Londres privée de métro, la grève à l'anglaise

8 Février 2014



La circulation du métro londonien est perturbée depuis deux jours par la grève du personnel. En cause, la fermeture des guichets dans toutes les stations en 2015, synonyme de suppressions de postes. Retour sur l'immobilisation de la capitale anglaise.


© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
La grève du métro menée par Bob Crow est honteuse », déclarait David Cameron, il y a quelques jours. Nul doute que le secrétaire général du RMT, syndicat des travailleurs dans les transports ferroviaires et maritimes, ne sera pas plus enclin à céder suite aux dénonciations répétées de l'illégitimité de la grève par les autorités. Pourtant, après deux journées de mobilisation, Transport for London (TFL) refuse de flancher et confirme la fermeture des guichets de vente de tickets d'ici un an.

Annoncée en novembre 2013, la suppression des guichets fait partie d'un plan global de modernisation du tube. À terme, le réseau se verrait doté de plus de trains et d'un service ininterrompu durant les week-ends, mais aussi de plus de technologies. Au-delà du wi-fi disponible dans davantage de stations ou des alertes trafic Twitter, l'innovation majeure est le passage à un système de paiement sans contact. Pour renouveler son Oyster Card ou acheter un carnet de tickets, il ne faudra à l'avenir se munir que de sa carte bancaire. On comprend dès lors la volonté de TFL de se débarrasser des guichets pour transférer plus d'agents sur les quais.

Pourtant, s'agit-il d'une simple réorganisation ? Pas vraiment, puisque la direction de TFL a annoncé dans la foulée vouloir réduire ses effectifs de 950 postes. La diminution du financement étatique est invoquée : l'entreprise fait face à une coupe budgétaire de 78 millions de livres (94 millions d'euros) pour 2013 et 2014. La suppression de postes lui permettrait d'en économiser 50 millions de livres (60 millions d'euros). Certains ont pris les devants, puisque 450 lettres de départs volontaires ont déjà été reçues. Les autres ont choisi de protester en participant aux premières 48 heures de grève planifiées. L'un des syndicats participant au mouvement, l'Association du Personnel Salarié des Transports (TSSA), a revendiqué un soutien de l'action par 58,8% de ses membres.

Cela n'a pas empêché Boris Johnson, maire de Londres, de dénoncer dans le Daily Telegraph la prise en otage des Londoniens et touristes. Il a d'ailleurs lancé un appel au gouvernement pour légiférer sur les conditions de vote de la grève, estimant que l'établissement d'un seuil minimum de participation des travailleurs concernés est nécessaire à sa validité. Depuis plusieurs jours, la tension entre les autorités et les syndicats grévistes n'a cessé de monter. Bob Crow a refusé de retirer la menace d'une grève sans contrepartie pour prolonger les discussions : « Nous sommes préparés à suspendre notre action si le maire est disposé à suspendre les suppressions d'emplois ».

Bien que chacun ait accepté de s'asseoir autour d'une même table durant quelques jours, les négociations n'ont donc rien donné. Les syndicats de travailleurs rappellent également au maire de Londres sa promesse faite lors de son élection en 2008, et réitérée en 2010, de s'assurer que les postes de guichetiers soient maintenus dans chaque station. Les animosités ont été plus que visibles dans l'arène médiatique ces derniers jours. À coups de phrases assassines, Boris Johnson et Bob Crow se sont illustrés par leur défiance et entêtement lors d'une altercation radiophonique : le dernier, ne parvenant pas à rencontrer le maire, a appelé celui-ci durant son émission hebdomadaire sur LBC, pour l'interpeller sur les conséquences du plan de modernisation du métro.

Une capitale semi-paralysée

© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
Si les Français sont réputés pour leur capacité de mobilisation à travers manifestations et grèves, celle entamée mardi soir à Londres n'a pas à rougir ! La plupart des lignes de métro subissent des délais majeurs, et seules certaines stations sont desservies, avec pour conséquence la diminution drastique des possibilités d'interconnexions. Sur la Central ou la Picadilly, aucun train ne s'arrête dans le centre de Londres. Au total, 80 stations sont fermées sur l'ensemble de l'agglomération, sans compter celles n'étant desservies que par certaines lignes. TFL a beau avoir mis en circulation plus de 100 bus de supplémentaires, ceux-ci sont pris d'assaut. De nombreux habitants ont dû s'armer de patience en heure de pointe et laisser passer plusieurs bus surpeuplés avant de pouvoir monter dans l'un d'eux. Les effectifs du personnel ont été renforcés dans les gares pour aider les usagers perdus. Impossible néanmoins de discuter avec eux du mouvement de grève : aucun commentaire ne doit être fait, ordre de la direction.

Les grévistes ont tenu pour leur part des piquets de grève à la sortie de certaines stations. Christ, employé TFL depuis des années, a fièrement déployé sa banderole RMT en ce jeudi matin devant la station Embankment. Malgré l'inflexibilité des autorités, il reste déterminé, comme ses collègues : « Nous espérons que le maire et TFL retrouvent leur bon sens. […] Je perds plusieurs jours de paie, alors il faudra faire des concessions sur certaines choses, comme les vacances, mais nous ne sommes pas prêts de lâcher. Il y aura très certainement un prolongement de la grève. Les gens nous soutiennent dans l'ensemble ».

À la sortie des stations, la plupart des voyageurs sont compréhensifs, mais certains font tout de même part de leur agacement. Un travailleur rencontré à Whitechapel estime que les autorités auraient dû relancer les négociations et regrette l'impact négatif de la grève sur les travailleurs. Medina, qui a dû composer avec la fermeture des stations dont elle a besoin, souligne le côté contre-productif du mouvement : « Je peux comprendre leurs raisons, mais je ne pense pas que cela fera une grande différence. […] Les gens ont besoin de faire ces trajets : s'ils ne le peuvent pas, ils sont tout simplement irrités ».

Cette irritation risque d'ailleurs d'aller crescendo : de nouvelles journées d'action sont d'ores et déjà prévues du 11 au 14 février.

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Étudiante à SciencePo Paris obsédée par l'actu sociale. En savoir plus sur cet auteur