Crédit Photo -- REUTERS/Samsul Said
Le 8 février 2013, Yazid Sufaat, son collègue Muhammad Hilmi et son épouse Halima Hussein sont arrêtés. Les deux hommes, employés dans une cafeteria, âgés de 33 et 49 ans, sont accusés d’être membres du groupe terroriste Tanzim al-Qaeda Malaysia et d’avoir participé à leurs activités entre août et février dernier. Tandis que Yazid Sufaat est accusé de promouvoir le terrorisme en Syrie à partir de Kuala Lumpur, Muhammad Hilmi et sa compagne sont suspectés, pour leur part, de l’y avoir encouragé.
En 2001, Yazid Sufaat avait déjà été arrêté et condamné à sept ans de prison au titre de la loi ISA sur la sécurité intérieure, sur la simple suspicion de participer aux activités du groupe terroriste Jemaah Islamiyah, impliqué dans de nombreux attentats en Asie du Sud-Est, notamment celui de Bali en 2002. Il fut libéré en 2008.
Le 20 mai dernier, la Haute Cour qui statuait en appel avait cassé le jugement de condamnation et prononcé l’acquittement des prévenus, le juge Kamardin Hashim ayant soulevé en leur faveur une interprétation erronée des dispositions pénales aux motifs desquelles ces derniers avaient été condamnés en première instance. En effet, il s’avère que la loi invoquée par le juge de premier ressort, à savoir la loi de sécurité spéciale dite loi Sosma, ne saurait être applicable en l’espèce en ce qu’elle relève du régime de l’article 149 de la Constitution qui ne dispose que des actes terroristes perpétrés sur le territoire national et non à l’étranger.
Une semaine plus tard, les deux hommes furent à nouveau arrêtés, non plus en application de la loi SOSMA, mais conformément aux dispositions prévues par le Code pénal, les accusés encourant alors une peine de prison à vie. Le 7 juin, la cour basse d’Ampang transmet le dossier de Yazid Sufaat et Muhammad Hilmi à la Haute cour de Kuala Lumpur. Dix jours plus tard, la Cour d’appel, à laquelle avait été transmis le dossier des deux accusés, ordonne que le dossier judiciaire de Yazid Suffat soit entendu devant un nouveau juge de la Haute Cour.
Le jury, conduit par le juge Abu Samah Nordin autorise alors l’engagement d’une procédure d’appel contre la décision de la Haute Cour de Kuala Lumpur d’acquitter Yazid Sufaat et Mujammad Hilmi Hasim. Selon le juge Abu Samah, le juge de la Haute Cour aurait mal interprété les accusations et négligé les actes terroristes perpétrés à l’extérieur du pays, qui relève de l’article 149 de la Constitution : selon lui, les menaces à l’encontre de la sécurité nationale peuvent autant venir de l’intérieur que de l’extérieur. Le jury a donc renvoyé le dossier à la Haute Cour de Kuala Lumpur et fixé la prochaine audience au 24 juin. Néanmoins, le procès, qui devait donc avoir lieu lundi dernier, a été reporté au 17 septembre par le juge Kamardin Hashim à la demande de l’avocat New Sin Yew représentant les accusés, dans l’attente du résultat de l’appel formé contre la décision de la Cour d’appel.
En 2001, Yazid Sufaat avait déjà été arrêté et condamné à sept ans de prison au titre de la loi ISA sur la sécurité intérieure, sur la simple suspicion de participer aux activités du groupe terroriste Jemaah Islamiyah, impliqué dans de nombreux attentats en Asie du Sud-Est, notamment celui de Bali en 2002. Il fut libéré en 2008.
Le 20 mai dernier, la Haute Cour qui statuait en appel avait cassé le jugement de condamnation et prononcé l’acquittement des prévenus, le juge Kamardin Hashim ayant soulevé en leur faveur une interprétation erronée des dispositions pénales aux motifs desquelles ces derniers avaient été condamnés en première instance. En effet, il s’avère que la loi invoquée par le juge de premier ressort, à savoir la loi de sécurité spéciale dite loi Sosma, ne saurait être applicable en l’espèce en ce qu’elle relève du régime de l’article 149 de la Constitution qui ne dispose que des actes terroristes perpétrés sur le territoire national et non à l’étranger.
Une semaine plus tard, les deux hommes furent à nouveau arrêtés, non plus en application de la loi SOSMA, mais conformément aux dispositions prévues par le Code pénal, les accusés encourant alors une peine de prison à vie. Le 7 juin, la cour basse d’Ampang transmet le dossier de Yazid Sufaat et Muhammad Hilmi à la Haute cour de Kuala Lumpur. Dix jours plus tard, la Cour d’appel, à laquelle avait été transmis le dossier des deux accusés, ordonne que le dossier judiciaire de Yazid Suffat soit entendu devant un nouveau juge de la Haute Cour.
Le jury, conduit par le juge Abu Samah Nordin autorise alors l’engagement d’une procédure d’appel contre la décision de la Haute Cour de Kuala Lumpur d’acquitter Yazid Sufaat et Mujammad Hilmi Hasim. Selon le juge Abu Samah, le juge de la Haute Cour aurait mal interprété les accusations et négligé les actes terroristes perpétrés à l’extérieur du pays, qui relève de l’article 149 de la Constitution : selon lui, les menaces à l’encontre de la sécurité nationale peuvent autant venir de l’intérieur que de l’extérieur. Le jury a donc renvoyé le dossier à la Haute Cour de Kuala Lumpur et fixé la prochaine audience au 24 juin. Néanmoins, le procès, qui devait donc avoir lieu lundi dernier, a été reporté au 17 septembre par le juge Kamardin Hashim à la demande de l’avocat New Sin Yew représentant les accusés, dans l’attente du résultat de l’appel formé contre la décision de la Cour d’appel.
Un lourd passé de lois liberticides
Si cette affaire mérite que l’on s’y attarde, c’est précisément parce qu’il s’agit là de la première application de la nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité promulguée en avril 2012. Tout en démontrant ses défaillances, elle révèle également la volonté du pouvoir judiciaire d’en limiter les déviances en faisant appel à des procédures moins discrétionnaires.
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La nouvelle loi Sosma remplace la loi sur la sécurité intérieure ISA, instaurée en 1960 afin de lutter, à l’origine, contre la rébellion communiste. Liberticide, cette loi ISA permettait de détenir des suspects pendant plusieurs années sans procès sur soupçon d’atteinte à la sécurité intérieure. Selon la section 8(1) de la loi, la détention ne pourrait pas excéder une période de deux ans, mais la section 8(2) contourne cette limite en autorisant le renouvellement de cette peine de deux ans à l’infini, extension pouvant être décidée à partir des mêmes accusations que l’arrêt d’origine ou à partir de nouvelles accusations.
Alors que la Malaisie est dirigée depuis son indépendance par la même coalition, plus de 11 000 personnes ont été victimes de cette loi, soupçonnées d’être des militants islamistes ou simplement des opposants. Si de nombreux leaders d’opposition ont dénoncé cette loi, tous se sont bien gardés de la remettre en question une fois intégrés dans le gouvernement, la loi ISA s’imposant inévitablement comme un instrument de contrôle et de surveillance redoutable.
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La nouvelle loi Sosma remplace la loi sur la sécurité intérieure ISA, instaurée en 1960 afin de lutter, à l’origine, contre la rébellion communiste. Liberticide, cette loi ISA permettait de détenir des suspects pendant plusieurs années sans procès sur soupçon d’atteinte à la sécurité intérieure. Selon la section 8(1) de la loi, la détention ne pourrait pas excéder une période de deux ans, mais la section 8(2) contourne cette limite en autorisant le renouvellement de cette peine de deux ans à l’infini, extension pouvant être décidée à partir des mêmes accusations que l’arrêt d’origine ou à partir de nouvelles accusations.
Alors que la Malaisie est dirigée depuis son indépendance par la même coalition, plus de 11 000 personnes ont été victimes de cette loi, soupçonnées d’être des militants islamistes ou simplement des opposants. Si de nombreux leaders d’opposition ont dénoncé cette loi, tous se sont bien gardés de la remettre en question une fois intégrés dans le gouvernement, la loi ISA s’imposant inévitablement comme un instrument de contrôle et de surveillance redoutable.
Une réforme à visée électoraliste
Or il y a presque deux ans, le Premier ministre de Malaisie Najib Razak annonça l’abolition de cette loi répressive de plus en plus dénoncée, événement présenté alors comme « le plus grand changement dans le système malais depuis l’indépendance en 1957 ». Le Premier ministre présenta cette abrogation comme un moyen « d’accueillir et de réaliser une démocratie mature et fonctionnelle ; de préserver l’ordre public ; de renforcer les libertés civiles et de maintenir l’harmonie sociale », manifestant une volonté ferme de concilier sécurité nationale et respect des libertés individuelles. La popularité du Premier ministre était alors en baisse, tandis que l’opposition gagnait du terrain et que les élections de 2013 approchaient. D’où la promesse de nouvelles lois sécuritaires selon lesquelles toute détention devait être motivée par une décision de justice. Cette volonté de réforme donna alors naissance à une nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité, la SOSMA.
Le changement de dénomination et l’assouplissement superficiel de la précédente loi sécuritaire ne font cependant pas illusion. Amnesty International n’hésite pas à qualifier ces lois de « répressives », et Isabelle Arradon, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique de l’organisation, ne mâche pas ses mots : « Yazid Sufaat et Mohd Hilmi Hasim sont détenus de manière arbitraire au titre d’une loi présentant de graves lacunes et ne respectant pas les normes internationales relatives aux droits humains ».
Il est vrai que, sous bien des aspects, la nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité bafoue les normes internationales. D’après la déclaration de Isabelle Arradon, « Cette première arrestation au titre de la loi sur les atteintes à la sécurité montre que les autorités malaisiennes ne font que remplacer un système oppressif par un autre. Les deux hommes doivent être libérés sur-le-champ, à moins qu’ils ne soient inculpés d’une infraction dûment reconnue par le droit international et traduits en justice. Les autorités malaisiennes ne doivent pas transiger sur les droits fondamentaux au nom de la sécurité. Elles doivent sans délai réviser ou abroger le nouveau texte de loi. »
Une nouvelle fois, Najib Razak et sa coalition semblent avoir manqué de courage politique. Au lieu de réellement revoir les termes de la conciliation entre préoccupations sécuritaires et protection des droits fondamentaux des citoyens malais, ils se seraient contentés de remplacer la loi ISA par des mesures cosmétiques et une loi similaire. Certes, la nouvelle loi sur l’atteinte à la sécurité garantit le droit à un procès équitable et au recours en appel. Certes, la nouvelle loi réduit la période de détention initiale à 28 jours, période après laquelle un avocat général décide de la poursuite ou non des accusations. Certes, la nouvelle loi prévoit l’accès immédiat à un avocat choisi par le suspect. Il n’en demeure pas moins qu’elle permet à la police de placer des suspects en garde à vue pendant 48 heures au secret, ce qui n’est pas sans augmenter le risque de torture, mais également de les maintenir en détention pour une durée pouvant atteindre 28 jours, sans qu’ils soient traduits devant un tribunal. En outre, en dépit de l’autorisation par la loi d’avoir accès à un avocat après 48 heures, cet accès peut être reporté durant 48 heures si un officier de police juge cela plus prudent, comme le fit la police malaise à Muhammad Hilmi pendant plus d’une semaine après son arrestation.
Le changement de dénomination et l’assouplissement superficiel de la précédente loi sécuritaire ne font cependant pas illusion. Amnesty International n’hésite pas à qualifier ces lois de « répressives », et Isabelle Arradon, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique de l’organisation, ne mâche pas ses mots : « Yazid Sufaat et Mohd Hilmi Hasim sont détenus de manière arbitraire au titre d’une loi présentant de graves lacunes et ne respectant pas les normes internationales relatives aux droits humains ».
Il est vrai que, sous bien des aspects, la nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité bafoue les normes internationales. D’après la déclaration de Isabelle Arradon, « Cette première arrestation au titre de la loi sur les atteintes à la sécurité montre que les autorités malaisiennes ne font que remplacer un système oppressif par un autre. Les deux hommes doivent être libérés sur-le-champ, à moins qu’ils ne soient inculpés d’une infraction dûment reconnue par le droit international et traduits en justice. Les autorités malaisiennes ne doivent pas transiger sur les droits fondamentaux au nom de la sécurité. Elles doivent sans délai réviser ou abroger le nouveau texte de loi. »
Une nouvelle fois, Najib Razak et sa coalition semblent avoir manqué de courage politique. Au lieu de réellement revoir les termes de la conciliation entre préoccupations sécuritaires et protection des droits fondamentaux des citoyens malais, ils se seraient contentés de remplacer la loi ISA par des mesures cosmétiques et une loi similaire. Certes, la nouvelle loi sur l’atteinte à la sécurité garantit le droit à un procès équitable et au recours en appel. Certes, la nouvelle loi réduit la période de détention initiale à 28 jours, période après laquelle un avocat général décide de la poursuite ou non des accusations. Certes, la nouvelle loi prévoit l’accès immédiat à un avocat choisi par le suspect. Il n’en demeure pas moins qu’elle permet à la police de placer des suspects en garde à vue pendant 48 heures au secret, ce qui n’est pas sans augmenter le risque de torture, mais également de les maintenir en détention pour une durée pouvant atteindre 28 jours, sans qu’ils soient traduits devant un tribunal. En outre, en dépit de l’autorisation par la loi d’avoir accès à un avocat après 48 heures, cet accès peut être reporté durant 48 heures si un officier de police juge cela plus prudent, comme le fit la police malaise à Muhammad Hilmi pendant plus d’une semaine après son arrestation.
Le durcissement des lois liberticides
Les termes employés dans la nouvelle loi n’augurent rien de bon eux non plus. La définition d’une atteinte à la sécurité est particulièrement vague : « un acte préjudiciable à la sécurité nationale et publique », ce qui laisse une large marge d’interprétation à l’exécutif. De plus, les amendements au Code pénal accompagnant le passage à la Sosma allongent sensiblement la liste des atteintes à la sécurité : ainsi, est considérée comme une atteinte à la sécurité nationale « toute activité préjudiciable à la démocratie parlementaire », faisant de la simple impression et de la distribution de documents s’opposant au gouvernement une atteinte à la sécurité du pays. La loi Sosma porte également atteinte à la protection individuelle des citoyens en concédant à la police et non au juge le pouvoir d’intercepter les communications, ou encore en gardant secrète l’identité des témoins d’une affaire, ce qui empêche tout examen contradictoire. Enfin, la nouvelle loi maintient la possibilité de maintenir indéfiniment un individu en détention sur simple soupçon en permettant la procédure d’appel puisque le suspect peut être détenu ou sous surveillance tant que les procédures d’appel se poursuivent.
Ainsi le cas de Yazid Sufaat et Muhammad Hilmi, en mettant en avant les risques liberticides de la nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité intérieure, soulève une question de taille : aujourd’hui, où en est le système judiciaire en Malaisie quant aux libertés individuelles ?
Les lois sécuritaires semblent remettre sérieusement en question le caractère démocratique du pays et la viabilité du pouvoir judiciaire, pouvoir qui apparaît à l’aune de ces défaillances bien faible, arbitraire et autoritaire. Entre vingt et quarante personnes seraient encore détenues sans jugement au titre de l’ancienne loi ISA en Malaisie. Or, si la coalition au pouvoir depuis 1957 a remporté les élections le 5 mai dernier, ce fut de justesse, et une réelle volonté de changement se fait aujourd’hui sentir au sein de la population malaise, notamment chez les jeunes qui réclament un système politique plus transparent. La population n’hésite plus à dénoncer certaines lois liberticides que le Premier ministre Najib Razak avait pourtant promis d’assouplir. Une réforme profonde des lois sécuritaires, et en premier lieu de la loi sur la sécurité intérieure, s’impose de plus en plus comme une priorité dans un pays désormais développé et à la conscience démocratique bel et bien éveillée.
Ainsi le cas de Yazid Sufaat et Muhammad Hilmi, en mettant en avant les risques liberticides de la nouvelle loi sur les atteintes à la sécurité intérieure, soulève une question de taille : aujourd’hui, où en est le système judiciaire en Malaisie quant aux libertés individuelles ?
Les lois sécuritaires semblent remettre sérieusement en question le caractère démocratique du pays et la viabilité du pouvoir judiciaire, pouvoir qui apparaît à l’aune de ces défaillances bien faible, arbitraire et autoritaire. Entre vingt et quarante personnes seraient encore détenues sans jugement au titre de l’ancienne loi ISA en Malaisie. Or, si la coalition au pouvoir depuis 1957 a remporté les élections le 5 mai dernier, ce fut de justesse, et une réelle volonté de changement se fait aujourd’hui sentir au sein de la population malaise, notamment chez les jeunes qui réclament un système politique plus transparent. La population n’hésite plus à dénoncer certaines lois liberticides que le Premier ministre Najib Razak avait pourtant promis d’assouplir. Une réforme profonde des lois sécuritaires, et en premier lieu de la loi sur la sécurité intérieure, s’impose de plus en plus comme une priorité dans un pays désormais développé et à la conscience démocratique bel et bien éveillée.