« J’avais la trentaine quand j’ai commencé à travailler et, à l’époque, il n’y avait aucun problème pour trouver du travail. Alors oui, je suis nostalgique de la vie d’avant ». Ce sont les premiers mots que prononce Helena Sikora quand on lui demande de comparer les deux ères historiques qu’elle a connues. Helena, 70 ans, habite à Sandomierz, un village à l’est de la Pologne. Pour elle, le temps du bloc communiste demeure l’âge d’or. « Les gens avaient tous un emploi. Pas forcément un emploi terrible, mais ils gagnaient assez pour se loger, se nourrir et payer les factures. Il n’y avait pas de travailleurs pauvres à l’époque ».
La tendance est à la nostalgie. Mais ce phénomène est loin d’être exclusivement polonais. Dans son article « Civilizational incompetence : the trap of post-communist societies », Piotr Sztompka, sociologue à l’Université Jagellon de Cracovie, affirme que « le communisme continue de hanter les sociétés post-communistes depuis sa tombe ».
Bien qu’étendue dans toute l’Europe de l’Est, la nostalgie ambiante concerne particulièrement les personnes âgées. Une étude du Pew Research Center (PRC) a comparé les opinions des jeunes générations vivant dans les pays de l'ex-bloc soviétique avec celles des plus anciennes générations. Il semblerait que les personnes âgées soient les plus nostalgiques du régime communiste.
L’étude du PRC, réalisée en 2010, cherche à comprendre les causes de ce retour en arrière. Elle montre finalement que les citoyens des anciennes républiques populaires ne comparent pas le régime communiste au régime démocratique, mais opposent la situation économique de l’époque au contexte actuel.
A la question « Pensez-vous que les gens soient plus pauvres, en termes économiques, aujourd’hui que sous le régime communiste ? », la génération des plus de 40 ans, tout pays confondu, répond oui massivement. En Slovaquie, alors que la génération des 18 - 39 ans a un avis partagé (seulement un point d’écart entre ceux qui pensent que la situation économique était mieux avant et ceux qui pensent qu’elle est mieux maintenant), la génération la plus âgée répond majoritairement que la population est désormais plus pauvre.
L’étude menée en 2011 par les sociologues canadiens Lilian Negura et Ovidiu Lungu, met elle-aussi en avant une corrélation entre âge et propension à regretter le passé communiste. Selon les données collectées auprès de populations moldaves, 75% des plus de 60 ans affirment éprouver de tels sentiments à l’égard du régime communiste.
Les personnes âgées sont d’autant plus inquiètes qu’elles doivent vivre avec une retraite très faible. Les gouvernements est-européens entreprennent depuis quelques années des réformes de systèmes de retraite, encourageant le recours au marché. En Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Pologne, Roumanie et Slovaquie, souscrire à un fond de pension est devenu obligatoire. Le démantèlement de l’Etat-providence a pour conséquence logique un retour sur le passé.
Un problème de valeurs
A la chute du mur de Berlin, très brusquement, les valeurs défendues par les économies occidentales ont été imposées aux populations de l’ancien bloc communiste. Les cultures d’Europe de l’est ont été déclarées obsolètes, amalgamées aux régimes totalitaires. Les personnes âgées, qui pour beaucoup n’avaient connu que cela, ont été les premières victimes de ce changement radical.
Helena raconte à ce propos qu’elle ne retrouve plus les valeurs d’entraide et de solidarité qui existaient auparavant. « Avant, la situation économique était à peu près la même pour tout le monde ; aujourd’hui, les gens sont jaloux les uns des autres, alors ils n’aident plus personne ».
Face à l’accélération forcenée des cycles économiques, les savoirs et les expériences acquis pendant de longues années sont rapidement inopérants. Les personnes âgées ont alors du mal à s’adapter, à trouver leur place. En pleine crise des dettes européennes, il semblerait que les limites du modèle économique occidental aient des conséquences plus psychologiques qu’on ne l’aurait imaginé.