Ma vie avec Liberace : numéro de music-hall entre Douglas et Soderbergh

18 Septembre 2013



Lassé, Steven Soderbergh nous livre son ultime œuvre, mettant un terme à une carrière bien remplie. En présentant Ma vie avec Liberace, le cinéaste signe en plus de son plus beau film, le retour en grâce de Michael Douglas, rayonnant comme jamais.


Photo extraite du film
Photo extraite du film
Spielberg a eu tout faux, et la croisette avec lui. Le véritable couple de Cannes, qui méritait et de très loin la palme d’Or, n’est pas celui dirigé par Kechiche mais bien celui interprété Michael Douglas et Matt Damon. Le film testament de Soderbergh est remarquable mais trop peu remarqué. Le festival et la critique n’est pas le seul à avoir rejeté l’œuvre. Aucune boîte de production n’a voulu prendre le pari pourtant engagé par trois cinéastes de talent (Steven Soderbergh, Michael Douglas et Matt Damon) car jugé « trop gay » ou « trop audacieux », voire les deux (« vous imaginez, Gordon Gekko avoir une relation avec Jason Bourne ? » dixit Michael Douglas himself), préférant tomber dans la facilité des shows abrutissants mais rentables. La seule solution pour les producteurs s’est alors trouvé dans le financement proposé par la chaîne HBO (Les Sopranos, Boardwalk Empire, Game of Thrones,…), équivalent de notre chaîne crypté nationale, ayant pour unique condition la diffusion sur le territoire américain du film exclusivement sur HBO. Alors que le reste du monde découvre ce bijou visuel sur grand écran, les studios s’en mordent les doigts et c’est salutaire pour le bien du cinéma. Car Soderbergh nous livre quelque chose qui tient de l’exceptionnel, et qui aurait mérité une production digne de ce nom. Un vrai-faux biopic, qui trouve le parfait équilibre entre vie privée-vie public, sans tourner le personnage en caricature, ce qui est très fort quand on connaît Liberace.

Walter Liberace était un pianiste excentrique, roi des frous-frous et des strass autrichienne, entre le kitch et le bling bling des fifties, qui sévit à Las Vegas, des années 50 à la fin des années 80. Ceux qui ne connaîtraient pas le personnage ne perceraient pas l’importance de ce film. Liberace, « Lee » pour les intimes, a été le premier musicien à obtenir un show télévisuel à son nom. C’est lui qui, par ailleurs, fut le premier à avoir joué avec la caméra, et à l’avoir regardé droit dans les yeux. Elton John, Madonna, Lady Gaga, ou même Elvis Presley ont avoué s’être inspirés de Lee. Et si de nos jours son homosexualité est connue et reconnue, surtout depuis sa mort dû au virus du SIDA, il faut savoir qu’à l’époque, la pianiste était un véritable sex-symbol pour toute une génération, et que ses orientations sexuelles pouvaient être un obstacle à son succès.

C’est donc en voulant jouer sur sa double vie, que Soderbergh nous livre ce qu’il y a de plus intime et de plus intéressant dans ce personnage, le point d’orgue étant sa relation avec Scott Thorson, « son amant, son ami, son fils, son frère ». Scott fut l’amour de sa vie, bien que cette relation soit restée cachée bien trop longtemps par une famille soucieuse de l’image de l’artiste défunt. Un an après sa disparition, Scott publiera « Behind the Candelabra : My life with Liberace », qui servira de base pour le scénario du film homonyme. Et c’est ici même que réside le coup de génie des scénaristes. En créant un savant mélange de l’ouvrage de Scott et ces autobiographies, Sodebergh dévoile au monde entier la véritable identité de ce monstre artistique, pour le plaisir de nos yeux et de nos oreilles.

Une piscine en forme de piano, un jacuzzi en or toujours accompagné de champagne, les multiples décorations en zèbre-léopard, les fauteuils napoléons, des bagues larges comme une balle de golf à ne plus savoir quoi faire, sans parler du fameux manteau de renard blanc de 5 mètres de long. Le voilà, l’univers si clinquant de ce pianiste qui est prêt à passer sur le corbillard autant de fois que possible pour garder son image de bel étalon. Tout est dans l’exagération, l’excentrisme, mais étrangement, avec une certaine sobriété dans ses rapports avec Scott. Alternant tyran démoniaque, génie simple, et juste un être aimé et aimant, le personnage de Liberace est l’un des plus complexe de la filmographie de Michael Douglas. Peu étonnant que le doute fut longtemps le compagnon de fortune de Michael pendant sa préparation. Surtout qu’adolescent, il le rencontra (Liberace était un voisin de son père, le grand Kirk) et que cette rencontre l’a longtemps marqué.

Photo extraite du film
Photo extraite du film
Bien que l’on connaisse le talent de ce virtuose cinématographique, sa prestation impressionne par bien des égards. N’oublions pas qu’il se remet doucement de son cancer, que son fils est en prison depuis 2010 pour trafic de drogue, que sa femme vient d’être déclaré bipolaire, et qu’il n’avait pas joué depuis Wall Street en 2010. La deuxième résurrection (la première datant de Basic Instinct) du plus beau phoenix hollywoodien est une exception du genre et impose le respect. Á 68 ans, le pari d’incarner cette « grande folle » pour signer son grand retour est d’un courage remarquable, d’autant plus que la qualité de son jeu est hallucinante. La quintessence du cinéma se retrouve dans ce Liberace, si touchant, si beau, si grand. Sans jamais tomber dans la caricature, le jeu de Douglas est parfaitement juste et réussit à rendre viable un personnage unique en son genre. De ces petites mimiques, au timbre doux et aigu de sa voix, personne n’aurait pu mieux interpréter ce magicien du magic-hall. Il ne faudrait pas oublier l’autre pierre angulaire, Scott Thorson, joué par Matt Damon.

Car si le pari était difficile pour Michael Douglas, il l’était d’autant plus pour celui que l’on a vu il y a moins d’un mois dans un film bourré de testostérone comme on en voit pondre de plus en plus, Elysium. Casser son image est une chose, réussir à en faire une interprétation magistrale en est une autre. Matt Damon crève littéralement l’écran. Il est impossible de déterminer lequel des deux livre la meilleure interprétation et là n’est pas le but tant la complicité entre les deux acteurs est magique. La retranscription des tensions si palpables au sein de ce couple secret (avec 45 ans d’écart !), tient du miracle. On notera les crises d’hystérie de Matt Damon dans des scènes d’une intensité rare, mais surtout la mort de Liberace. Lors de la conférence de presse à Cannes, les larmes de Douglas qui coulaient tendrement sur ses joues de sexagénaire, concernant cette scène où la maladie a détruit le maestro, ont touché l’intégralité de la Croisette. Car c’est plus que symbolique, pour celui qui a réussit à vaincre son cancer qui le tuait à petit feu. Et on tient peut être la clé de la beauté de son jeu.

Mais surtout, Soderbergh réussit à exploiter jusqu’à la dernière miette ces jeux, avec une mise en scène et une photographie que l’on n’avait pas vues chez lui depuis Sexe, Mensonges et Vidéos. Si sa filmographie est bien hétéroclite et complètement inégale par moment, personne ne peut nier le talent qui réside chez lui et qui ressort dans quelques pépites. Ma vie avec Liberace constitue la plus belle de ses pépites par ailleurs. Et merci. Merci Steven de ne pas avoir quitté la scène sans ce chef d’œuvre ultime, sorte de réponse à son premier. Merci d’avoir fait comprendre aux studios hollywoodiens que l’audace n’est pas synonyme d’échec. Merci d’avoir permis à des acteurs si reconnus de dépasser leur propre limite. Merci d’avoir ressuscité Michael Douglas. Merci de faire connaître au monde le grand Walter Liberace. Merci Mr Soderbergh.

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Arthur Cios
Étudiant à Sciences-Po Paris, 2ème année. Cinéphile averti depuis 1993. En savoir plus sur cet auteur