Bazar de Osh, Kirghizstan. Crédit Kares Le Roy
Kares Le Roy arrive au rendez-vous habillé en tenue de sport, survêtements sur le dos et tennis aux pieds. Il est à Bichkek depuis le 12 février pour se reposer quelques semaines. Une pause bien méritée étant donné le rythme haletant qu’a pris sa vie de photographe itinérant depuis ces dernières années. Sous sa longue barbe hirsute, c’est avec un sourire bienveillant qu’il nous conte son périple. La diction est martelée lorsqu’il évoque son parcours, et surtout l’assurance et l’enthousiasme de celui qui ne cherchait pas forcément mais qui a eu la chance de trouver, de se trouver.
Kares Le Roy est parti de Paris voilà presque un an pour un voyage à travers l’Asie, à la rencontre des peuples nomades. Il vit et se déplace dans son van, toujours sur la route, comme ceux qu’il suit. Nous le surprenons entre deux terrains, alors qu’il se prépare à repartir pour suivre l’installation de yourtes nomades près d’Issyk-Koul. Il vient de fêter à Bishkek ses 34 ans, et compte déjà une large collection d'oeuvres : des photographies, principalement des portraits, et deux courts métrages, des travaux consacrés aux différentes ethnies. Il s’efforce de montrer la beauté de la vie, des traditions, des costumes et des coutumes, des religions uniques et de leurs rituels associés.
Aujourd'hui, c'est un photographe confirmé, qui connaît un succès certain dans le milieu. Enivré par « un désir de découvrir de nouveaux pays, des gens, leur culture », Kares ne s'en lasse pas. « C’est pour moi extrêmement intéressant de contempler la beauté et la particularité de chaque pays ». Derrière lui, il laisse des milliers de kilomètres, des centaines de sourires et tout autant de clichés.
À la recherche des peuples nomades
Kares Le Roy, autodidacte, a débuté comme graphiste dans l'industrie de la musique et de la mode. Tout commence en 2001, un peu par hasard. Il a vingt ans, il est alors en voyage avec des amis entre l'Italie et la Grèce. L'un d'eux, photographe, l’initie à son art. Il apprend vite, en vient rapidement à maîtriser les bases et prend la décision de se lancer comme graphiste. Il travaille ensuite principalement pour des maisons de disque. Sa tâche consiste à créer des identités graphiques pour des artistes qui n’en ont pas encore.
Huit années s’écoulent ainsi. En juillet 2009, il décide de faire une pause et de s’orienter vers des recherches artistiques plus authentiques et surtout plus personnelles. Un premier voyage d’un mois en Asie du sud-est lui révèle le potentiel de cette région pour un futur terrain. Sans projet clairement défini, Kares Le Roy part en Indonésie avec un sac sur le dos, un appareil photo et deux objectifs. Un troisième aussi, pour découvrir des peuples méconnus, et surtout faire des portraits.
Un premier livre de portraits
Deux ans plus tard, 56 000 kilomètres plus loin, et enrichi de plusieurs milliers de portraits, Kares Le Roy revient. Il a parcouru entre autres l’Inde, le Tibet, la Mongolie, l'Asie centrale, l'Iran, l’Irak et la Turquie. Il a désormais un projet, et son œuvre parle pour lui. À partir des travaux réalisés sur ces différents terrains, il publie un livre « 56 000 kilomètres - un continent et des hommes » accompagné d’un film « 56 000 kilomètres au coeur de l'Asie », dont l’ambition est d’apporter un témoignage sur les peuples et les tribus oubliés d'Asie. Les clichés révèlent des lieux perdus d'Indonésie, d'Iran ou encore du Tadjikistan, des endroits qui semblent immuables, complètement déconnectés. Surtout, il donne à voir des femmes et des hommes dans leur vie quotidienne. Il s’efforce de saisir et de restituer l’identité de ses modèles.
C’est d’ailleurs ce terme d’identité que Kares Le Roy emploie pour définir sa démarche. Son travail de photographie et d’écriture est complété par l’acquisition d’objets et de vêtements appartenant aux tribus rencontrées. « Nous nous trouvons à la fin d’une certaine ère », regrette Kares. « La mondialisation fait que dans quelques années, beaucoup de ces peuples auront disparu. » Cette activité de collection vise à pouvoir comprendre, à laisser une trace de tout ce qu'il y a et de tout ce qui est fait par ces peuples. « Je veux être un témoin de la dernière façon de vivre de ceux qui sont en marge de la société moderne ».
La dimension ethnographique de la démarche de Kares est claire dans ses portraits des Bandaris. Tribus vivant dans le sud-est de l'Iran, ses membres portent des vêtements mêlant des éléments arabes, africains et indiens. Une fois mariées, les femmes bandaris revêtent des masques caractéristiques qui couvrent le haut du visage, dont très peu de clichés sont disponibles à ce jour. Les femmes qui les portent en sont fières, mais peu désireuses de se livrer à l’objectif.
Aussi difficile soit-il, le contact prime dans le travail de Kares. « Une photo de loin ne m’intéresse pas », sourit-il, en rangeant soigneusement un objectif dans sa sacoche. « Si la photo n’est pas un portrait serré, je n’ai pas ma photo. » Ce sont les personnes, les individus qui l’intéressent. Uniquement ceux-ci.
Mais le calibre d’un appareil professionnel, muni de son objectif, reste intimidant. S’immiscer avec, dans l’espace intime des personnes, demeure un défi que Kares connaît bien. Selon le jeune photographe, il est encore plus délicat dans certains pays d’Asie, tels que le Tibet, le Népal, ou le Kirghizstan. Peut-être « à cause de la grande timidité des gens » hasarde-t-il. Le plus difficile pour lui n’est pas de photographier des femmes, comme on l’avance souvent, mais « des hommes dans des situations ordinaires, sans poses, sans regards sévères dirigés vers l’objectif ».
Heureusement pour lui, les vrais refus sont rares. Le moment T de la photo demande patience et confiance. Il s’agit de presser le déclencheur au moment où les gens ne sont plus concentrés sur « qui fait quoi ». « Ils savent que je les prends en photo mais généralement ne posent pas », explique Kares.
Pour en arriver là, tout est affaire de séduction. « Un cliché peut être réalisé en une minute. Ou en dix jours, comme ce fut le cas pour le portrait de femme bandari. » Il lui a fallu se fondre dans le paysage, parcourir le panjshambe bazar, le marché du jeudi, à côté de la ville de Minab , rencontrer ses habitants, expliquer sa démarche, pour finalement trouver au bout de onze jours d’efforts une femme qui accepte de poser pour lui.
S’il ne repart de ses aventures qu’avec quelques clichés en poche, il garde en lui bien plus de souvenirs de ces longs moments passés avec les modèles.
Kares aime d’autant plus les visages déjà ridés. « J'aime photographier le naturel et le sans-façon des hommes âgés », confie-t-il. « Leurs visages, leurs yeux voient et savent beaucoup de choses, manifestent de l’enthousiasme ». C’est d’ailleurs une grand-mère népalaise que l’on retrouve en couverture de son livre, et qui l’a beaucoup inspiré pour son deuxième voyage en Asie.
Avant que son chemin n’aboutisse, Kares a encore des terrains à conquérir. Après la publication de son livre, là où d’autres s’en seraient retournés « pleins d’usage et raison », satisfaits des kilomètres parcourus, Kares Le Roy a décidé de reprendre la route. « Il y a eu tout un travail de recherche pendant et après ce voyage qui m'a poussé à repartir. Celui que je suis en train d’accomplir maintenant a justement pour but d'approfondir les thèmes abordés précédemment et d’adopter une démarche beaucoup plus ethnographique », précise-t-il.
Cette fois, son travail se resserre autour du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Il s’agit de se concentrer sur les dernières tribus nomades de ces régions, notamment en Iran, en Mongolie et au Kirghizstan, pays qui aura une place importante dans son prochain livre.