À Beyrouth d'abord, une multitude de quartiers s'offrent à nous. À chaque quartier son ambiance, qu'elle soit plus folle, plus pudique, plus créatrice, ou plus commerçante. Le centre-ville est partagé entre un downtown commercial, qui comprend les souks, des grands magasins, le cinéma, la corniche, l'American University of Beirut, et un downtown politique, incluant le parlement, ainsi que la résidence et le lieu de réunion de l'équipe ministérielle. Beaucoup de ses magnifiques rues et arches sont vides à l'heure où je m'y rends. Il m'est difficile de savoir si c'est dû au Ramadan, ou si c'est également dû à la baisse de fréquentation des riches touristes (souvent en provenance du Golf) suite au conflit syrien. C'est aussi dans ces quartiers que l'on peut visiter des magnifiques mosquées, des tout aussi magnifiques églises, grecque-orthodoxes ou maronites, entre autres, ou encore croiser des ruines phéniciennes en cours de restauration. La présence militaire s'y fait particulièrement sentir. Près de la synagogue en rénovation, je me fait d'ailleurs héler par un militaire qui vérifie mes photos et me demande d'en supprimer certaines, probablement pour des raisons sécuritaires qui m'échappent alors.
Il faut s'enfoncer dans d'autres quartiers, plus populaires, pour avoir une idée de ce que représente le coeur de la vie libanaise. Hamra, quartier historiquement à majorité musulmane, est à la fois très populaire et très commerçant, foisonnant de petits cafés, de petites échoppes. Au sud d'Hamra, je tombe par inadvertance sur un musée d'Art contemporain situé dans une magnifique maison traditionnelle.
La rue d'Arménie, située à cheval sur les quartier de Geymmazeh et Mar Mickaël, est très animée le soir, et permet à la jeunesse libanaise de relâcher la pression à la fraîcheur (toute relative) de la nuit. Ici en soirée, les grosses voitures de luxe côtoient les vieilles voitures délabrées et la foultitude de taxis. On boit, on danse. Un point à noter d'ailleurs lorsqu'on est une fille, est que je me suis sentie extrêmement confortable au Liban : les hommes ne passent pas leur temps à vous héler dans la rue, même si vous êtes en robe courte et seule. D'ailleurs quasiment aucun ne l'a fait, et lorsque l'on vient d'une ville comme Lyon, cela peut agréablement surprendre.
Plusieurs autres quartiers méritent le détour. Achrafieh est un grand quartier, historiquement plus chrétien. De magnifiques et anciennes villas y sont devenues les icônes d'un monde qui inspire aujourd'hui la nostalgie. La plupart de ces villas, aux architectures somptueuses, tombent aujourd'hui en ruines et sont en passe d'être détruites pour construire de nouveaux logements.
Bourj Hammoud quant à lui est un quartier majoritairement arménien. La mémoire du génocide est partout, au travers de tags, d'affiches. Les restaurants nous offrent des plats typiquement arméniens, qui se dénotent par la touche fruité ajoutée à beaucoup de plats, en particulier à base de cerises. Bourj Hammoud, c'est aussi une concentration impressionnante de magasins de chaussures. C'est à croire qu'ils se sont spécialisés là-dedans. Pas la peine donc de se charger en sandalettes dans les bagages, il y a de quoi faire le plein. De plus, les commerçants libanais sont vraiment respectueux, et c'est agréable pour un touriste. Jamais (ou rarement) vous ne serez hélé pour vous faire entrer dans une boutique ou vous forcer à la consommation.
Tripoli, la mal-aimée
Mentionnée plus haut, Tripoli est une ville du Nord-Liban, où, malgré sa position et une population beaucoup moins internationale qu'à Beyrouth, on peut également se débrouiller en français. La ville est malheureusement aujourd'hui délaissée par les touristes, étrangers ou locaux. Avec une population majoritaire musulmane sunnite, Tripoli est devenue une destination prisée pour les réfugiés syriens fuyant le conflit. Elle l'est devenue aussi pour certains groupes qui espèrent y transférer certains enjeux et y jouer une partie de leur lutte politique. Lorsque j'aperçois les drapeaux du Front Al-Nosra, branche d'Al Qaïda en Syrie, sur un rond-point dans Tripoli, j'interroge mon guide, surprise qu'ils soient placés là bien en évidence, comme « officiels ». Pour toute réponse, j'aurai droit à « Des partisans les ont sûrement posé. Et à ton avis, qui se risquerait à aller les enlever ? ». La situation ne tient donc parfois qu'à un fil, lorsqu'enlever un drapeau relève d'un acte dangereux d'expression politique. L'ambassade de France déconseille de s'y rendre. Mais comme pour beaucoup d'endroits, il faut en juger sur place à Beyrouth, en discutant avec les locaux et en se tenant au courant des évolutions sur place.
Plus conservatrice, c'est un des rares endroits où il faut se montrer plus respectueux dans sa façon de s'habiller, et oublier les robes courtes à épaules dénudées, et les shorts pour les hommes. Les habitants semblent heureux de voir des touristes, et cela rend la visite des plus agréables. Tripoli, c'est une ville vivante, avec plusieurs mosquées, plusieurs églises, et des souks labyrinthiques. Sans notre guide, nous nous serions probablement perdus dans le dédale d'étals tous aussi colorés les uns que les autres. Un passage dans un vieux caravansérail nous permet de découvrir la dernière savonnerie artisanale de Tripoli, emblématique, à la manière du savon d'Alep ou de Naplouse, en Palestine. Un délicieux shawarma chicken dans un petit restaurant de la ville, et un dessert pris chez Sweets Bohsalino, permettront d'achever un petit voyage d'une journée à Tripoli. Les voyages entre les villes se font assez aisément par mini-bus-services, auxquels on paie la modique somme de 3000 ou 4000 livres libanaises, mais auxquels on confie parfois sa vie, au vu de la conduite qu'ils adoptent.
Merveilles naturelles
La géographie et la taille du Liban en font un pays pratique à visiter. Il est aisé de loger sur Beyrouth et quasi indispensable de s'échapper de la capitale pour des excursions journalières. Le district du Shouf, ses montagnes, ses palaces anciens et sa réserve naturelle de cèdres du Liban offrent une véritable bouffée d'air frais après l'air saturé de Beyrouth. Le cèdre est non seulement l'emblème du drapeau national, mais également un arbre majestueux et résistant. Il ne cède pas facilement, et c'est cette ténacité, et le fait que sa présence soit quasi exclusive au climat du Liban, qui a poussé les dessinateurs du drapeau à le choisir comme symbole.
Plus au Nord, à seulement 45 minutes de Beyrouth, se trouve une des fiertés géologiques nationales : la grotte de Jeïta (مغارة جعيتا). Cet ensemble de 2 grottes interconnectées a été choisi comme l'une des 28 finalistes pour faire partie des sept merveilles naturelles du monde. La grotte inférieure se visite en bateau et révèle une eau d'une clarté et d'une pureté impressionnante. La grotte supérieure, dont la plus grande chambre s'élève à une hauteur de 120 mètres, se visite par un sentier parcouru d'escaliers vertigineux qui grimpent le long des parois faites de stalactites et de stalagmites. Tout est fait pour préserver le paysage naturel, les photos sont interdites, et le prix peut en décourager quelques uns.
Batroun et Byblos, les deux sœurs touristiques du « Nord-Liban »
Restons dans le Nord du Liban, pour un détour par Batroun et Byblos. Byblos (Jbeil en arabe), à quarante kilomètres au Nord de Beyrouth, est un site archéologique témoignant d'une histoire qui remonte à 5000 avant J.-C. Elle est une des plus vieilles villes du monde continuellement habitée. Dès le IVème millénaire avant J.-C., Byblos est une cité-état Phénicienne et un centre commercial actif, traitant surtout avec l’Égypte antique avec laquelle elle exporte du bois du Liban. Ce rapprochement de l’Égypte a eu un effet durable sur l’art et la culture de Byblos, et elle devient un centre religieux important où l‘on pratique le culte d’Osiris. Elle se caractérise aujourd'hui par son antique port de pêche, son site romain et son festival estival de musique.
Les plages le long de la côte s'alignent et rallient Byblos à Batroun, une autre ville de charme qui vaut le détour, surtout pour son mur phénicien sur le front de mer, qui tient toujours le coup après plus de 4000 ans, résistant aux vagues et à l'érosion. Des vignobles se sont développés les dernières années dans la région, offrant ainsi des activités viticoles aux touristes beirutis.
Le Sud-Liban
Profitant d'autres escapades à la journée, je visite le Musée de la Résistance, situé à Mleeta, dans les montagnes au Sud-Liban. Une région historiquement marquée par la proximité avec la frontière israélienne et les nombreux conflits les impliquant. Nous partons de Beyrouth à cinq dans un taxi que nous partageons pour un prix très avantageux. Le passage dans la zone contrôlée par le Hezbollah se remarque aux panneaux et aux drapeaux qui flottent dès que l'on s'enfonce dans les montagnes, où la température est idéale pour un mois de juillet. Les drapeaux du mouvement Amal accompagnent ceux du Hezbollah, aujourd'hui alliés, hier concurrents dans leur représentation de la population d'obédience chiite. Nombre sont les musulmans à qui j'ai parlé qui regrettent le fait que des partis politiques jouent sur cette séparation entre sunnites et chiites. Arrivés au Musée de la Résistance, c'est une ambiance mémorielle et mystérieuse qui entoure le site. Ce musée retrace donc l'histoire de la lutte contre Israël, à la fois au cours de la guerre civile, mais également au cours de la guerre de 2006. Bien plus que commémorer la « résistance globale », le Hezbollah tire à lui la couverture de la gloire de la résistance, afin de s'assurer la légitimité politique et le soutien nécessaire pour défendre ses enjeux actuels, incluant son intervention poussée en Syrie aux côtés du régime Assad.
Autre ambiance, plus au Sud mais sur la côte, la ville de Tyr, ou Sour, en arabe. De belles plages de sables fins s'ouvrent enfin à nous, après une heure et demi de route depuis Beyrouth. Un vieux port phénicien jouxte un site olympique archéologique impressionnant, en proie cependant à une mauvaise gestion et aux herbes folles. Les rues et les plages sont désertes, contrastant avec le tumulte de la capitale, et rappelant avec un brin de tristesse que le tourisme au Liban est dans ses sombres jours.
Après trois semaines de découvertes, je ne peux que constater que plus j'en vois, moins j'en sais, et plus j'ai envie d'en voir. Le Liban ne laisse pas indifférent, et c'est avec une pointe de tristesse que je regarde son sol s'éloigner alors que je m'envole. Une chose est sûre : je retournerai trinquer sur ses terrasses, flâner dans ses ruelles et sillonner ses routes.