Libye, le défi démocratique

22 Mai 2013



La menace islamiste qui pèse sur la Libye se fait de plus en plus prégnante. Pour y faire face, le gouvernement de transition et la Communauté internationale doivent relever un nouveau défi : celui de la démocratie.


Libye, le défi démocratique
La démission du ministre de la défense suite à l’encerclement des ministères de la Justice et des Affaires étrangères et les attentats de Benghazi qui ont fait 15 morts démontrent parfaitement qu’après la chute du régime Kadhafi, la Libye vit une crise politique très complexe avec des conséquences sécuritaires dangereuses. Les raisons de cette crise politique libyenne sont nombreuses, mais résident principalement dans la présence des groupes islamistes armés, qui profitent de l’arsenal militaire acquis lors des combats contre l’ancien régime, et de la libre circulation des armes à travers les frontières libyennes pour accentuer leur puissance dans le pays.
 
Ces islamistes multiplient les actes de violence et d’insécurité pour protester contre toutes les actions qui vont à l’encontre de leur vision, plongeant par la même occasion le pays dans sa pire crise politique depuis plus de 40 ans. Devant cette situation, comment justifier cette crise politique en Libye ? La forte mobilisation des groupes islamistes armés montre que ces derniers s’efforcent d’accroitre leur hégémonie sur la politique libyenne en s’opposant aux autorités politiques en place. Cependant, la situation sécuritaire du pays ne permet nullement un tel accrochage. Au contraire, elle risque de produire des effets néfastes sur la stabilité de la Libye et la sécurité de la région qui reste très vulnérable.

Tentative d’hégémonie islamiste en Libye

Longtemps réprimés par le régime Kadhafi, les islamistes trouvent dans le désordre que connaît actuellement la Libye une opportunité pour se renforcer et s’imposer comme la puissance dominante du pays. Ils utilisent tous les moyens à leur disposition (y compris la pression des armes) pour confirmer leur statut. Les milices islamistes profitent en effet de l’absence d’une institution militaire formelle chargée de défendre la sécurité du pays. L’armée libyenne n’est pas encore opérationnelle, elle ne bénéficie que de faibles effectifs, entre 5 000 et 10 000 hommes dont une centaine ont été effectivement formés. Au contraire, les milices islamistes sont en croissance continue et comptent désormais plus de 100 000 combattants lourdement armés. 

Devant cette situation, les autorités libyennes ont établi une stratégie : intégrer les milices islamistes dans la police et l'armée libyennes, pour isoler les groupes islamistes radicaux. Mais cette tactique pourrait se révéler mauvaise, puisque ces groupes armés ont exploité cette confiance pour défendre leurs intérêts en fonction des agendas qui leur sont propres. En d’autres termes, les milices islamistes ont réussi à affaiblir la légitimité des institutions étatiques en s’infiltrant dans le tissu social de la Libye. Ces derniers agissent en tant que police en réprimant des protestations, ou en procédant à des arrestations arbitraires et par conséquent, ont renforcé leur puissance au niveau local en dépassant même parfois l’autorité de l’Etat. Aujourd’hui, ils n’hésitent plus à défier la politique du gouvernement libyen dont la composition est pourtant issue des élections libres et démocratiques. A croire Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty international,  « il est plus que décourageant de constater qu'après tant de mois, les autorités ont échoué de manière flagrante à briser la mainmise des milices sur la sécurité en Libye ». L’assassinat de l’ambassade américain à Tripoli, l’encerclement des ministères de la Justice et des Affaires étrangères et les attentats de Benghazi confirment parfaitement ce constat. 


Par ailleurs, l’hégémonie de milices armées n’est pas uniquement sécuritaire, mais s’accentue pour devenir une ingérence politique. En fait, ces groupes d’anciens révolutionnaires ont pu accentuer la pression sur les responsables libyens les amenant à adopter une loi qui bannit de la vie politique les acteurs sous Kadhafi. Plus grave encore, ces groupes armés augmentent le seuil de leurs demandes en exigeant aujourd’hui la démission du gouvernement en place, pourtant démocratiquement élu. Il ne fait aucun doute que l’objectif des islamistes demeure l’exercice du pouvoir en Libye, mais ce comportement ne sera pas sans incidence sur la situation sécuritaire et économique du pays.

Incidences sur le pays

La montée en puissance des islamistes en Libye demeure très problématique, notamment en matière sécuritaire. Le risque des violences internes est de plus en plus élevé, à tel point qu’on parle aujourd’hui « d’une iraquisation de la Libye ». La multiplication des groupes armés en Libye aux intérêts divergents augmente le risque d’une opposition directe et nourrit une possible guerre civile future, dans un pays où les trafics d’armes et de stupéfiants se développent considérablement.
 
Cette hypothèse ne semble pas relever de la fiction. Les attentats meurtriers comme celui de Benghazi se sont multipliés un peu partout dans le pays poussant certains pays occidentaux à retirer la majorité de leurs fonctionnaires diplomatiques agissant à Tripoli. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne considèrent que l’insécurité en Libye constitue une menace à la stabilité du pays et aussi de toute la région.
 
En outre, cette insécurité démontre, clairement la faiblesse de l’Etat et son incapacité à contrôler la sécurité de son territoire, ce qui pourrait s’aggraver davantage et réactualiser les intentions séparatistes des groupes armés lorsque le gouvernement va à l’encontre de leurs intérêts. Le spectre séparatiste plane toujours sur le pays puisque plusieurs groupes armés contrôlant des parcelles du territoire libyen ont déjà annoncé leur volonté d’autonomie. La région a notamment proclamé son autonomie, sous pression d’Ansar Charia, avant d’y renoncer. Dans le sud aussi, le chef des Toubous, lance régulièrement des menaces séparatistes pour exercer une pression sur le pouvoir central.

De ce fait, le risque d’implosion du pays est plus que jamais réel. Les autorités libyennes doivent impérativement reprendre le contrôle sur le territoire du pays afin de neutraliser cette déstabilisation qui menace non seulement la sécurité de la Libye, mais celle de toute la région. Le gouvernement de transition a une part de responsabilité dans sa mission de reconstruction des institutions du pays. Pour cela, la Communauté internationale doit faire preuve de la même détermination et d’une solidarité identique à celle démontrée durant la révolution contre le régime Kadhafi.
 
En réalité, il ne suffit pas uniquement de faire tomber un régime tyrannique, il faut plutôt relever le défi démocratique qui puisse garantir l’épanouissement et la prospérité du peuple libyen à long terme.

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Mehdi RAIS
Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre... En savoir plus sur cet auteur