Malaisie, entre patriotisme et entre-soi

11 Janvier 2014



Entre problèmes ethniques et discrimination, la Malaisie est tiraillée entre les différentes communautés qui exercent chacune un lobby sur la nation. Retour sur ce brassage forcé d’ethnies qui ne souhaitent pas s’entremêler.


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La Malaisie est une nation des plus complexes d’Asie du Sud-est par sa multiplicité d’ethnies et de religions. Les Malaisiens sont partagés entre malais, chinois, indiens et indigènes – pour ne citer que les ethnies importantes – ayant chacun leur propre religion : respectivement musulmans, tao-confusionnistes, hindous et animistes. Chacune de ces ethnies a son quartier, ses habitudes, sa langue. La formation d’un sentiment national semble donc à première vue compliquée en Malaisie. Retour sur cet entre soi si particulier.

Une multi-ethnicité qui pose problème

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne détient les Etats de la Malaisie péninsulaire, la presque-île de Singapour, et les États de Sabah et Sarawak (Bornéo). Dans le cadre du Commonwealth en 1957, un État fédéré malaisien voit le jour, et quelques années plus tard, en 1963, les États de Singapour, Sabah, et Sarawak se joignent à la fédération. Le futur est radieux pour la Malaisie, qui détient alors la richesse des ressources naturelles de Bornéo, le poids économique de Singapour, et toute la péninsule sous un même drapeau. L’éclaircie n’est malheureusement que de courte durée pour la nouvelle fédération indépendante, puisque dès 1965, Singapour proclame son indépendance.

Des troubles éclatent entre les communautés chinoise et malaise de Singapour, si bien que la cité-État est expulsée de la Malaisie sous la pression des Malais de la péninsule. Et l’histoire semble se répéter quelques années plus tard à Kuala Lumpur : en mai 1969, à la suite d’un bon score aux élections législatives, l’opposition soutenue par les Chinois malaisiens fête avec brio ce qui s’apparente à une petite victoire. Il n’en faut pas plus pour attiser la violence ethnique des Malais de l’UMNO – parti national – qui commencèrent alors à traquer les Chinois de la capitale. Près de 200 personnes furent tuées et presque autant de blessés. En guise de réponse, l’état d’urgence est décrété dans le pays. Il durera pendant deux ans, jusqu’en 1971.

Ces incidents de 1969 sont la raison invoquée par le gouvernement pour expliquer la politique pro-Malais qu’il met en place rapidement après, afin d’apaiser officiellement les tensions des Bumiputras. Ces « fils du sol » se voient en effet grands gagnants de la New Economic Policy mise en place en 1970, politique qui a pour but d’augmenter l’actionnariat malais tout en réduisant la participation des étrangers dans l’économie nationale. La Malaisie a donc vite choisi sa voie en mettant en avant la population malaise, au détriment des communautés chinoise et indienne, réduites à accepter la discrimination.

Un pays uni autour d’un idéal national

Aujourd’hui, la donne semble avoir changée. Dans la théorie en tout cas. Arrivé au pouvoir en 2009, le Premier ministre Datuk Tun Razak a lancé un projet politique de grande envergure qui allait à l’encontre de toutes ces politiques pro-malaises des dernières années. Nommée 1Malaysia, cette politique a pour but de développer le pays autour d’une « unité nationale et d’une tolérance ethnique ». Son logo est partout dans le pays, du simple chantier autoroutier aux publicités télévisuelles ; difficile de ne pas le voir, de ne pas en entendre parler.

Le pays veut montrer son unité, et évacuer cette idée reçue d’un pays divisé, et cela passe par le regroupement des ethnies autour de mêmes valeurs. Les communautés non-malaises n’ont pas caché leur joie à l’annonce de ce programme, et encore plus quand fut annoncée l’usage d’indicateurs clés de performance (ICP). Normalement utilisés dans le privé, ces ICP sont pour Najib Tun Razak la preuve de sa bonne foi et la vérification de la satisfaction des Malaisiens. Considérant tout cela, on pourrait facilement croire que la Malaisie est aujourd’hui devenue un pays uni autour de valeurs nationales et multi-ethniques.

Un pays divisé par un nationalisme ethnique

Mais il n’en est rien. Si 1Malaysia unit le pays officiellement, un fossé sépare encore les différentes ethnies du territoire malaisien. À en croire un sondage effectué par The Malaysian Insider en 2010, l’année de l’implémentation de 1Malaysia, les Bumiputras sont convaincus à 59 % que leurs avantages seront conservés dans le futur, alors que la moitié des non-Malais sont eux convaincus de l’objectif électoral d’une telle politique, et ne croient donc pas à l’égalité des ethnies. Par ailleurs seulement 40 % des Malais pensent que les Malaisiens devraient recevoir le même traitement au regard de leur religion et ethnie.

Et en effet, les inégalités sont conservées. Et ce n’est pas près de s’arrêter. L’exemple le plus probant – sans doute révélateur du futur malaisien – est celui des quotas universitaires. Si officiellement aucune distinction n’est effectuée entre les différentes ethnies, une étude a montré qu’en 2010, seulement 2 % des étudiants des universités publiques étaient Malaisiens indiens. Une broutille quand on sait que la communauté représente près de 10 % de la population malaisienne. Les cas particuliers sont légions, et il n’est aujourd’hui pas rare de trouver plus d’étudiants malaisiens chinois que malais dans les universités privées, alors que l’inverse s’observe naturellement dans les établissements publiques. On pourrait multiplier les exemples, de la réduction de 7 % sur l’achat de biens immobiliers à la présence obligatoire de 30 % de Malais dans chaque entreprise recensée à la Bourse de Kuala Lumpur.

Nous sommes en 2013, et la Malaisie a tant bien que mal déjà parcouru beaucoup de chemin depuis mai 1969. Il reste néanmoins de ce chemin beaucoup à accomplir, autant sur la tolérance religieuse qu’ethnique, autant sur l’acceptation que la nation malaisienne puisse être multi-ethnique que sur la définition d’une nation à proprement parler.

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