Malaisie : les travailleurs bangladeshi, entre illégalité et trafic humain

17 Décembre 2013



Alors que la Malaisie durcit sa politique migratoire en installant notamment une clôture électrique sur la frontière entre Thaïlande et Malaisie, la question de la communauté de travailleurs bangladeshis se pose de plus en plus sur la péninsule. Entre illégalité, émigration rêvée, et rude accueil, le périple des immigrés bangladeshis en Malaisie tourne souvent au cauchemar. Récit.


Crédits photo --  The Daily Star Malaysia
Crédits photo -- The Daily Star Malaysia
Les émeutes de Singapour font s’inquiéter les communautés étrangères de Kuala Lumpur, qui plaident « ne pas tous être mauvais ». « Certains d’entre nous souhaitent juste travailler dur pour nourrir notre famille », raconte A. Nandakumar alors que s’élève un vent de peur en Malaisie d’un soulèvement semblable. L’occasion de faire le point sur une communauté de travailleurs étrangers que la sphère médiatique met sur le devant de la scène depuis quelques semaines : les travailleurs bangladeshis.

Une longue traversée pour atteindre l’Eldorado

Les statistiques malaisiennes établissent à 400 000 le nombre de travailleurs bangladeshis sur le territoire. Et « plusieurs milliers » d’illégaux. C’est la détermination officielle qu’on donne au nombre de Bangladeshis présents illégalement en Malaisie. Le député-ministre de l’Intérieur Datuk Wan Junaidi avance lui que ce sont près de 1 200 immigrés clandestins qui arrivent chaque jour du Bangladesh. Impossible cependant de savoir combien vivent en Malaisie sans visa. La seule donnée vérifiable est que la Malaisie est la troisième destination préférée des Bangladeshis, après l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. On peut alors imaginer que nombreux sont les habitants de cet État peuplé par 154 millions de personnes à tenter leur chance.

Cela est à croiser avec le fait que la Malaisie est ici en Asie du Sud-Est ce que Lampedusa est à l’Europe. Des bateaux clandestins sont arrêtés chaque jour en provenance d’Indonésie ou de plus loin, les « boat-people » sont un phénomène répandu et s’échouent par dizaines sur les côtes malaisiennes. Alors pourquoi un tel attrait pour ce pays d’Asie du Sud-Est ? Le développement économique rapide du pays ainsi que le besoin grandissant de main d’œuvre dans un pays politiquement stable en comparaison à certains de ses voisins font de la Malaisie un pays attractif pour ses voisins asiatiques. D’un pays émigrant il y a un demi-siècle, la Malaisie est devenue un pays immigrant. Et le rêve est le même qu’à Lampedusa : les immigrants illégaux investissent tout dans un voyage qui leur permettra d’envoyer de l’argent à leur familles une fois installés.
Mais le rêve de ces Bangladeshis tourne vite au cauchemar en Malaisie : entre arnaques, trafic humains et expulsions, l’Eldorado n’est pas si doré.

Pour la plupart, le rêve tourne au cauchemar

L’épopée est souvent longue pour atteindre la Malaisie depuis le Bangladesh, et les quotas mis en place par le gouvernement de Putrajaya font de l’illégalité une obligation pour ces travailleurs émigrants.

Conscients de cela, de nombreux réseaux de trafic humain se sont mis en place et piègent des milliers de migrants. Les émigrants payent une entreprise entre 2 000 et 3 000 euros avec à la clé la promesse d’une vie luxuriante et d’un emploi à hauts revenus. Grande est leur déception quand, arrivés en Malaisie, ce ne sont que les plantations et un revenu s’étalant entre 5 et 20 euros par jour qui les attend. Ils sont ensuite bloqués en Malaisie, l’entreprise souscrite gardant leur passeport pour « protéger » leur couverture. Car ces entreprises donnent des visas touriste et étudiant à ces travailleurs illégaux, impliquant par ailleurs toute la chaîne éducative malaisienne. Les clandestins sont récupérés à l’aéroport par un professeur d’université attestant de l’apprentissage de l’anglais pour ces nouveaux « élèves », les fraudes pouvant jusqu’à aller à la falsification de bulletins de présence.

Tant bien que mal, les deux États de Malaisie et du Bangladesh font tout pour réduire ces flux humains illégaux, mais la politique migratoire de la Malaisie aidant, le travailleur voulant à tout prix aller en Malaisie empruntera encore ces filières alternatives. Au Bangladesh, le gouvernement diffuse des publicités à la télévision mettant en garde contre ce trafic d’humains et propose à la place de ces « agents » de faire appel au service gouvernemental, qui permet pour 400 dollars de postuler pour émigrer légalement en Malaisie. De son côté, le gouvernement malaisien a interdit le « visa on arrival » pour les étudiants, les obligeant à remplir les démarches administratives dans leur pays d’accueil afin de réduire ce filon estudiantin d’accès au territoire. Mais pour beaucoup, son implication n’est que mineure par rapport face à l’ampleur du trafic.

Le gouvernement malaisien pointé du doigt par les ONG

En juin 2013, le Département d’État des États-Unis a publié son Rapport annuel des trafics humains, lequel place la Malaisie au deuxième niveau, à savoir celui « des gouvernements qui ne remplissent pas les conditions du TPVA (Trafficking Victims Protection Act) mais qui font des efforts pour s’aligner sur les standards internationaux. ». Pour Teraganita, association de défense des droits des femmes en Malaisie, le gouvernement ne fait aucun effort pour s’adapter à ces standards. L’ONG reprend le rapport de l’ONU, qui précise que sur 97 affaires de trafics d’humains découvertes en 2011, seulement 16 ont été amenées devant le tribunal.

Et la représentante de l’association de conclure, « qu’a le ministère de l’Intérieur à cacher en relation avec ces trafics d’humains, qui le ministre protège-t-il ? ». Le débat est ouvert, mais ce qui est sûr, c’est que ce sont près de 40 Bangladeshis qui se présentent chaque jour à l’ambassade de leur pays afin de demander un billet de retour vers leur pays d’origine.

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