Lutte contre le racisme en Suède : polémique autour de Timbuktu

Élodie Pradet, correspondante à Stockholm
9 Décembre 2013



Le 27 novembre, le duo notamment formé par le rappeur Timbuktu, choque avec une formule coup de poing contre Jimmie Åkesson, chef du parti des démocrates suédois et membre du Parlement. Le débat s'enflamme, Timbuktu étant invité le 4 décembre au Parlement pour recevoir un prix pour sa lutte contre le racisme. Décryptage d'une Suède politiquement correcte.


Jason Diakité dit Timbuktu | DR
Jason Diakité dit Timbuktu | DR
Avec le titre « Svarta Duvor & Vissna » (Colombes noires et lys fannés, ndlr), le duo signé par Timbuktu et le groupe de rap Kartellen n'y va pas de main morte avec la Suède et ses politiques. Tout le monde y passe : le Premier ministre Reinfeldt est « une mascotte », le ministre des Affaires étrangères Carl Bildt « un vrai tueur », le ministre des Finances écrase les gens tels des mégots dans son cendrier (Folket blev till fimparna i Anders Borgs askkopp, ndlr) et pour parler de l'extrême droite, le texte conclut « Ils ont saisi leur chance mais le racisme est le résultat de l'ignorance ».

Quant au cliché d'un pays modèle, il est balayé : « Les vieux ne sont pas libres et les jeunes n'ont aucun futur, oui ils te prennent et te renvoient à la maison dès que tu as vécu toute ta vie ici ». Il est question ici d'un sujet phare de l'actualité suédoise : l'immigration, entre un accueil généreux des immigrés et une intégration qui peine à réussir. L'aide sociale est dite « labourée par un tracteur ».

Le Parti des démocrates suédois a longtemps été considéré comme un parti avec une seule motivation : inverser la courbe de l'immigration. Un tel morceau de rap en Suède fait mouche et percute une société qui se veut politiquement correct. Le conformisme a rapidement divisé un tel débat entre ceux qui aiment la chanson pour montrer leur désaccord avec l’extrême droite, et ceux qui ne l’aiment pas, ce qui est interprété comme un attachement à l’extrême droite.

Timbuktu, lutte contre le racisme et violence de langage

Jason Diakité, aussi connu sous le nom de Timbuktu, avait été nommé l'an dernier lauréat d'un Prix de lutte contre le racisme décerné par l'association anti-xénophobie 5i12. Un an plus, ce 4 décembre, il était alors invité un an plus tard à recevoir son prix au Parlement suédois. Seulement, sortir son morceau en duo quelques jours avant l'a mené au pire des crimes : celui d'avoir étalé sur la place publique ses ressentiments contre les dérives de la société suédoise dans une chanson. Lutte contre le racisme et violence du langage ne font pas bon ménage. De plus, Sebbe Staxx, le rappeur de Kartellen, a déjà été reconnu coupable pour avoir menacé illégalement Jimmie Åkesson.

En début de semaine passée, les démocrates suédois ont alors conseillé aux membres du Parlement de rester éloignés de cette cérémonie. Le porte-parole du Parlement, Per Westerberg, a boycotté cette séance du 4 décembre déclarant au Svenska Dagbladet :  « En tant que porte-parole, j'évite toutes les cérémonies qui peuvent être sujettes à controverses ». Le secrétaire du Parti des Verts (Miljöpartiet, ndlr), avec qui Jason Diakité a lutté contre le racisme, a déclaré que leur collaboration était désormais terminée.

« J'ai toujours pris mes distances avec la violence. A la place, j'utilise la musique pour donner mon opinion. Je ne suis pas de ceux qui se baladent en ville avec des barres de fer », a répondu Timbuktu sur Twitter dès le 28 novembre. En utilisant un champ lexical fort tel que  « les mettre dans le coma », « tuyaux de fer », « agression », « menace », « soldats », les deux rappeurs montent en intensité pour finir sur la formule coup de poing :  « Couvrir Jimmie de bleus » (Dunka jimmie gul & blå, hissa i en flaggstång, ndlr), en référence donc à Jimmie Åkesson. A savoir que la formule  « dunka gul & blå » est équivalente à notre expression « couvrir de bleus », mais  « gul & blå » signifie également jaune et bleu, soit les couleurs du drapeau suédois. Quelques lignes plus loin, le texte est assumé pleinement : « Putain oui, je suis controversé, mec ».

Le but précis du texte est bien politique et la conclusion radicalement réaliste arrive : « Ils veulent construire un pays sur de la haine, de l'ignorance et la peur, et bien non merci, ça ira, nous avons besoin d'amour pour chaque homme, donc en 2014 nous verrons de quoi notre pays est fait, et j'espère que je vais avoir l'occasion de voir les racistes disparaître, et que le fascisme s'évanouira, puisque le coeur se trouve à gauche, alors considérez vers quel côté vous voulez diriger ce pays ».

Pour appuyer sa lutte contre le racisme, Timbuktu s'est présenté le 4 décembre à la cérémonie de remise du prix avec son passeport suédois, expliquant que c'était le seul papier qui lui permettait de montrer qu'il n'était pas étranger en Suède. Après avoir listé ce que lui devait la Suède – une société méritocratique et tolérante – il a ajouté : « Mais en échange, je te donne ma vie la Suède [...] mon ingéniosité [...] ma capacité créatrice et mon énergie. Je vais aimer en Suède, je vais vivre en Suède et je vais mourir en Suède ».

Réactions autour du phénomène Timbuktu

Les critiques sont allées loin; une éditorialiste du journal des démocrates suédois, SD-kuriren, considère que laisser l'honneur à Timbuktu de chanter au concert pour la Paix du Prix Nobel ce 11 décembre prochain n'est pas acceptable puisque ce même Timbuktu « menace la vie de politiciens démocratiquement élus ».

Le secrétaire scandinave du comité du Prix Nobel a répondu que le comité n'exige pas que les artistes s'adaptent à certains idéaux moraux, tout en ajoutant  « ou alors il n'y aurait plus aucun concert ». Le chef musical de la radio publique Sveriges Radio, politiquement impartiale dans la loi, a décidé de faire passer le titre mais de le commenter également, « plutôt que de le jouer dans un écoulement de musique non-commentées ».

L'organisation anti-racisme 5i12 justifie le prix décerné à Timbuktu en expliquant qu'il a « montré comment vous pouvez, à la fois dans les mots et dans la mélodie, combiner un art important avec un engagement personnel pour des questions de société essentielles ».

Sebbe Stax s'est exprimé lui aussi sur la polémique : « Si j'y étais allé et que je les avais attaqués avec une tige de métal, cela aurait été une chose, mais ce que je fais est métaphorique et je réponds à la politique de menace » a-t-il déclaré à la chaîne suédoise de télévision SVT. Et Timbuktu de conclure :  « A mes yeux, Jimmie est celui qui exerce la violence psychologique sur ce qui est bleu et jaune, autrement dit le pays, les gens ».

En novembre 2013, les sondages d'opinion annoncent presque 12% d'intentions de vote pour le parti d'extrême-droite les démocrates suédois. A l'aurée d'une élection prévue pour septembre 2014, le climat sociétal semble déjà tendu.

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