Tout commence en mai 1973 quand des centaines d’étudiants venus de tout le pays envahissent la petite bourgade de Nimbin, à quelques kilomètres au Sud de Brisbane. Ils entendent faire de « l’Aquarius Festival » un véritable Woodstock australien, dont la marijuana n’est alors qu’un accessoire. L’ambiance est aux cheveux longs et aux vans multicolores dans lesquels artistes et utopistes s’empressent de rejoindre la côté Est du pays. La plupart d’entre eux décident de s’établir durablement dans la région où les terres restent très abordables. Nimbin devient la capitale « hippie » du pays, une capitale qui mue rapidement en temple national du cannabis.
A l’origine, l’utopie d’un mode de vie alternatif
Dans les années 1970, une multitude de communautés émergent dans la région, dont la plus importante reste « Tuntable Falls » avec ses 200 habitants et son système scolaire et politique autonome. Les principes d’auto suffisance et d’harmonie sont au fondement de ces collectivités qui disposent de leurs propres cultures potagères, de panneaux solaires et de sources d’eau à proximité.
Elles mettent les questions environnementales, les droits de l’homme et les droits des aborigènes sur leur terre au cœur de leur réflexion. Sur le plan économique, des sociétés comme Rainbow Power Company, spécialisée dans l’énergie solaire ou encore Ecosik Bags, dans le textile recyclable, y prospèrent durablement.
Derrière l’artifice, une ambition politique certaine
Derrière les « fées ganja », les olympiades, les ateliers roulage et la parade du « big joint », le festival Mardi Grass affiche une véritable ambition politique : « Cet événement annuel est une manifestation contestataire à caractère politique » (site officiel du festival). Depuis 1993, cette ode annuelle au cannabis entend protester contre « l’invraisemblable et stupide guerre contre la drogue » à coup de slogans du type « We are the 420% Abongamous ». Avec un pass payant entre 30$ et 50$, l’événement accueille des profils variés, y compris des participants venus célébrer l’herbe magique en famille.
Nimbin est aussi le siège du HEMP Party (Help End Marijuana Prohibition), un parti fondé en 1993 dont le leitmotiv principal reste de « légaliser le cannabis pour usage personnel, médical et industriel pour tous les australiens ». Une entreprise politique qui a naturellement trouvé un certain écho aux dernières élections fédérales de 2013 (0,71%), alors qu’on sait que plus d’un tiers de la population australienne a déjà expérimenté le cannabis et que près d’un million d’Australiens en font une consommation hebdomadaire.
Un contrôle policier difficile : une poche hermétique à la législation
Nimbin, où l’on trouve partout de quoi fumer, reste une exception. En Australie, l’utilisation, la possession, la culture et la vente de cannabis est illégale même si les peines encourues diffèrent selon les Etats. Dans le New South Wales, où se trouve Nimbin et sa région, la politique à l’égard du cannabis est dite « citoyenne » avec un système d’avertissements et d’informations avant la sanction. Elle peut aller de la simple amende à la peine d’emprisonnement en fonction des quantités saisies.
A Nimbin, le respect de la loi reste difficile tant l’habitus de consommation est ancré dans la culture locale. Pour le commandant de la police locale Greg Moor (pour news.com), « Nimbin a sa propre culture » - sans jeu de mots douteux. L’afflux incessant de bus « rend complexe de faire respecter la loi comme c’est le cas dans le reste de l’Etat. ». L’intensité du trafic et le manque d’effectif policier rendent quasiment impossible le travail de la police.
Une utopie transformée en juteuse attraction touristique
Au fil des années, l’utopie des pionniers de Nimbin a tôt fait de muer en simple attraction touristique. Un spectacle juteux pour ses habitants dont la plupart vivent de la vente de la drogue et échappent aux taxes. Si la marijuana est la plus « médiatisée », les dealers de la ville proposent aussi une multitude de produits (champignons hallucinogènes, ecstasy) tous plus rentables les uns que les autres. Les 15% de chômage (selon le recensement gouvernemental de 2011), soit deux fois plus que la moyenne nationale, témoignent bien de la foison de ces jobs non déclarés.
Pour Mr Hopkins, créateur du Mardi Grass (pour ABC Australia), l’événement n’a pas réussi à changer la législation et l’image actuelle de la ville est une « honte ». Pour lui, « le commerce de la drogue à Nimbin est un marché de plusieurs millions de dollars, un marché pour touristes ». Touristes qui chaque année sont de plus en plus nombreux à venir observer l’étrange spectacle de cette rue colorée.
Sous ces airs de festival altermondialiste, Mardi Grass s’apparente davantage à une simple occasion de faire la fête en consommant l’esprit tranquille. L’afflux des bus touristiques remplis de « backpackers » est venu ternir l’image du village alternatif qu’avaient imaginé les pionniers de l’Aquarius Festival. En somme, une utopie trop vite partie en fumée.