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Accusé de prendre des décisions politiques contre les Frères Musulmans au nom de motifs légaux contestables (10 avril 2011 : dissolution de la constituante ; 14 juin 2011 : invalidation des législatives ; juin 2012 : inconstitutionnalité de la seconde constituante ; 26 juillet 2012 : accusation de Mohamed Morsi d’assassinat et de conspiration ; 24 mars 2014, condamnation à mort de 529 Frères Musulmans…), l’organe judiciaire du pays s’est montré favorable à l’armée, jusqu’à l’épauler et la soutenir dans ses revendications institutionnelles.
Par exemple, alors que le président par intérim a demandé au Ministère de la Justice l’ouverture d’une enquête sur « le carnage du 14 août » à l’encontre des Frères Musulmans (plusieurs centaines de morts), de façon subtile, l’enquête se refusera à remonter la chaine des responsabilités et se contentera de mener une «enquête judiciaire pour savoir qui a tué qui » (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/03/19/le-president-egyptien-demande-une-enquete-sur-le-carnage-du-14-aout_4386020_3212.html).
Les constituantes : contraste des deux Egypte
La constituante de 2012 est largement dominée par les islamistes (45% Frères Musulmans ; 25% Salafistes). Les libéraux se retirèrent du processus, et par une décision du 10 avril 2011, une cour administrative du Caire la déclara « non représentative » et la dissout. Le 14 juin de la même année, c’est la Haute Cour Constitutionnelle qui invalide un tiers des sièges parlementaires au motif qu’ils étaient réservés aux indépendants, et qu’ils ont été remportés par des affiliés aux Frères Musulmans. L’élection d’une seconde assemblée constituante amena des tractations pour arriver à des conclusions acceptées : sur les 100 membres, 6 seront des juges, 9 seront des professeurs de Droit, 1 pour l’armée, 1 pour la police, 1 pour le ministre de la Justice, 30 pour les syndicats, 5 pour les Sunnites, 4 pour les Coptes… et les décisions devront être prises à la majorité des deux tiers. On voit ici l’influence des concepts de séparation des pouvoirs, de constitutionalisme, et de protection des minorités, dans le but de freiner l’ardeur de l’ambition populaire risquant de devenir « dictature de la majorité ».
Concernant la constituante de 2014, alors que la précédente était élue (indirectement), la suivante, bicamérale, est nommée (directement). Le « comité des 50 » ne compte qu’un seul représentant des Frères Musulmans et un représentant Salafiste, et le « comité des Experts » ne comporte que 6 juges et 4 professeurs de Droit. Aucune divergence ne sera constatée entre les deux comités.
La place de la Sharia
La sharia comme source principale de la législation n’était pas présente dans la précédente constitution de 1971, mais y fut ajoutée par amendement dès 1980. En 2012, elle donne à L’Azhar, « organisme islamique indépendant et global » le devoir de donner des avis en la matière. L’interprétation de la Sharia doit être « acceptée par les écoles juridiques de la tradition du prophète (Madhhab) et l'ensemble de la communauté ». La « famille traditionnelle » est défendue. En 2014 elle supprime ces contre-pouvoirs et rend le Conseil Constitutionnel et le législateur compétents dans sa définition.
La constituante rajoute néanmoins de longues déclarations de principe sur la place de la femme, sans toutefois en préciser la portée. Malgré ces deux noyaux idéologiques, on remarque la capacité des Frères Musulmans, et c’est aussi vrai en Tunisie ou en Turquie, à faire des concessions. La constitution de 2012, en Egypte, prévoit ainsi, pêle-mêle : démocratie, citoyenneté, égalité, multipartisme, séparation des pouvoirs…
Un retour en arrière ?
Depuis l’arrivée au pouvoir de Sissi, la répression militaire, adoubée par la justice, se chiffre en milliers de morts chez les partisans du président déchu. Entre Moubarak et Sissi, pas grand-chose ne devrait a priori changer. Au niveau régional, Mohamed Morsi était principalement soutenu par la Turquie, le Qatar et les palestiniens. L’armée, elle, l’a été par l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et Israël. Alors que le maréchal Abdel Fattah Khalil al-Sissi se présente à la présidentielle, reste à voir quelle sera sa politique, et les conséquences que cela pourrait avoir sur le Moyen-Orient. La locomotive égyptienne étant à la Ligue Arabe ce que le duo franco-allemand est à l’Europe.
Alors que les partisans de Sissi parlent de « deux révolutions », renversement de Moubarak et renversement de Morsi, le peuple a appris une chose : la liberté a un prix. Chute du tourisme, insécurité en hausse, économie dévastée, investissement en chute libre, milliers de morts, état d’urgence… Aujourd’hui, les Egyptiens semblent fatigués de le payer. Le retour à la stabilité est réclamé, et le maréchal Sissi devrait être le prochain homme fort de l’Egypte, avec l’assentiment des masses.
Ce sont les jeunes qui ont fait chuter Moubarak au nom d’un mieux vivre individuel. Mais ce sont les islamistes qui ont gouverné, poussé par la majorité silencieuse. Et aujourd’hui, ce sont les jeunes qui en paient le prix. En Egypte, la politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux civils.