"Nous sommes les 45 %"

9 Octobre 2014



"Nous sommes les 45% ; l'esprit du "oui" ; le peuple du "oui" ; demandant plus de justice, d'équité, d'espoir, d'intelligence et de liberté pour les 45%, pour les 55%, pour l'Ecosse". Plus d'une semaine après le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, une partie de l'électorat du "oui" continue la campagne sur les réseaux sociaux.


Crédit DR
Crédit DR
Le 19 septembre dernier, l'annonce faisait la une : avec 55% des voix contre l'indépendance, l'Ecosse restait dans le Royaume-Uni. Le "ouf" de soulagement poussé par beaucoup fut perceptible bien au-delà des frontières britanniques. Pour autant – et c'était prévisible – la question continue de susciter le débat. La démission inattendue d'Alex Salmond (le président du Scottish National Party et le Premier ministre du gouvernement écossais) au lendemain des résultats a paradoxalement semblé donner un second souffle au parti indépendantiste : de 25 000, le nombre de membres du SNP est passé à 70 000 en l'espace d'une semaine. 

Au-delà de l'affiliation au SNP, le sentiment d'amertume a poussé certains partisans de la « Yes campaign » à poursuivre leur combat en s'organisant. Surfant sur la vague de « grassroot campaigning  » (campagne sur le terrain) et sur le rôle déterminant de Twitter et de Facebook, un mouvement a investi les réseaux sociaux sitôt les résultats proclamés : les 45%, en référence bien sûr aux 44,7% des votes favorables à l'indépendance. Pour The Independant, un quotidien britannique, il ne s'agit ni plus ni moins que de la nouvelle « Yes campaign ». Les 45% : une simple version 2.0 de la campagne du oui ? Au terme de campagne qui implique l'idée d'une durée limitée dans le temps, les observateurs politiques pro-indépendance lui préfèrent le mot "mouvement".

Crédit Steve Cox
Crédit Steve Cox
Et du mouvement, il y en a. Badges distribués à tour de bras, « twibbons » proposés aux utilisateurs de Twitter, création de pages Facebook et Twitter dédiées... Si le mouvement ne fait pas de vague sur le terrain, il est pour le moins actif sur les réseaux sociaux : le compte Twitter compte 4300 abonnés, et plus de 175 000 personnes "likent" la page Facebook « We are the 45% ». Selon les organisateurs, un site Internet et une chaîne YouTube sont aussi en préparation. 

Amertume et lendemains qui (dé)chantent

Mais une question délicate se pose : déçus par les résultats d'une campagne de longue haleine, les "45%" parviendront-ils à conserver le fair-play et l'esprit pacifique qui avaient animé les mois précédant le référendum ? Une page Twitter non-officielle également appelée « We are the 45% » (@macca1877) réunit 1800 abonnés (contre 4300 pour la page officielle) et sème le trouble en postant des tweets haineux : "Les 55% ont trahi leur pays", "J'espère que ceux des 55% qui ont une conscience ont honte en se réveillant ce matin", etc... Référence est ici faite aux déclarations de George Osborne, le ministre des Finances britannique, qui a dit vouloir durcir la politique d'austérité dans le pays. Ces appels à la division entre les vertueux des 45% et les traîtres des 55% doivent-ils faire craindre des lendemains qui déchantent ? La majorité des Ecossais comprennent en vérité ces déclarations certes extrêmes mais minoritaires, et ne les considère pas comme inquiétantes outre mesure. Un étudiant interrogé pour le journal déclare qu' "il y a toujours eu des gens extrêmes. Et beaucoup d'entre eux nous portent des plaies difficiles à soigner". 

Face à une amertume qui confine parfois à la rancoeur, les unionistes en appellent évidemment à l'argument démocratique. Pour Murdo Fraser, député conservateur au Parlement d'Edimbourg et partisan du "non" :  « Toute cette histoire de 45% est un peu triste. Le peuple écossais a parlé. Vous n'aimez peut-être pas ce qu'il a dit, mais maintenant c'est fini. »  Gordon Brown, Ecossais et ex-Premier ministre britannique issu du parti travailliste, cherche aussi l'apaisement : "Il y a un temps pour se battre, mais il y a aussi un temps pour s'unir". Un sentiment bien résumé par Gerry Hassan, éminent universitaire écossais : "Plutôt que de continuer à parler des 45%, il est plus important de comprendre la motivation des 55. Et d'insister sur le fait que nous sommes une Ecosse et 100% !".
Crédit DR
Crédit DR

Vers un deuxième référendum ?

Samedi 27 septembre, 3000 personnes, dont les jumeaux de The Proclaimers et Vivienne Westwood, se sont réunies devant le Parlement d'Edimbourg à Holyrood, à l'appel notamment du mouvement des 45%. L'objectif ? Montrer que la campagne du "oui" était loin d'être finie et militer pour l'organisation d'un deuxième vote. Les initiatives de ce type fleurissent à travers le pays. Dans la semaine, en réaction aux annonces de coupes budgétaires, un appel aux dons pour les banques alimentaires a été lancé par le camp du "oui". En quelques heures, George Square, la place emblématique de Glasgow et l'un des bastions de l'indépendantisme, s'est vue recouverte de sacs de courses déposés par les habitants. Relayé par les réseaux sociaux, l'événement a spontanément été reproduit dans plusieurs villes d'Ecosse. 

Crédit DR
Crédit DR
"Ce n'est pas fini, le rêve ne mourra pas tant qu'il y aura des rassemblements de ce genre", titrait l'éditorial du Herald le 28 septembre dernier. L'Ecosse peut-elle déjà se diriger vers un nouveau référendum ? Une pétition lancée dès le 19 septembre rassemble déjà plus de 93 000 signatures pour demander l'organisation d'un nouveau vote. Mais la population est fatiguée et même les leaders du SNP choisissent de tempérer le débat. Selon Nicola Sturgeon, la très probable future Première ministre écossaise, un vote dans l'immédiat est à exclure. "Ce ne sont pas les personnes qui dictent le moment pour un référendum, ce sont les circonstances". Les 45% échoueront donc probablement à obtenir un deuxième référendum pour le moment. Mais les intentions non dissimulées de David Cameron de quitter l'Union européenne et la montée inquiétante de UKIP aux élections pourraient bien être les circonstances qui donneront à l'ensemble des Ecossais une deuxième chance de s'exprimer sur leur destin. En matière d'indépendance comme ailleurs, tout vient à point à qui sait attendre.

Notez


Alice Quistrebert
Bretonne pur beurre cultivant ses racines à l'IEP de Rennes, co – rédactrice en chef du magazine... En savoir plus sur cet auteur