la vie

Mais le marché du travail n’est pas assimilable au marché de la betterave. La « marchandise » travail est portée par des femmes et des hommes qui composent notre société. Le travail, c’est la vie et c’est en partie pourquoi les travailleurs sont dépendants des employeurs. 

L’économiste Eugène Buret dénonçait dès 1840 l’inanité de la vision libérale : « Suivant cette théorie, le travail est considéré abstraitement comme une chose, et l’économiste qui étudie les variations de l’offre et de la demande, oublie que la vie, la santé, la moralité de plusieurs millions d’hommes sont engagées dans la question. »  Et Buret de se demander si ce n’est autre chose qu’une « théorie de la servitude déguisée ».

Près d’un siècle plus tard, l’économiste et anthropologue Karl Polanyi poursuit la réflexion : « La prétendue marchandise qui a nom « force de travail » ne peut être bousculée, employée à tort et à travers, ou même laissée inutilisée, sans que soit également affecté l’individu humain qui se trouve être le porteur de cette marchandise particulière. »

Pourquoi toutes ces divagations ? Revenons-en à nos travailleurs d’OPEL. A Bochum, la logique vers toujours plus de compétitivité s’est peut-être heurtée jeudi dernier à sa principale limite : celle de la vie des gens. Le maintien d’une balance commerciale excédentaire ne peut se faire contre les salariés, leurs conditions de vie et leur dignité. 

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Journaliste spécialiste des questions économiques. En savoir plus sur cet auteur