Les prisons vénézuéliennes : sexe, drogues et reggaeton

Eliane Martinez
7 Juin 2013



Les pénitenciers vénézuéliens sont un paradis de violence dystopique où les autorités gardent l’extérieur des prisons afin d’empêcher les évasions. Mais à l’intérieur, les prisonniers jouissent d’un contrôle total sur les installations. La plupart des détenus possèdent des armes à feu, ou même de l'artillerie lourde. La vente de drogue est libre et autorisée. L’excès accompagne la vie des détenus.


Crédit Photo -- EFE
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« Pran » est un terme vénézuélien qui désigne les chefs de prisons qui détiennent d'importants pouvoirs, comme ceux d’influencer les décisions prises par les tribunaux, de décider des modifications de personnel de direction des prisons, de pouvoir contacter par téléphone le ministre de Service pénitentiaire et le ministre des Affaires intérieures et Justice. Il n'est pas rare que les « pran » contrôlent aussi l’argent obtenu de manière illégale dans la rue, des pactoles qu’ils utilisent pour maintenir le contrôle auprès des autorités à l’aide de pot-de-vin.

La prison qui illustre le mieux de cette singularité au Venezuela est celle de San Antonio à l’île de Margarita. Cette dernière accueille davantage d’individus inculpés pour trafic de drogues vers l’étranger, étant donné le positionnement stratégique des îles, dirigées vers le reste des Caraïbes et l’Amérique du Nord. À l’intérieur, la prison est contrôlée par le pran Téofilo Rodriguez, connu comme « el conejo » (le lapin).

À  San Antonio, El Conejo a fait du centre pénitencier un paradis hédoniste où sexe, drogues et reggaeton trouvent pleine liberté. L’emblème qui le caractérise est le symbole de Playboy - le célèbre profil du lapin - qu’on retrouve un peu partout sur les murs du pénitentier. El conejo jouit d’un tel pouvoir qu’il a construit des chambres privées, qu’il loue aux prisonniers qui veulent passer un moment intime en couple.

D’ailleurs, il n’est pas rare que les détenus qui sont armés bénéficient d’un certain degré d’autonomie dans les prisons vénézuéliennes. Le plus souvent, le trafic de drogue, les enlèvements, ainsi que les assassinats sont dirigés depuis l’intérieur des prisons. Ces activités sont rendues possibles par l'utilisation de mobiles Blackberry ou d'ordinateurs portables.

Parmi les installations de divertissement, qui sont offertes aux condamnés, on trouve une boulangerie, une cour pour les combats de coqs et une piscine avec des logos Playboy destinée aux petits qui viennent visiter leurs proches.

Cependant, c’est l’ouverture d’une discothèque au sein de San Antonio qui a soulevé le plus de controverses. Elle est appelée « El Yate Club » et peut accueillir jusqu'à 600 personnes. Elle possède un système sonore professionnel, des jeux de lumière ainsi que des spectacles de stripteases. Les prisonniers affirment que « la seule chose interdite dans cette prison est de sortir ».

Un modèle répandu partout dans le pays

La prison de Tocoron dans le département d’Aragua a inauguré en mai 2012. La « Disco Tokio » a vu le jour presque un an avant l’ouverture du célèbre « El Yate Club ». Cette prison dirigée par un jeune homme de 25 ans surnommé « El niño Guerrero » (le gosse guerrier), possède aussi une boulangerie, un parc pour les enfants, une cour de « bolas criollas » (jeux typiques au Venezuela), une piscine et beaucoup d’autres installations destinées à divertir les détenus. L’entretien du pénitentier est financé par les prisonniers : grâce à une collaboration comprise entre 10 et 50 bolivars par prisonnier chaque semaine, le pran « Nino Guerrero » mobilise une somme d’environ 2 millions de Bolivars.

San Antonio et Tocoron ne sont pas les seules prisons dans le pays qui ont implanté ce système de « réinsertion sociale » dans ses installations. On retrouve le même modèle dans la plupart des prisons du Venezuela, notamment dans les prisons d'El Rodeo II, de Tocuyito » et de Sabaneta. Dans beaucoup de prisons, on constate les mêmes politiques d’attribution de privilèges aux détenus.

Prisons d’un pays, reflet de la société

Chacune de ces prisons possède des spécificités, mais on retrouve dans l’ensemble des pénitentiers vénézuéliens, d’un côté, un modèle d’abus de pouvoir de la part de certains prisonniers et de l’autre côté un manque d’intérêt de la part des autorités du gouvernement pour s’attaquer à une grave crise pénitentiaire qui dure depuis une dizaine d’années. Selon l'Observatoire vénézuélien des Prisons, en 2012, 591 personnes sont mortes et 1 132 personnes ont été blessées. L’entassement est aussi un problème majeur de la crise, puisque la capacité totale des prisons est de 16 539 prisonniers alors qu’elles en accueillent en réalité 48 262.

Ce manque d’intérêt de la part des autorités n’est pas exclusif au système pénitentiaire puisque le Venezuela est devenu, ces dix dernières années, l’un des pays plus dangereux du monde. En 2012, il a été classé deuxième sur la liste des pays les plus dangereux après le Honduras, avec un taux de 56 assassinats violents par 100 000 d'habitants.

Il semble que la crise au sein des prisons ne soit que le reflet d’une culture de la violence et des gangsters qui existent depuis toujours dans le pays. Dans les prisons ou dans les bidonvilles, les individus sont contraints à une dynamique de survie basée sur la domination du plus fort, alors que le code moral de la société et le respect pour la vie se retrouvent de plus en plus dégradés.

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