C'est un fait : la distribution géographique des populations ainsi que leurs déplacements sont largement déterminés par l’environnement, les changements environnementaux et les catastrophes naturelles et climatiques. Aujourd’hui, le changement climatique donne un autre relief à ces mouvements de populations du fait de trois conséquences majeures : l’augmentation du nombre d’événements climatiques extrêmes, la hausse du niveau de la mer et la baisse des précipitations ainsi que la dégradation des sols. L’immigration environnementale est par nature multiple avec, d’une part, des évacuations brutales provoquées par des catastrophes naturelles et, d’autre part, des mouvements planifiés de longue date suite à une dégradation progressive de l’environnement d’origine. Dans les deux cas, les conséquences pour les personnes déplacées sont graves.
Changement climatique et migrations forcées : la double peine
Les victimes du changement climatique forcées de migrer se démarquent par leur vulnérabilité, soit leur incapacité de s’adapter face au danger auquel elles font face. À un niveau global, cette vulnérabilité montre une double injustice. La géographie des émissions de gaz à effet de serre étant différente de celle des impacts du réchauffement climatique, les pays les plus touchés sont généralement peu émetteurs – République de Micronésie, Tuvalu – et n’ont pas particulièrement la capacité financière de mettre en place des politiques nécessaires pour la protection de leur territoire et de leur population. En effet, entre 1994 et 2003, les désastres naturels ont été à l’origine d'en moyenne 44 morts par évènement dans les pays à indice de développement humain élevé, alors que ce chiffre atteignait jusqu’à 300 morts dans les pays à faible IDH.
D’après Steve Lonergan, ancien chercheur à l’université Victoria au Canada, « il doit être reconnu que la dégradation de l’environnement est socialement et spatialement construite ». En ce sens, les pays en développement vont être les plus affectés par le changement climatique avec trois vulnérabilités régionales majeures. L’Asie du Sud et de l’Est est particulièrement vulnérable par la montée du niveau de la mer avec dix des très grandes villes situées sur la côte. Le même phénomène menace particulièrement la région du Delta du Nil, habitée par des millions de personnes. En Afrique, la sécheresse et le manque d’eau potable ont et auront de graves conséquences sur la sécurité alimentaire des populations en Afrique sub-saharienne. Enfin, les petites îles et les États insulaires sont directement menacés par la montée du niveau de la mer.
Tuvalu, archipel du Pacifique de 26 km² composé de neuf îles, est emblématique de ces États menacés. Comme le souligne Gilliane Le Gallic, Tuvalu fait face à deux principaux problèmes. D’une part, la montée du niveau de la mer qui se caractérise par une remontée des eaux par le sol. « Les plantes traditionnelles, comme le taro, qui doit se planter à un mètre sous la terre, ne peuvent plus être cultivées ». Si ce phénomène a débuté au début des années 2000, il se produit aujourd’hui « mensuellement, à toutes les marées hautes » poussant la population à importer des céréales. D’autre part, les sécheresses s’intensifient, la plus signifiante ayant eu lieu en 2011 : « pendant onze mois, chaque famille a vécu avec 20 litres par jour » ; soit l’équivalent d’une douche de cinq minutes. Durant cette période, une assistance internationale a fourni des bouteilles d’eau à la population « ce qui a d’ailleurs aggravé le problème des déchets » sur l’île.
Au niveau individuel, et comme conséquence de ces divers processus, les personnes les plus touchées vivent dans des conditions sociales et économiques limitées. Le changement climatique exacerbe les vulnérabilités existantes, qu’elles soient environnementales, économiques ou sociales. Les pratiques agricoles sont bouleversées et dans ces régions où la population locale est principalement rurale, elle devient de plus en plus précaire. Si dans certaines régions, comme au Sahel, les populations ont traditionnellement développé des pratiques culturelles migratoires, le réchauffement climatique bouleverse ces mécanismes traditionnels d’adaptation, forçant les populations concernées non pas à migrer d’une zone agricole à l’autre en fonction de la saison, mais bien de quitter leur environnement pour tenter de trouver les moyens de subvenir à leurs besoins dans les villes.
Sensibilisation et action : le cas d’Alofa Tuvalu
Une des priorités est la prise de conscience des conséquences du réchauffement climatique par la communauté internationale toute entière mais aussi par les populations directement victimes. Gilliane Le Gallic et Christopher Horner ont réalisé le documentaire Nuages au Paradis sur Tuvalu, permettant au grand public de prendre connaissance de la première nation à être menacée de disparition à cause des effets du réchauffement climatique. Dès 2005, la bande dessinée À l’eau, la Terre a été créée et distribuée « à l’échelle mondiale » par l’association Alofa Tuvalu. En 2014, un nouvel ouvrage Biogaz pour les nazes a été publié dans le but de promouvoir des solutions de lutte contre l’effet de serre pour les jeunes et novices.
Crédits : Alofa Tuvalu
À l’échelle de Tuvalu, l’association a mis en place le programme Small is beautiful consistant à sensibiliser des habitants ainsi que mettre en place des actions de protection de l’environnement. Ce processus n’a pas toujours été aisé. Avec 97 % de la population membre de l’Église de Tuvalu, la religion a un impact important dans la culture et le quotidien des habitants. Au début des années 2000, les dirigeants religieux martelaient qu’il n’y « aura[it] pas de second déluge » remettant ainsi en cause les affirmations des scientifiques quant à la montée des eaux. L’association a donc mené des campagnes régulières de sensibilisation, via l’organisation de conférences, émissions de radio, ateliers intégrant les citoyens et les membres de l’Église. Si, d’une part, ce programme a permis à la population de prendre globalement conscience de la situation, il a aussi donné à l’île la capacité à « devenir une nation exemplaire en terme de développement durable en accord avec l’écosystème ».
L’innovation présentée par Alofa Tuvalu est véritablement d’apporter à la population « une approche nouvelle, avec des solutions et plus proche de la population ». Si Gilliane Le Gallic souligne toutefois la nécessité de motiver une population dans laquelle certains estiment être « des victimes » qui n’ont pas à résoudre les problèmes du changement climatique, le fait est qu'en 10 ans, les résultats ont été globalement positifs, avec une réduction significative de la consommation d’énergie. Ces actions ont par ailleurs dépassé le peu d’intérêt soulevé par les interventions précédentes de l’ONU. En rendant les habitants acteurs de la protection de leur environnement, Alofa Tuvalu a su leur redonner un rôle dans un processus où ils étaient seulement considérés comme victimes. L’aventure biogaz est véritablement une réussite du plan. Après 10 ans de campagnes de sensibilisation et de formation à la production de biogaz, « cette technologie est désormais utilisée sur toutes les îles de l’archipel ».
Des réfugiés oubliés ?
Si la prise de conscience des populations et leur action de préserver l’environnement est une priorité, il semble actuellement que cela ne changera pas diamétralement la course du changement climatique si aucune action globale n’est adoptée. Aujourd’hui à Tuvalu, « la population craint l’avenir ». Même si tous ne sont « pas en train d’envisager de partir », beaucoup y pensent mais se confrontent à la même interrogation : « mais pour aller où ? ».
Si le terme de « réfugié climatique » est souvent employé, il n’a aucune base légale. Sémantiquement, le terme « réfugié » apparaît exact, car ces personnes partent « trouver refuge » face aux impacts du changement climatique. Toutefois, le droit international ne leur accorde aucune existence juridique propre, et ce pour trois principales raisons. D’après la définition du terme « réfugié » de l’article 14 de la Convention de Genève, la notion de persécution est au cœur de la reconnaissance du statut : « 1) Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. 2) Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ». D’autre part, un réfugié traverse physiquement une frontière alors que les migrations climatiques se font majoritairement en interne, faute de moyens économiques et avec une volonté de maintenir les réseaux familiaux et sociaux. Dans la plupart des cas, il conviendrait donc de parler de personnes déplacées. Enfin, le réfugié a un droit de retour vers son lieu de vie, ce qui sera impossible pour nombre de cas en raison notamment de la hausse du niveau de la mer.
Si étendre le statut de réfugié aux migrants climatiques forcés est une urgence pour certains, la question fait toutefois débat chez les juristes et politiques internationaux. Ce changement légal impliquerait de nombreuses obligations pour les pays développés vis-à-vis des migrants climatiques, comme le devoir d’offrir la même protection qu’aux réfugiés politiques. À l’heure actuelle, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est déjà incapable de s’occuper de tous les réfugiés répondant à la définition stricte du terme et n’a pas les moyens de répondre à une demande aussi importante. La Nouvelle-Zélande avait d’ailleurs déjà refusé à un habitant des îles Kiribati le statut de réfugié climatique.
Toutefois, le débat n’est pas seulement judiciaire mais politique et éthique. Il met en avant l’incapacité d’acceptation globale de ces réfugiés par d’autres gouvernements et populations. D’une manière indirecte, c’est pour les pays industrialisés et développés un moyen de refuser leur rôle clé et majeur dans les conséquences du changement climatique. Cela renforce le fossé entre pays développés et en développement face à ce phénomène. Comme le souligne François Gémenne, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales, l’environnementalisation de la politique peut induire « la dépolitisation de l’environnement », ce qui a pour conséquence directe l’oubli que le changement climatique et que ses conséquences « s’ancrent profondément dans les inégalités ». Le Premier ministre de Tuvalu avait d’ailleurs comparé les impacts du réchauffement climatique à une forme de terrorisme insidieux contre sa population et les autres populations vulnérables.
Quelles solutions ?
La prise de conscience des effets divers du changement climatique par chaque citoyen de tous pays est indispensable. Cela permettra à chacun de réduire son empreinte et son impact sur l’environnement. Par ce biais, de nombreuses actions individuelles et concrètes sont possibles : réduction des déchets, consommation responsable, redistribution plus équitables des ressources, etc. À Tuvalu, ce changement a été rapide et s’est axé principalement sur la préservation de l’environnement tuvaluan et de sa biodynamie. Parallèlement aux actions de réduction de consommation d’énergie et à la mise en place d’énergies propres, d’autres programmes se sont directement axés sur la protection de l’environnement tuvaluan. À titre d’exemple, de nombreux cocotiers et palétuviers ont été replantés dans le but de maintenir le sable et retarder la montée des eaux. Des projets de surélèvement des îles de l’archipel ou encore la construction d’îles artificielles ont aussi été évoqués avec le gouvernement tuvaluan.
Toutefois, « toutes les solutions sont à court terme, car l’eau va continuer de monter », souligne Gilianne Le Gallic. Le défi est double : face à la potentielle disparition des îles et à la non-reconnaissance actuelle du statut de « réfugié climatique », la présidente d’Alofa-Tuvalu s’interroge : « si la nation disparaît, qu’advient-il de la nationalité ? ». Face à cette interrogation, l’expansion de la définition du terme de réfugié semble humainement urgente, ce qui implique une potentielle redéfinition des politiques d’immigration dans les pays les moins touchés. Dans cette optique, la Suède et la Finlande ont modifié leur législation au milieu des années 2000, permettant aux personnes demandant l’asile en raison d’une catastrophe naturelle d’obtenir le statut de réfugié.
Toutefois, cette reconsidération doit être couplée de politiques d’adaptation dans les États les plus touchés pour réduire leur vulnérabilité. Cela doit s’inscrire, comme l’ont souligné les États durant la COP 21, dans une reconsidération de l’approche des négociations climatiques avec la prise en compte d’une différenciation entre les pays développés et en développement dans leur responsabilité dans le changement climatique ainsi que leur engagement dans la réduction des effets néfastes. L’intensification des recherches dans le domaine du réchauffement climatique apparaît incontournable, dans le but de mettre en place un modèle de développement ne se basant plus sur l’exploitation de ressources fossiles, à l’origine des maux environnementaux connus aujourd’hui.