Malaisie : la défense des droits de l'Homme interdite

18 Février 2014



La politique des droits de l’Homme du gouvernement malaisien ne finit malheureusement pas de faire parler d’elle. Les autorités ont provoqué la consternation de la communauté internationale en interdisant la coalition Comango en Malaisie.


Datuk Seri Ahmad Zahid Hamidi, ministre de l'Intérieur | © AFP
Datuk Seri Ahmad Zahid Hamidi, ministre de l'Intérieur | © AFP
La coalition Comango est désormais interdite d'activité. Association composée d’organisations locales luttant pour les droits de l’Homme telles que Amnesty International, Sisters in Islam ou l’organisation pour les droits des migrants Tenaganita n'est plus la bienvenue en Malaisie. Le dernier rapport de Comango, rendu en mars 2013, concernait une multitude de domaines différents, de l’administration de la justice à la liberté de religion ou aux droits des migrants et des LGBT en Malaisie.

UNE COALITION « CONTRAIRE A L'ISLAM »

Lors de sa déclaration, le Secrétaire général au ministère de l’Intérieur a justifié cette interdiction en évoquant le caractère anti-islamique des organisations réunies dans cette association, qu’il accuse de promouvoir les droits sexuels contraires à l’Islam. Il a également motivé la décision du gouvernement par l’illégalité de la coalition : quatre des quinze organisations de Comango n’étaient en effet pas enregistrées en tant que telles, rendant ainsi l’association tout entière « illégale ». Or aucune de ces deux raisons évoquées ne semblent s’accorder avec la section 5 du Societies Act de 1966 qui régit le droit d’association en Malaisie.

Le ministère de l’Intérieur dénonce vivement les pressions de Comango pour l’instauration de droits aux minorités LGBT, alors que les autorités malaisiennes font face aux pressions de plus en plus fortes d'organisations musulmanes conservatrices réunies sous la coalition MuslimUPRo. Cette dernière accuse Comango de remettre en question la prééminence de l’islam en Malaisie et de répandre un enseignement « libéral » piloté par les puissances occidentales. A la tête de la coalition, l’organisation islamique Ikatan Muslimin Malaysia, qui a récemment lancé une campagne d’envergure nationale contre les recommandations faites par Comango à grand coups de pétitions et rassemblements. Sur les prospectus distribués devant les mosquées le vendredi, on pouvait lire des invocations à faire cesser les revendications de Comango, notamment pour la protection des LGBT, le retrait des privilèges malais ou encore le droit aux catholiques d’employer le mot allah.


STUPEUR CHEZ LES DéFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME

Tandis que le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme (HCDH) Ruper Colville s'empressait d'exprimer sa préoccupation concernant la décision du ministère de l'Intérieur malaisien, les organisations de Comango sont demeurées sous le choc. La coalition a qualifié l’interdiction de « tentative de distraction » pour détourner l'attention du public d’enjeux plus sérieux, alors que la Malaisie est en ce moment « secouée par une désunion nationale, une corruption endémique, une inégale distribution des richesses et un coût de vie en constante augmentation ». La coalition, accablée, souligne la radicalisation du gouvernement et met en avant la politique dangereuse qui consiste à « utiliser l’islam comme un outils politique afin de dissimuler les violations aux droits de l’Homme » et à « diaboliser ceux qui défendent (ces droits) ». Les organismes locaux de défense pour les droits de l’homme dénoncent eux aussi la tournure extrémiste et pro-musulmane prise par le gouvernement malaisien et une nouvelle fois démontrée par l’interdiction de Comango.

Hazel Galang-Folli, chercheur à Amnesty International en Malaisie réagit vivement sur le site de l’organisation et qualifie cette interdiction « d’attaque dérangeante envers les droits à la liberté d’expression et d’association » : « Ce mouvement signifie beaucoup moins un renforcement des conditions d’enregistrement que l’élimination d’une source d’irritation pour les autorités ». La chercheuse est univoque : « Qualifier des organisations pour les droits de l’homme d’illégales ne fait qu’allonger la liste déjà longue des violations des droits de l’Homme à laquelle les autorités malaisiennes devraient remédier, comme la revue périodique universelle des Nations Unies l’a encore mis en avant l’année dernière. »

REMISE EN QUESTION DES MéCANISMES INTERNATIONAUX

Instauré en 2006 par le Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies, l’Examen périodique universel (EPU) des Nations Unies a lieu tous les quatre ans et demi et vise à évaluer et à promouvoir les droits de l’Homme dans les pays membres. En octobre dernier, la Malaisie passait à son tour en commission, ce qui a conduit Comango à remettre son rapport, alors que la coalition subissait déjà des harcèlements de la part du gouvernement et d'organisations non-gouvernementales.

En 2009, lors de sa dernière évaluation, la Malaisie avait accepté de signer 62 des 103 recommandations établies par le groupe de travail EPU. Or, jusqu’à maintenant, le gouvernement ne semblait avoir aucun problème à travailler avec la coalition Comango, y compris concernant des sujets sensibles tels que la liberté de religion ou les droits des LGBT, qui ne concernent quant à eux que 4 des 163 recommandations.

DES BASES LéGISLATIVES FAIBLES, UN BARREAU ATTERRé

« Déclarer maintenant que Comango est hors la loi alors que le gouvernement malaisien a collaboré avec eux durant les cinq dernières années apparaît comme un acte de mauvaise foi », a ironisé Christopher Leong, président du Barreau malaisien, une association de juristes. L’association juridique a d’ailleurs vivement réagi, demandant aux autorités de retirer leur décision. Christopher Leong dénonce les dérives de cette interdiction, qui envoie implicitement le message à la population malaisienne que le gouvernement n’a « aucune intention de protéger ses droits à la liberté d’expression et d’association » : « Cette procédure purement formelle permet d’interdire ou de déclarer illégale toute organisation ou coalition d’organisations qui ne semblent pas promouvoir les mêmes vues que celles du gouvernement malaisien, ou celles dont la présence représente une menace pour sa continuité au pouvoir ».

Le Barreau malaisien met également en doute les bases législatives sur lesquelles a été prise l’interdiction de Comango. Selon l'association de juristes, il n’existe actuellement aucune législation sous le Societies Act de 1966 qui autorise le Secrétaire général du ministère de l’Intérieur à prendre une telle décision, qui doit au contraire être déclarée par le ministre de l’Intérieur lui-même. De plus, il n’est inscrit nulle part qu’une coalition a besoin d’être enregistrée. Le ministère de l’Intérieur n’aurait par ailleurs pas utilisé de données à jour, alors que les 15 organisations dénoncées comme illégales seraient en fait enregistrées sous le Societies Act.

En 2011, le précédent ministre de l’Intérieur Hishammuddin Hussein avait interdit similairement la coalition politique Bersih qui accusait le gouvernement de manipuler les élections. Cette décision avait été renversée par la Haute Cour de Kuala Lumpur qui l’avait jugée illégale et « teintée d’irrationalité ». Dans l'espoir d'un jugement similaire, Comango a lancé une procédure d’appel devant la Haut cour afin de casser la décision du gouvernement. Mardi dernier, le passage de la déclaration du Ministère de l'Intérieur mentionnant l'interdiction de la coalition a été enlevé du site, ce qui laisse espérer l'annulation définitive de l'interdiction.

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